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Loi EGALIM : parution de l’ordonnance sur le seuil de revente à perte et les ventes promotionnelles

Flash info Concurrence

21/12/2018

Ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires

Après un parcours législatif quelque peu chaotique - le Sénat ayant purement et simplement refusé de la voter en seconde lecture et le Conseil constitutionnel censuré 23 de ses 98 articles - la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable dite "loi Egalim", issue des travaux des Etats généraux de l’alimentation (EGA), est entrée en vigueur le 2 novembre 2018 pour la plupart de ses dispositions.

Son premier volet dédié à l’équilibre des relations commerciales vise à favoriser une meilleure répartition de la valeur et un rééquilibrage des relations commerciales entre la distribution et les acteurs de la filière agroalimentaire au bénéfice du secteur agricole. A ce titre, il vient notamment renforcer l’encadrement du processus de contractualisation entre le producteur agricole et le premier acheteur (encadrement de l’ensemble des contrats de vente écrits de produits agricoles ; inversion du processus de contractualisation désormais à l’initiative du producteur ; prise en compte des coûts de production dans la construction du prix ; renforcement du rôle des interprofessions ; etc.) et assouplir le régime de la clause de renégociation de prix dans les contrats de plus de trois mois portant sur la vente de certains produits agricoles et alimentaires. Pour un examen détaillé de ce volet, voir Nathalie Petrignet et Denis Redon "Loi Egalim : vers un nouvel équilibre des relations commerciales", BRDA 23/18.

Mais ce volet autorisait aussi le Gouvernement à adopter par voie d’ordonnance, pour une durée de deux ans, deux mesures phares :

  • d’une part, le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte (SRP) des denrées alimentaires et des produits destinés aux animaux de compagnie, revendus en l’état au consommateur (loi Egalim art. 15, I 1°) ;
  • d’autre part, l’encadrement, en valeur et en volume, des opérations promotionnelles financées, tant par le distributeur que par le fournisseur, portant sur ces mêmes produits et la prévision de sanctions (loi Egalim art. 15, I 2°).

Entrée en vigueur progressive

Le Gouvernement ayant souhaité que ces mesures puissent être prises en compte dans le cadre des négociations commerciales en cours pour 2019, la publication de l’ordonnance était donc très attendue.

Après quelques tergiversations, cette publication est intervenue le 13 décembre 2018.

Les nouvelles mesures entreront progressivement en vigueur, afin de faciliter leur appréhension par les acteurs économiques concernés. Elles s’appliqueront pour une durée de deux ans à compter de leur entrée en vigueur (art. 1) et ne concerneront que la métropole (exclusion des collectivités de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de La Réunion et de Mayotte, de Saint Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon ; art. 6).

D’après nos informations, l’ordonnance devrait être complétée par un document pédagogique destiné à aider les entreprises dans la mise en œuvre du nouveau dispositif qui suscite un certain nombre d’interrogations.

Soulignons que le jour même de la publication de l’ordonnance, l’Autorité de la concurrence a rendu public un avis, sollicité par le Gouvernement sur le projet de texte, dans lequel elle se montre si ce n’est totalement hostile à tout le moins extrêmement réservée quant à la pertinence des mesures envisagées (Avis n° 18-A-14 du 23 novembre 2018).

Suspension du dispositif

L’ordonnance (art.5) réserve au Gouvernement la possibilité de suspendre, provisoirement ou définitivement, par décret en Conseil d’Etat, pris après avis de l'Autorité de la Concurrence, l'application des deux nouvelles mesures, pour tout ou partie des denrées ou produits concernés. L'Assemblée nationale et le Sénat devront alors en être informés sans délai.

Cette suspension pourra être décidée si le comportement adopté par un nombre significatif d'acheteurs de ces produits, lors de la négociation ou de l'exécution des conventions annuelles et des contrats, est de nature à compromettre sensiblement l'atteinte de l'un des objectifs de la loi Egalim (i.e. rétablissement de conditions de négociation plus favorables pour les fournisseurs, développement des produits dont la rentabilité est trop faible, et meilleur équilibre dans les filières alimentaires). Dans un communiqué de presse du 7 décembre 2018, commun aux ministères de l’Economie et de l’Agriculture, le Gouvernement a clairement appelé chacune des parties prenantes à faire preuve de responsabilité.

