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Cession d’une filiale en difficulté : quels risques pour le cédant ?

26/06/2013


Depuis quelques années se développe un contentieux consistant dans la mise en cause de la responsabilité des précédents actionnaires à raison de la cession de sociétés connaissant des difficultés économiques. Connexe à la problématique désormais bien identifiée du « co-emploi », permettant l’engagement de la responsabilité de la société mère lorsqu’est caractérisée une confusion des intérêts, des activités et de direction avec sa fille, ce contentieux spécifique doit inciter à une particulière vigilance lorsqu’il est ainsi question de céder une société connaissant des difficultés économiques. Point d’arrêts sur les risques encourus et les précautions à prendre pour s’en prémunir.


En 2008, le Tribunal de Grande Instance de Béthune(1) avait annulé la cession, au profit d’une société qui avait été liquidée un an et demi après, du site déficitaire de la société Samsonite à Hénin-Beaumont, faisant implicitement mais nécessairement droit à la demande de réintégration des salariés transférés au sein de Samsonite. Cette affaire largement médiatisée est une illustration, certes extrême, du risque encouru par le cédant d’une filiale en difficulté en cas d’échec du projet de reprise. Dans une telle situation, le cédant a été ainsi a posteriori suspecté d’avoir voulu externaliser le licenciement des salariés transférés pour s’épargner les risques et coûts d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Cette décision témoigne plus généralement de la propension de certains juges du fond à apprécier avec une particulière latitude les mécanismes d’engagement de la responsabilité lorsque ceux-ci permettent de mettre en cause une personne morale solvable en lieu et place d’un employeur défaillant.

1. Identification des risques

Le premier obstacle procédural à franchir pour les demandeurs a tout d’abord trait à la recevabilité de leur action en responsabilité d’une société en liquidation judiciaire contre leur ancienne société mère. Ce dernier a été levé par la Cour de cassation qui, se référant à l’actuel article L. 622-20 du code de commerce, a considéré que « le préjudice résultant (…) de la perte de leur emploi ainsi que de la diminution de leur droit à participation dans la société [cédée] et de la perte de chance de bénéficier des dispositions du plan social du groupe Bull [cédant], (…) constituait un préjudice particulier et distinct de ce lui éprouvé par l’ensemble des créanciers de la procédure collective de la société [cessionnaire] »(2).

En ce qui concerne à présent non plus la recevabilité mais le fondement d’une telle action, l’on doit liminairement rappeler que la cession d’une filiale en difficulté n’est évidemment pas, en soi, interdite. La cour d’appel de Bordeaux a ainsi pu rappeler qu’ « un employeur cédant son entreprise n’a pas l’obligation de garantie de succès du nouvel employeur, autre que celle qu’il peut éventuellement contracter volontairement »(3). De même, la cour d’appel de Poitiers, amenée à se prononcer sur le fond de l’affaire Bull après l’arrêt de cassation précité, a-t-elle pu débouter les salariés de leur demande indemnitaire en rappelant ce même principe(4).

Les juges s’attachent donc à étudier très précisément le contexte et les circonstances entourant la cession pour déterminer si le cédant a commis des fautes, voire des négligences ou encore s’il y a eu collusion frauduleuse entre les parties au détriment des salariés. Cet examen minutieux est corroboré par l’admission des salariés à solliciter en référé une expertise « in futurum » sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile(5).

Si les actions sont donc quasiment exclusivement fondées sur les articles 1382 et 1383 du code civil, certaines décisions font néanmoins référence à l’obligation de bonne foi contractuelle posée de manière générale par l’article 1134 du Code civil. C’est notamment le cas dans un jugement du Conseil de Prud’hommes de Toulouse(6) concernant la Société SFR dans lequel, alors qu’un accord GPEC venait d’être conclu, par lequel l’employeur s’engageait pendant 3 ans à ne pas licencier pour motif économique, il avait conclu un contrat de sous-traitance, donnant lieu à l’application de l’article L. 1224-1 et donc au transfert des contrats des salariés vers une société de bien moins grande envergure, qui avait très rapidement proposé un plan de départ volontaire. Le Conseil laissait entendre au cours de sa motivation que le transfert et ses conséquences intervenus en cours d’application de l’accord de GPEC méconnaissaient les règles de la bonne foi contractuelle, « s’appliquant aux accords signés entre employeur et organisations syndicales ». Cette référence au principe de loyauté semble au demeurant diffuse dans la plupart des décisions, avec l’idée sous-jacente que l’on ne peut transférer des salariés comme l’on vendrait des biens matériels.

