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Application du statut de l’agence commerciale

Vers un changement de paradigme ?

06/11/2020

La Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée dans un arrêt du 4 juin 2020 sur la notion de pouvoir de négociation de l’agent commercial et elle a contredit l’interprétation de la Cour de cassation.

Le pouvoir de négociation de l’agent : un prérequis pour l’application du statut

L’agent commercial est un mandataire qui, en tant que professionnel indépendant est chargé de façon permanente, de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d’achat, de location, ou de prestations de services au nom et pour le compte de son mandant (C. com., art L.134-1).

La capacité à négocier les contrats est donc une condition essentielle du droit au statut de l’agent commercial. A défaut, l’agent ne peut en revendiquer le bénéfice. Le droit à l’indemnité de clientèle, due en cas de cessation de son contrat qui n’est pas justifiée par une faute grave, est alors exclu. Les enjeux financiers sont donc importants puisque la jurisprudence fixe cette indemnité de rupture à deux années de commission.

Toutefois, l’absence de définition de la notion de négociation est source d’incertitudes.

La controverse jurisprudentielle française : une interprétation variable de la notion de négociation

Depuis plus d’une douzaine d’années, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a adopté une interprétation restrictive du terme "négocier" prévu à l’article L.134-1 précité ainsi qu’à l’article 1er de la directive 86/653 du 18 décembre 1986 sur les agents commerciaux dont la loi française est la transposition. 

La Haute juridiction considère en effet que pour accéder au statut d’agent commercial, le mandataire doit avoir le pouvoir de modifier les conditions du contrat et plus particulièrement les prix de vente des produits de son mandant. Ainsi entendu, le terme "négocier" implique que l’agent dispose sur le contenu du contrat d’un pouvoir lui permettant de négocier des conventions de gré à gré et pas uniquement de proposer la souscription de contrats d’adhésion.

Cette interprétation a vu le jour avec les arrêts rendus par la Cour de Cassation en 2008 au profit d’opérateurs de téléphonie mobile (Bouygues, SFR et Orange). Les distributeurs n’ayant pas le pouvoir de modifier les contrats proposés, à savoir les contrats d’abonnement, se sont vu refuser le droit au statut d’agent commercial.

De multiples arrêts ont été rendus en ce sens dans de nombreux domaines : si l’agent ne pouvait adapter les conditions, notamment tarifaires, des contrats qu’il proposait aux clients (Cass. com., 27 octobre 2009), accorder des remises (Cass. com., 20 janvier 2015) ou disposer effectivement d’une marge de manœuvre sur une partie au moins de l’opération économique (Cass. com., 9 décembre 2014), il ne pouvait bénéficier du droit au statut. Encore récemment, la Cour de cassation a confirmé le bénéfice du statut car l’agent disposait d’un réel pouvoir de détermination des prix des produits (Cass.com., 19 juin 2019).

Cette interprétation a été critiquée par une partie importante de la doctrine qui a notamment invoqué la violation du droit de l’Union européenne. Différentes cours d’appel se sont prononcées en faveur d’une interprétation plus large de la notion de négociation considérant que le pouvoir de négociation de l’agent ne se réduit pas à la seule faculté de modifier les prix arrêtés par son mandant sans son accord préalable mais se caractérise aussi par un ensemble d’actions à mener pour l’obtention des commandes. Pour ces juridictions, négocier c’est aussi prospecter, discuter, provoquer et recueillir les commandes et plus généralement amener le client à commander les produits de son mandant, ce qui n’implique pas forcément d’avoir le pouvoir de modifier les prix.

La question préjudicielle posée : négocier équivaut-il à pouvoir modifier les tarifs et conditions de vente ?

Face à la difficulté de savoir ce que recouvre la notion de négociation, le tribunal de commerce de Paris a demandé à titre préjudiciel à la Cour de justice d’interpréter la notion de pouvoir de négociation de l’agent prévue à l’article 1 §2 de la directive 86/653 (T. Com. Paris, 19 décembre 2018). Doit-il être interprété comme signifiant qu’un "intermédiaire indépendant, agissant en tant que mandataire, qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuels des contrats de vente de son mandant, n’est pas de ce fait chargé de négocier lesdits contrats au sens de cet article et ne peut par voie de conséquence être qualifié d’agent commercial et de bénéficier du statut" ?