Evaluation du dispositif

Le Gouvernement est invité à remettre au Parlement, avant le 1er octobre 2020, un rapport d'évaluation sur les effets de l’ordonnance, qui prend en compte les éléments d'appréciation de la pertinence des mesures en cause, fournis par les acteurs économiques de la filière alimentaire (art. 4).

Le Gouvernement a par ailleurs précisé, dans son communiqué de presse du 7 décembre 2018, qu’il entendait organiser régulièrement des réunions de suivi sur le déroulement des négociations commerciales 2019 et sur l’application des mesures issues des EGA. La première entrevue s’est tenue le 14 décembre dernier et a réuni successivement les représentants des transformateurs et des distributeurs (Communiqué commun des ministères de l’Economie et de l’Agriculture du 14 décembre 2018). A cette occasion, le Gouvernement a indiqué qu’il mettrait en place début 2019 un dispositif de suivi des effets de l’expérimentation et que la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) maintiendra une "pression de contrôle élevée" afin de s’assurer du respect des engagements des parties et de l’ordre public économique. Le prochain comité de suivi doit se réunir en janvier 2019.

Rehaussement de 10 % du seuil de revente à perte

Aujourd’hui, sauf exceptions limitativement énumérées (cf. art. L.442-4 C. com.), la revente ou l’annonce de la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif est interdite (art. L.442-2 C. com.).

Le prix d’achat effectif s’entend du prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, minoré du montant de l’ensemble des avantages financiers consentis par le vendeur et majoré de diverses taxes et des frais de transport. Pour les grossistes, ce prix est affecté d’un coefficient de 0,90.

L’article 2 de l’ordonnance prévoit que le prix d'achat effectif, ainsi défini, est affecté d'un coefficient de 1,10 pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie revendus en l'état au consommateur. En d’autres termes, le SRP sera relevé de 10 %. Ces 10 % correspondraient en moyenne aux coûts logistiques des distributeurs qui, jusqu’à présent, ne sont pas pris en compte dans le SRP.

Devrait être concerné par ce dispositif "toute substance ou produit transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d'être ingéré par l'être humain ou l’animal de compagnie" (cf. règlement 178/2002 du 28 janvier 2002).

Rappelons que le délit de revente à perte est passible d’une amende 75 000 euros pour les personnes physiques et de 375 000 euros pour les personnes morales, pouvant être portée à 50 % des dépenses de publicité si une annonce publicitaire, quel qu’en soit le support, fait état d’un prix de revente à perte (art L.442-2, al. 1 C. com.).

Le nouveau seuil entrera en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 1er juin 2019 (art. 7 al. 1), ce qui en pratique laisse la possibilité au Gouvernement de décider, le cas échéant, de ne pas publier le décret. Ceci étant, si l’on se fie au communiqué du 14 décembre et au compte rendu du Conseil des ministres du 12 décembre au cours duquel l’ordonnance a été adoptée, cette entrée en vigueur devrait intervenir le 1er février 2019.

Cette mesure est, comme d’autres, destinée à revaloriser les produits alimentaires en évitant d’en faire des produits d’appel et les variables d’ajustement des prix de la grande distribution. Si le législateur espère que la marge dégagée sera reversée aux producteurs (Rapport AN n° 902), aucune certitude n’existe sur ce point. A cela s’ajoute le risque induit d’une hausse du prix de revente des produits alimentaires, dans des proportions qu’il est difficile de chiffrer. Ceci explique que le nouveau dispositif ne s’appliquera qu’à titre expérimental sur une période de deux ans, au terme de laquelle ses effets seront analysés, avant, le cas échéant, que puisse être envisagée une pérennisation de la mesure, voire son extension aux produits non alimentaires. En clair, il s’agira de vérifier que la mesure a bien permis d’augmenter le revenu des agriculteurs.