La sanction retenue par les juridictions, lorsqu’elles constatent des fautes ou des négligences du cédant, est majoritairement indemnitaire. En réalité, seul le TGI de Béthune dans la retentissante décision susvisée, et dans une hypothèse dans laquelle il avait également reconnu la fraude commise par les repreneurs du site en difficulté, avait prononcé l’annulation de la cession. A l’inverse, dans l’affaire SFR précitée, tant le Conseil de Prud’hommes que la cour d’appel de Toulouse ont retenu la collusion frauduleuse des sociétés cédante et cessionnaire, sans annuler pour autant le contrat de prestation de service et s’en tiennent à une logique indemnitaire pour réparer le préjudice des salariés résultant d’ « une perte de chance d’être maintenu dans son emploi »(7).

2. Prévention des risques

Les différentes décisions rendues ces dernières années permettent aujourd’hui de tracer les contours d’un comportement fautif du cédant et a contrario ceux d’un comportement diligent.

A cet égard les juridictions attachent bien évidemment une particulière importance à la qualité du repreneur. Dans les décisions Samsonite, UPS et Nestlé précédemment évoquées, sont expressément relevés le manque d’expérience ou de consistance du repreneur. Dans ces deux dernières affaires, il est intéressant de souligner que ce sont d’anciens salariés de la structure qui avaient assuré la reprise. La cession à des salariés via une SCOP ne permet donc pas nécessairement de réduire l’exposition aux risques en la matière…

Corrélativement, il convient pour le cédant d’étudier attentivement la viabilité du projet de reprise. Ainsi, dans l’affaire Samsonite, les juges ont relevé « une quasi-absence de documentation sur le projet de reprise, le « business plan » étant développé sur une seule page et certains chiffres étant illisibles ». Dans l’affaire Bull, la cour d’appel de Poitiers a relevé la santé financière tant de la société cédée que du cessionnaire, les difficultés n’étant survenues que postérieurement à la cession et s’expliquant par le « retournement imprévisible de la conjoncture économique ». Dans le cas plus délicat de la cession par la Société Thierry Mugler(8) d’une filiale en difficulté au groupe Balmain, le TGI d’Angers a jugé que « si (ce dernier) présentait une insuffisance de rentabilité nette, sa situation financière était saine, (…) l’évolution du résultat d’exploitation régulièrement à la hausse montrait des potentialités de croissance et (…) les prévisions laissaient augurer un retour à la profitabilité ».

Ce sont également la qualité et la transparence de l’information des institutions représentatives du personnel ainsi que l’absence de précipitation dans celle-ci qui sont prises en compte par les juges(9).

Ainsi, à titre d’illustration, la cour d’appel de Bordeaux dans l’arrêt Nestlé a pu estimer que s’il était établi « que globalement les actes de cession sont conformes aux informations données telles qu’elles ressortent des procès-verbaux des IRP et des informations contenues dans le rapport de l’expert comptable Syndex (…), il est également établi (…) par l’intimée que la décision de fermeture de Carbon Blanc a été annoncée tardivement (…) ». La qualité de la concertation avec les partenaires sociaux aux différents stades du processus a également été relevée par le TGI d’Angers pour retenir l’absence de légèreté blâmable de la Société Thierry Mugler, jugeant plus précisément que la situation financière difficile du groupe repreneur, était parfaitement connue des représentants du personnel.

Enfin peuvent être également prise en compte les engagements du cédant, lesquels peuvent être à « double tranchant ». De bonne foi, il peut en effet vouloir encourager et soutenir le projet de reprise, ce qui peut pourtant être perçu comme le souhait de masquer à court terme l’impossible réussite de la reprise et sa conscience de cet état de fait.

Dans les situations les plus complexes, un délicat équilibre doit donc être trouvé entre un soutien trop appuyé qui révélerait une conscience de l’absence de viabilité du projet et un désintéressement tout autant condamnable...



1. TGI Béthune, 24 juin 2008, n° 08/00832, Samsonite
2. Cass. Soc. 14 novembre 2007, n° 05-21.239, Bull.
3. CA Bordeaux, 6 mai 2008, n° 06/05433, Nestlé
4. CA Poitiers, 10 septembre 2009, n° 08/01707, Bull
5. CA Paris, 4 septembre 2012, n° 11/12359, UPS
6. Conseil de Prud’hommes de Toulouse, 6 juillet 2010, n° 08/00895, SFR
7. CA Toulouse, 9 mars 2012, n° 123/2012, SFR
8. TGI Angers, 3 février 2009, n° 06/02823, Thierry Mugler
9. Dans des situations de fait opposées, voir les jugements Thierry Mugler et Samsonite.

Article paru dans la revue Décideurs de Juin 2013

Auteurs

Portrait dePierre Bonneau
Pierre Bonneau
Associé
Paris