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Abus de droit et opérations immobilières à l’international : derniers développements

les derniers développements

03/06/2019

Les dispositifs légaux de lutte contre l’abus de droit fiscal se sont récemment multipliés tant en droit interne français qu’au travers de dispositions internationales, notamment sous l’impulsion de l’OCDE qui a entendu combattre certaines pratiques de treaty shopping dans le cadre de l’action 6 du plan BEPS (Base Erosion and Profit Shifting). Une telle accumulation pose la question de l’appréhension de la notion d’abus dans un cadre international, notamment en matière d’investissements immobiliers, ainsi que celle de la combinaison des différentes règles anti-abus.

Avec l’adoption de l’Instrument multilatéral de l’OCDE («IM»), les conventions fiscales couvertes par ce texte ont aujourd’hui vocation à intégrer des dispositifs destinés à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale.

En ce sens, l’article 7 de l’IM, qui fait partie du standard minimum de l’IM, dispose qu’ « un avantage au titre de la Convention fiscale couverte ne sera pas accordé […] s’il est raisonnable de conclure, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances propres à la situation, que l’octroi de cet avantage était l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction ayant permis,  directement ou indirectement, de l’obtenir, à moins qu’il soit établi que l’octroi de cet avantage dans ces circonstances serait conforme à l’objet et au but des dispositions pertinentes de cette Convention fiscale couverte » (à titre illustratif, l’article 22.5 de la convention avec le Japon prévoit une telle clause, de même que le préambule de la convention avec les Pays-Bas).

Cette clause, que l’on retrouve dans le modèle OCDE révisé fin 2017, a donc vocation à se généraliser dans le réseau conventionnel français. Or, le droit interne français contenait déjà un dispositif anti-abus bien connu prévu par l’article L.64 du Livre des procédures fiscales (LPF).

Dans deux décisions de 2016 (TA Montreuil, 1er décembre 2016, n° 1508188, sté BNP Paribas et n° 1508201, SAS Parilease) concernant une opération de sale and lease back effectuée par une société française au profit de sociétés allemandes portant sur un bien immobilier allemand, le tribunal administratif de Montreuil a jugé qu’une telle opération était susceptible de constituer un montage critiquable sur le fondement de l’abus de droit, dès lors qu’il aboutissait à l’exonération des revenus perçus en France. En l’espèce, le Tribunal a conclu, sur le fondement de l’article L.64 du LPF, qu’en donnant aux montages litigieux l’apparence d’opérations immobilières et en interprétant de manière littérale la convention fiscale franco-allemande, la société française avait empêché l’imposition de revenus financiers par la France, à l’encontre de l’intention des négociateurs de la convention, lesquels ne pouvaient avoir eu pour objectif d’octroyer des bénéfices conventionnels aux montages dépourvus de tout intérêt économique.

Une telle décision n’allait pas de soi car la jurisprudence n’avait jusqu’alors validé le recours à l’article L.64 du LPF qu’en support de la mise en oeuvre de clauses anti-abus spécifiques prévues dans les conventions fiscales bilatérales (CE, 29 décembre 2006, n° 283314, min. c/ sté Bank of Scotland). En effet, la mise en oeuvre de la procédure de l’abus de droit est en principe subordonnée à deux conditions : la recherche d’un but exclusivement fiscal et la contrariété à l’intention des auteurs de la norme. Or, les conventions font en principe l’objet d’une interprétation littérale (CE, 30 décembre 1996, n° 128611, Benmiloud) qui fait normalement obstacle à la recherche de l’intention des auteurs pour en éclairer les stipulations. De plus, une convention fiscale est le fruit de négociations assez opaques et ne fait pas, à proprement parler, l’objet de travaux parlementaires.

Cela étant, les commentaires sur la convention-modèle OCDE (modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune, 2017, point 61), qui peuvent, selon le Conseil d’Etat, préciser l’interprétation qu’il convient de donner à une convention fiscale conclue postérieurement (CE, 30 décembre 2003, n° 233894, SA Andritz), reconnaissaient l’existence d’un « principe directeur » selon lequel les avantages prévus par une convention fiscale ne doivent pas être accordés dans des circonstances contraires à l’objet et au but des dispositions en cause.

Et de fait, le 25 octobre 2017 (CE plén., 25 octobre 2017, n° 396954, Cts Verdannet), le Conseil d’Etat a eu l’occasion d’admettre l’applicabilité de la théorie de l’abus de droit dans le cadre de conventions fiscales ne contenant pas de clause générale anti-abus. En l’espèce, s’agissant de l’interprétation de la convention entre la France et le Luxembourg en matière de plus-value immobilière, il a été jugé que l’administration fiscale était fondée à utiliser l’abus de droit lorsque la norme dont le contribuable recherche le bénéfice procède d’une convention fiscale et que cette convention ne prévoyait pas explicitement l’hypothèse de fraude à la loi. S’agissant de l’intention des parties, le Conseil d’Etat considère qu’elles ne sauraient avoir entendu appliquer les stipulations de la convention à des montages artificiels dépourvus de toute substance économique.

Sans avoir cette fois recours à l’abus de droit, le Conseil d’Etat a eu plus récemment l’occasion de juger que les revenus tirés d’un rachat d’un bail emphytéotique en Belgique et d’une opération de lease and lease back aux Pays-Bas ne constituaient pas des revenus immobiliers, au sens des conventions fiscales conclues par la France avec ces deux Etats (CE, 07 décembre 2018, n° 409229, Orpavimob), mais des revenus financiers imposables en France, confirmant ainsi le pouvoir général de requalification de l’Administration hors abus de droit.

La multiplication des dispositifs anti-abus, tant au niveau interne1 qu’au niveau international, pose la question de leur articulation et ce, d’autant plus que dans deux arrêts en date du 26 février 20192, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a indiqué, à l’occasion d’un litige portant sur le bénéfice des régimes d’exonération prévus par les directives « dividendes » et « intérêts », que l’interdiction de l’abus de droit constitue un principe général du droit de l’Union qui doit être opposé par les États membres aux contribuables qui cherchent à bénéficier de manière abusive du droit de l’Union européenne. Se pose donc désormais la question du recours à l’abus de droit à un triple niveau : interne, conventionnel et communautaire.

Il est permis d’espérer que l’adoption de l’IM conduise à uniformiser progressivement la notion d’abus de droit lorsqu’est en cause l’octroi d’avantages conventionnels, dans la mesure où la clause anti-abus de l’IM devrait normalement s’appliquer par priorité. Toutefois, l’IM inclut également des mesures anti-abus spécifiques à l’investissement immobilier, qui ne font pas partie des normes minimales. Au titre de ces mesures figurent les stipulations sur les plus-values de cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière qui introduisent une appréciation temporelle sur 365 jours de la prépondérance immobilière et procèdent à un élargissement de la notion de droits, titres et actions visés.

1 Cf. l’adoption d’un abus de droit pour motif principalement fiscal en matière d’impôt sur les sociétés (art. 205 A du CGI d’application immédiate) et en toute matière (art. L.64 A du LPF applicable au 1er janvier 2021).
2 CJUE, gr. ch., 26-02-2019, aff. jtes C-115/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16, N Luxembourg 1, X Denmark A/S, C Danmark I et Z Denmark ApS. – CJUE, gr. ch., 26 févr. 2019, aff. jtes C-116/16, C-117/16, T Danmark et Y Denmark Aps.


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Cet article a été publié dans la Lettre de l'Immobilier de mai 2019. Cliquez ci-dessous pour retrouver les autres articles de cette lettre.

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Julien Saïac
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