Pour l’heure, l’Autorité de la concurrence (ADLC) estime que "le gain éventuel des fournisseurs sera nécessairement d’une ampleur bien moindre que celle de l’effet inflationniste subi par les consommateurs" (Avis précité).

Remarque : il est permis de s’interroger sur la compatibilité du rehaussement du SRP avec la directive 2005/29 du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs. En effet, même si l’objectif principal de l’ordonnance est la protection des professionnels, rappelons que la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la directive 2005/29 s’oppose à ce qu’une réglementation nationale ayant pour finalité la protection des consommateurs interdise de manière générale la vente à perte de biens (CJUE 7 mars 2013, aff. C-343/12 et CJUE 19 octobre 2017, aff. C-295/16).

Encadrement des promotions en valeur et en volume

Aujourd’hui, à moins de constituer des pratiques déloyales trompeuses pour les consommateurs ou de conduire à une revente à perte, les promotions sur la vente de denrées alimentaires sont libres, sous réserve de quelques exceptions :

  • lorsque des opérations promotionnelles sur des produits alimentaires périssables sont susceptibles par leur ampleur ou leur fréquence de désorganiser les marchés, un arrêté interministériel peut en fixer la périodicité et la durée (art. L.441-2 C. com.) ;
  • les avantages promotionnels accordés par les fournisseurs aux consommateurs par le biais de contrats de mandat confiés aux distributeurs (NIP) sont limités à 30 % de la valeur du barème des prix unitaires, frais de gestion compris, lorsqu’ils portent sur le lait et les produits laitiers ou sur les produits agricoles mentionnés à l’article L.441-2-1 du Code de commerce (fruits, légumes destinés à être vendus à l'état frais au consommateur, à l'exception des pommes de terre de conservation, viandes fraîches, congelées ou surgelées de volailles et de lapins, œufs et miels) (art. L.441-7 al. 9 C. com.) ;
  • il est interdit à un acheteur, distributeur ou prestataire de services de bénéficier de remises, rabais ou ristournes pour l’achat de fruits et légumes frais (art. L.441-2-2 C. com.).

Face à l’augmentation croissante des promotions en grandes et moyennes surfaces, qui induisent souvent des comportements spéculatifs chez les consommateurs et participent au gaspillage alimentaire sans pour autant contribuer de manière significative au développement des marchés, les participants aux EGA et le Gouvernement ont souhaité la mise en place d’un encadrement en valeur et en volume des pratiques promotionnelles destiné à en corriger les effets pervers. Il est permis là encore de s’interroger sur la compatibilité d’un tel régime d’encadrement avec la directive 2005/29 relative aux pratiques commerciales déloyales.

À l’instar du relèvement du SRP, cet encadrement sera dans un premier temps limité à deux ans.

Seront concernées les opérations financées par le fournisseur mais aussi celles financées par le distributeur, de sorte que seront englobées les promotions sur les produits sous marque de distributeur.

L’encadrement s’appliquera aux avantages promotionnels, qu’ils soient immédiats ou différés, dès lors qu’ils ont pour effet de réduire le prix de vente au consommateur de denrées alimentaires ou de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie (art. 3, I). En conséquence, l’encadrement prévu à l’article L.441-7, al. 9 du Code de commerce précité, qui limite pour certains produits agricoles et pour les produits laitiers les promotions à 30 % de la valeur du barème des prix unitaires, sera suspendu pendant la durée d’application de la nouvelle mesure (cf. Rapport au président de la République).

Ne seront toutefois pas concernées par le nouvel encadrement les promotions portant sur les produits périssables et menacés d’altération rapide, à condition toutefois que l’avantage promotionnel ne fasse l’objet d’aucune publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente (art. 3, IV). Il s’agit d'une mesure de cohérence avec l’article L.442-4, I 6° du Code de commerce qui exclut l’application de l’interdiction de la revente à perte à de tels produits.

