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Adapter la centralisation de trésorerie aux groupes en difficulté

10/02/2021

La trésorerie constitue une préoccupation importante pour la plupart des groupes. Sa centralisation est aujourd'hui courante et diminue l'exposition bancaire de leurs membres. La centralisation de trésorerie est protéiforme et implique soit des mouvements de trésorerie entre sociétés du groupe (centralisation dite "réelle"), soit la fusion des échelles d'intérêts dus par celles-ci sur un compte centralisateur (centralisation dite "notionnelle"). Sa mise en place exige le respect de conditions variées tant juridiques que fiscales et son efficacité doit par ailleurs être appréciée lorsque le groupe y recourant affronte des difficultés économiques pouvant conduire à l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de certaines des sociétés participant à la centralisation.

1. Centralisation de trésorerie : les écueils juridiques

En France, la centralisation de trésorerie n'est pas dotée d‘un cadre juridique spécifique. Les conditions de sa mise en œuvre résultent principalement inscrites dans le Code monétaire et financier ; ce qui est logique puisqu’elle implique des opérations de banques soumises au monopole bancaire, tant au titre d'opérations de crédit effectuées à titre habituel que de la réception de fonds remboursables du public (art. L. 311-1 et L. 511-5 C. mon. fin.).

Une telle centralisation n’est donc possible que si elle bénéficie de l'exception légalement prévue pour les opérations de trésorerie intragroupe. Il importe donc que la centralisation emporte réalisation d'"opérations de trésorerie au sens du Code monétaire et financier". Cette notion de "trésorerie" est interprétée de manière libérale par les autorités bancaires. Ce qui autorise, sans confort jurisprudentiel toutefois, d’y englober les opérations de crédit à long terme ou l'octroi de garanties au sein d'un groupe. Par ailleurs, la centralisation de trésorerie doit être effectuée par des sociétés entre elles, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une d'elles un pouvoir de contrôle effectif sur les autres (art. L.511-7, 3° C. mon. fin.).

D'autres conditions relevant du droit des sociétés doivent en outre être respectées, notamment la procédure d'approbation des conventions règlementées (lorsqu'elle est applicable, ce qui est rarement le cas en pratique), l'inclusion de l'opération dans l'objet social ou encore sa conformité à l'intérêt social des sociétés concernées. L'appréciation de ce dernier critère s'effectuera principalement au regard de l'existence d'une contrepartie pour chaque société participante (possibilité effective d'obtenir un financement de ses besoins, taux d'intérêt suffisant, avantages commerciaux, etc.), l'opération ne devant pas, par ailleurs, être déséquilibrée, lésionnaire ou dépourvue de toute justification économique pour une ou plusieurs d’entre elles (Cass. crim., 10 juillet 1995, n° 94-82.665).

Cette appréciation peut ainsi différer lorsqu'une société affronte ou anticipe des difficultés économiques. En effet, la mobilisation de la trésorerie d'une société in bonis au profit d'une autre société du groupe peut, dans une situation économique précaire, empêcher celle-ci d'effectuer certains investissements nécessaires pour surmonter la période délicate existante ou à venir. Une attention toute particulière devra alors être portée aux modalités de la centralisation de trésorerie, qui pourront, le cas échéant, permettre aux sociétés participantes de conserver un coussin de liquidités disponibles pour faire face aux tensions de trésorerie.

Les dirigeants du groupe recourant à la centralisation de trésorerie devront donc veiller à limiter le risque pénal qu'ils encourent, principalement au titre de l'abus de biens sociaux. Le respect des critères jurisprudentiels de l'arrêt Rozenblum (Cass. crim., 4 février 1985, n° 84-91.581) permettra d'y échapper. Il faudra alors être en mesure de démontrer que le concours financier résultant de la centralisation de trésorerie

  • est dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble du groupe ;
  • n'est pas démuni de contrepartie ;
  • ne rompt pas l'équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées
  • et n'excède pas les possibilités financières de celle qui en supporte la charge.

2. Centralisation de trésorerie et fiscalité

Sur le plan fiscal, les opérations financières intragroupe doivent être suivies avec une grande vigilance dans la mesure où elles sont étroitement contrôlées par l’Administration. Pour ce qui concerne les opérations de centralisation de trésorerie, les sociétés participantes sont susceptibles de se trouver alternativement en situation débitrice ou créditrice vis-à-vis de la centrale. De même, la centrale peut être en situation déficitaire comme bénéficiaire selon que les besoins de trésorerie du groupe excèdent ou non la trésorerie mise à sa disposition.

En toute hypothèse, l’administration fiscale veille à ce que les taux d’intérêt appliqués de part et d’autre respectent le principe de pleine concurrence afin que les opérations de financement intragroupe ne s’écartent pas de façon anormale des conditions de marché. A cet égard, lorsqu’une société est en situation emprunteuse, la déductibilité des intérêts versés à la centrale est encadrée par le Code général des impôts (CGI) et, en particulier, par l’article 212-I-a. qui limite la déductibilité au taux de référence prévu à l’article 39-1-3°[1] ou, s’il est supérieur, au taux que la société aurait pu obtenir d’établissements de crédit ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues (ceci devant être documenté[2]). Par prudence ou souci de simplicité, un certain nombre de groupes optent en pratique pour le taux fiscal de référence dans le cadre de leurs opérations de centralisation de trésorerie, réservant leurs efforts de documentation pour les opérations de financement intragroupe plus complexes.

A l’inverse, lorsqu’une société est en situation prêteuse, la rémunération qui lui est accordée est présumée normale et il appartient à l’Administration de démontrer que le taux appliqué est insuffisant et qualifie une renonciation à recette injustifiée ou un transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du CGI si la centrale n’est pas résidente fiscale de France.