En l’espèce, le litige soumis au Tribunal avait pour origine la reprise par le mandant d’un secteur qui représentait la moitié du chiffre d’affaires de son agent. Ce dernier avait réclamé une indemnité de rupture de son contrat, ce que le mandant lui avait contesté au motif qu’il ne disposait pas du pouvoir de modifier les conditions de vente des articles, notamment leur prix de vente, et n’était donc pas agent commercial de ce fait.

La réponse de la CJUE : une interprétation du droit de l’Union plus souple que celle de la Cour de cassation

La CJUE part de la définition de l’agent commercial pour bâtir son raisonnement (CJUE, 4 juin 2020, C-828/18).

Elle relève que l’article 1 § 2 de la directive 86/653 ne définit pas le terme "négocier" mais elle constate que l’acte de négociation visé dans cet article doit porter sur "la vente ou l’achat de marchandises pour le commettant", ce qui met en évidence l’objectif de conclusion de contrats de vente ou d’achat. Ainsi, c’est le but poursuivi par l’acte de négociation qui est déterminant et non pas ses modalités.

La Cour observe également que l’article 1 qui définit l’agent ne renvoie pas aux droits nationaux. Elle en tire la conséquence que la notion de négociation est une notion autonome du droit de l’Union qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière. Son interprétation s’applique donc dans tous les états membres. Elle constate aussi que dans aucune des versions linguistiques de l’article 1, le terme "négocier" n’implique le pouvoir pour l’agent de fixer lui-même les prix des produits.

Enfin, la CJUE précise qu’à chaque fois que le droit de l’Union ne fournit pas de définition d’un terme, sa signification doit être établie selon le sens habituel de celui-ci dans le langage courant. Or, dans le langage courant, "négocier" ne veut pas dire modifier les prix mais discuter pour amener l’autre à contracter.

La Cour rappelle ensuite qu’il convient de tenir compte du contexte dans lequel le terme est utilisé.

A ce titre, elle relève que l’agent commercial doit veiller aux intérêts du mandant (art 3 §2). De ce fait, un contrat d’agent peut prévoir les prix de vente de marchandises sans qu’il soit possible pour l’agent commercial de les modifier dans le cadre de la négociation. Ces prix peuvent être justifiés par exemple pour des raisons de politique commerciale que le mandant a déterminées et que l’agent, dans l’intérêt de ce dernier, doit suivre.

Constatant que les tâches principales d’un agent commercial consistent à apporter de nouveaux clients à son mandant et à développer les opérations avec les clients existants, la CJUE estime que leur accomplissement peut être assuré au moyen d’actions d’information, de conseil et de discussion qui sont de nature à favoriser la conclusion de l’opération de vente de marchandises pour le compte du mandant sans que l’agent dispose pour autant de la faculté de modifier les prix desdites marchandises.

La CJUE souligne également que, compte tenu des objectifs poursuivis par la directive, l’interprétation de la notion de négociation qui exclurait la qualification d’agent à chaque fois que l’intéressé ne dispose pas de la faculté de modifier les prix des marchandises dont il assure la vente, limiterait la portée de la protection en excluant du statut toutes les personnes qui ne bénéficieraient pas de cette option.

Il suffirait de prévoir dans le contrat l’impossibilité pour l’agent d’intervenir sur les prix de vente pour le soustraire du bénéfice du statut, ce qui porterait atteinte aux objectifs poursuivis par la directive (protection des agents dans leurs relations avec les mandants ; facilitation des échanges de marchandises entre les Etats membres, tout en rapprochant les systèmes juridiques de ces derniers dans le domaine de la représentation commerciale).

La Cour de justice conclut "que l’article 1 §2 de la directive 86/653 (…) [qui prévoit que l’agent est chargé de façon permanente de négocier] doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifié d’agent commercial."

Portée de l’arrêt et conséquences

Cette solution qui s’impose à nos juridictions nationales va ainsi remettre en cause l’interprétation de la Cour de cassation et favoriser la reconnaissance du statut aux agents, quand bien même des limites contractuelles auraient été prévues à leur pouvoir de négociation en termes de prix des marchandises.

Ainsi, des clauses de style ayant pour objet de priver l’agent du pouvoir d’accorder des remises ou de l’obliger à respecter la grille tarifaire ne devraient plus avoir d’incidence sur cette qualification.

De nombreux contrats en cours conçus pour échapper au statut de l’agence commerciale devraient tomber dans son giron. Cette jurisprudence entraînera des conséquences financières négatives pour les mandants et positives pour les intermédiaires. Des réseaux de distribution risquent, à terme, de faire les frais de ce revirement imposé.


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Francine Van Doorne
Counsel
Paris