Encadrement en valeur. Les avantages promotionnels, le cas échéant cumulés, accordés au consommateur sur un produit déterminé ne pourront pas être supérieurs à 34 % du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente (art. 3, II). Ce seuil est conforme aux conclusions des EGA à l’occasion desquels il a été souligné qu’un tel taux permettrait de continuer à pratiquer des promotions du type "2 produits achetés, un produit offert" (cf. Rapport au président de la République).

Le plafond des 34 % s’appréciant au regard des avantages cumulés accordés sur un produit déterminé, son calcul devra intégrer aussi bien les avantages financés par le distributeur que le fournisseur.

Ce plafond sera applicable à compter du 1er janvier 2019 (art. 7).

En pratique, on peut se demander comment le fournisseur pourra plafonner les avantages qu’il finance à hauteur de 34 % du prix de vente au consommateur alors que ce prix de vente est librement fixé par son distributeur. En tout état de cause, distributeurs et fournisseurs devront veiller à ne pas discuter du niveau des prix de vente publics.

Encadrement en volume. Par ailleurs, qu’ils soient accordés par le fournisseur ou par le distributeur, ces avantages promotionnels cumulés ne pourront porter que sur des produits ne représentant pas en volume plus de 25 % (art. 3, III) :

  • du chiffre d’affaires prévisionnel fixé par la convention prévue à l’article L.441-7 du Code de commerce (convention unique) ;
  • du volume prévisionnel prévu par le contrat portant sur la conception et la production de produits alimentaires selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur ;
  • des engagements de volume fixés par le contrat portant sur des produits agricoles périssables ou issus de cycles courts de production, d'animaux vifs, de carcasses ou pour les produits de la pêche et de l'aquaculture.

L’instauration de ce plafond en volume a pour objectif d’empêcher la multiplication des promotions pour contourner le plafond lié à la réduction en valeur des promotions.

Le nouveau texte rend obligatoire l’indication d’un "chiffre d’affaires prévisionnel" dans la convention unique ou d’un "volume prévisionnel" dans les contrats marques de distributeur (MDD). Pour autant, il ne donne aucune indication sur le chiffre d’affaires qu’il convient de retenir, sa période de référence (quid en cas de contrats pluriannuels), son assiette, etc. Il serait opportun que des précisions soient apportées sur ce point dans le "guide d’interprétation" que l’Administration entend publier.

Le plafond de 25 % s’applique :

  • pour les produits de marque nationale et certains produits MDD faisant l’objet d’une convention unique (art. L.441-7 C. com), à toute convention conclue avant le 13 décembre 2018 (date de publication de l’ordonnance) dès lors que cette convention devait être conclue au plus tard le 1er mars 2019. Sont ainsi visées toutes les conventions uniques régissant les relations commerciales pour 2019 ;
  • pour les deux autres catégories de produits, à tous les contrats conclus depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance (soit le 14 décembre 2018) ainsi qu’à tout contrat conclu avant la publication de l’ordonnance et toujours en cours d’exécution à cette date.

Soulignons que l’ADLC a émis un avis très réservé sur le dispositif d’encadrement des promotions en valeur et défavorable s’agissant de l’encadrement des promotions en volume. Elle estime notamment que les nouvelles règles vont conduire à limiter la concurrence que se livrent les fournisseurs et les distributeurs, ce qui risque d’entraîner une hausse des prix de vente aux consommateurs qui viendra s’ajouter à l’effet inflationniste engendré par le relèvement du SRP (Avis précité).

Sanctions. Tout manquement aux nouvelles obligations, de la part du fournisseur ou du distributeur, est passible d’une amende administrative ne pouvant excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros ou la moitié des dépenses de publicité effectuées au titre de l’avantage promotionnel pour une personne morale. Le maximum de l’amende encourue est doublé en cas de récidive dans les deux ans de la date à laquelle la première sanction est devenue définitive (art. 3, V).

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Un projet de loi de ratification de l’ordonnance devra être déposé devant le Parlement d’ici le 13 mars 2019 (loi Egalim art. 15) ; à défaut l’ordonnance deviendrait alors caduque.


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