A son niveau, la centrale doit veiller à ajuster les taux appliqués sur les flux entrant et sortant de façon à réaliser une marge lui permettant de rémunérer sa fonction centralisatrice (CAA Paris, 20 janvier 2016, n° 14PA03921, SAS Passire).

Dans un contexte économique dégradé où certaines sociétés du groupe (voire le groupe dans son ensemble) peuvent se trouver en difficulté financière, il est nécessaire de réexaminer les conditions de financement des sociétés en actualisant notamment leur profil de risque, c’est-à-dire leur capacité à rembourser les avances de trésorerie. Lorsque la centrale de trésorerie se trouve elle-même en difficulté et doit faire face à un renchérissement de son propre financement auprès des établissements de crédit, elle devrait en principe également corriger les modalités de financement intragroupe. Il convient toutefois de vérifier que cela ne conduit pas les sociétés à supporter des taux d’intérêt plus élevés que ceux auxquels elles pourraient prétendre en se finançant directement sur le marché (CE, 18 mars 2019, n°411189, Société Siblu ; sur la portée de cette décision, voir notre article "Prêts intra-groupe : Des avancées sur la preuve du taux d’intérêt de marché").

En cas de risque majeur de défaillance d’une société du groupe (apparition d’un risque prégnant de cessation de paiement), il est nécessaire d’apprécier l’opportunité de maintenir le financement intragroupe et surtout de justifier l’octroi de nouveaux crédits qui pourraient être considérés par l’Administration comme allant à l’encontre de l’intérêt social du prêteur, ce qui ferait obstacle à la déductibilité de toute provision pour dépréciation ou perte sur la créance. Si le Conseil d’Etat a abandonné la théorie du risque manifestement excessif (CE, 13 juillet 2016, n°375801, Monte Paschi Banque), on constate que l’Administration tente souvent en pratique de mettre en cause les motivations des concours financiers apportés aux sociétés en difficultés.

3. Centralisation de trésorerie et entreprises en difficulté : entre abîme et rédemption

Pour des entreprises en difficulté, l’existence d’une centralisation de trésorerie est autant un facteur de risque qu’une ressource de nature à favoriser le retournement.

Du côté risque, il conviendra de veiller à ce que les opérations de centralisation de trésorerie ne puissent pas être analysées comme des relations financières anormales entre les sociétés participantes, à défaut de quoi sera ouvert le chemin d’une éventuelle extension, à tout ou partie des sociétés participantes à la centralisation, de la procédure collective (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires) ouverte à l’égard de l’un des participants (art. L. 621-2 du Code de commerce) Pour prévenir ce risque, il importe de veiller à ce que les conditions de la centralisation ne s’éloignent pas outre mesure des standards du marché, étant précisé que la seule existence d’une centralisation de trésorerie ne suffit pas à établir une confusion de patrimoine, même accompagnée d’avances de fonds, d’échanges de personnels ou d’activités communes (Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-24.161).

De même, sauf à ce que le soutien apporté à la société en difficulté soit illimité, il ne faut pas que la participation d’une société à la centralisation permette à cette dernière de poursuivre indéfiniment une activité irrémédiablement compromise. Si cela devait être le cas, cette situation pourrait caractériser une faute de gestion des dirigeants, de droit comme de fait, susceptible de conduire, notamment, à l’engagement de leur responsabilité sur le fondement de l’insuffisance d’actif (art. L.651-2 et s. du Code de commerce). La circulation de trésorerie intragroupe ne doit pas s’exercer systématiquement au détriment de l’une des participantes car alors, en cas de cessation des paiements de cette dernière, le fonctionnement de la centralisation serait également reproché aux dirigeants.

Enfin, sans viser à l’exhaustivité, nous pouvons évoquer le risque de responsabilité pour soutien abusif qui n’est toutefois, depuis 2005, que l’ombre de ce qu’il fut. En effet, le principe est aujourd’hui celui de l’immunité (sur ce point) du dispensateur de concours sauf fraude, immixtion caractérisée dans la gestion ou disproportion des garanties accordées en contrepartie du soutien (art. L.650-1 du Code de commerce).

Si ces risques sont correctement gérés, la centralisation de trésorerie est susceptible de constituer un avantage en ce qu'elle est une réserve de crédit potentiellement disponible pour une entreprise en difficulté du groupe. Dès lors que cette réserve est immédiatement mobilisable, elle écarte la possibilité de caractériser un état de cessation des paiements, à hauteur des réserves de trésorerie circulant dans le mécanisme de centralisation (Cass. Com., 16 novembre 2010, n° 09-71.278 : "une avance de trésorerie qui n'est pas bloquée ou dont le remboursement n'a pas été demandé, constitue un actif disponible"). Dans une telle situation, la société consommatrice de trésorerie devra veiller à mettre en œuvre des mesures de retournement afin d’éviter les risques identifiés plus haut. Le cadre le plus adapté pour ce faire sera alors très probablement de recourir aux procédures amiables de traitement des difficultés : mandat ad hoc et conciliation. En effet, ces procédures, que le législateur a récemment "musclées" en y intégrant une faculté de gel du passif[3] pour faire face au risque accru de défaillance dans le contexte de la pandémie, permettent de dessiner des solutions sur-mesure au bénéfice des entreprises en difficulté : de la mise en place de nouveaux financements à l’organisation d’une cession partielle ou totale de l’activité.

La centralisation de trésorerie donne la possibilité aux entreprises qui rencontrent des difficultés de nature à porter atteinte à leur pérennité, d’anticiper le traitement de leurs difficultés. Il faut que ce répit soit consacré à construire les conditions d'un rebond et non à creuser un abîme dont l'entreprise ne pourrait sortir.

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