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Cession de titres de sociétés de personnes

17/06/2005

1. Du particularisme des cessions de titres de sociétés " translucides "
En vertu de l'article 8 du CGI, les résultats des sociétés de personnes du type Sociétés civiles, SNC, SARL " de famille ", etc, sont imposables au nom de leurs associés. Cette règle s'applique tant aux bénéfices qu'aux pertes des sociétés translucides et quel que soit le régime fiscal auquel les associés sont soumis : IS, revenus fonciers, revenus mobiliers, etc.

En outre, ces résultats sont systématiquement taxés au titre de l'année de clôture de l'exercice de réalisation du profit ou de la perte. Or, l'affectation juridique et comptable des résultats (notamment sous forme de distribution de dividendes ou d'allocation de pertes) intervient dans la grande majorité des cas au cours de l'année suivante au plus tôt, voire même après une période beaucoup plus longue.

Dans l'intervalle, un associé qui a été taxé sur des bénéfices qu'il n'a pas effectivement perçus, ou qui a déduit des pertes qu'il n'a pas économiquement supportées, peut être amené à céder ses parts. Or, lesdits bénéfices ou pertes, qui affectent toujours la situation nette de la société, contribuent à la valorisation de la société et influencent par conséquent le résultat de cette cession. Ainsi, une perte non affectée diminue la plus-value ou augmente la perte résultant de la vente des titres, alors que cette même perte a pu être une source d'économies fiscales pour le cédant. Inversement, un bénéfice non distribué augmente la plus-value imposable ou réduit la perte de cession, cependant qu'il a déjà été imposé.

Intrinsèquement, le régime des sociétés de personnes comporte une source d'anomalies fiscales : double imposition ou double déduction.

2. L'arrêt " Quémener " et les entreprises associées de sociétés translucides

Avec pour souci affiché d'" assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale compte tenu du régime spécifique " des sociétés de personnes, le Conseil d'Etat a échaffaudé une solution visant à prendre en compte l'historique des résultats revenant à une entreprise associée, précédemment à la cession de ses parts. En effet, le Juge de l'impôt prescrit, pour déterminer le résultat de cession, que le prix de revient des titres fasse l'objet d'un certain nombre d'ajustements, selon la formule suivante :
- prix d'acquisition
+ bénéfices " imposés " non distribués
- bénéfices distribués
- déficits déduits
+ pertes comblées
= prix de revient fiscal

Il est intéressant de souligner que les pertes déduites par la société Quémener en qualité d'associé de la SNC filiale se rapportaient exclusivement à des titres détenus depuis plus de deux ans, dont le résultat de cession relevait du taux d'imposition réduit du régime des plus-values à long terme. Bien que ces pertes aient diminué les bénéfices de la société Quémener taxés au taux plein de l'IS, le Conseil d'Etat avait néanmoins jugé que le correctif mis en oeuvre impactait (en l'occurrence à la hausse) le gain imposé au taux de faveur. Mise en perspective avec le nouveau régime des plus-values à long terme issu de la loi de finances pour 2005, qui conduira à une quasi exonération à compter de l'exercice 2007, la solution Quémener ne devrait conduire, au regard des titres éligibles au régime des PVLT, qu'à augmenter l'assiette de calcul de la " quote-part de frais et charges " maintenue dans le résultat ordinaire.

3. L'arrêt " Baradé " et les particuliers associés de sociétés translucides

Le contribuable, personne physique agissant dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé, avait quelques motifs de se plaindre au juge. En effet, alors qu'il avait supporté l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices fonciers incorporés au capital d'une société civile dont il était l'associé, le fisc refusait obstinément de tenir compte de cette situation pour atténuer à due proportion la plus-value imposable réalisée à l'occasion de la cession de ses parts. La Cour Administrative de Lyon lui avait déjà - et très opportunément - donné gain de cause en jugeant sobrement qu'il y a lieu de retenir comme prix d'acquisition des parts cédées l'ensemble des apports qui comprennent non seulement ceux effectués à l'occasion de la souscription du capital social, mais encore ceux qui résultent de la mise en réserve ou de la capitalisation ultérieure de bénéfices sociaux.

Pour donner satisfaction - à juste titre - au contribuable, le Conseil d'Etat a pour sa part pris le parti de reprendre à la lettre dans cette affaire le " considérant de principe " de son arrêt Quémener. Si le résultat en est satisfaisant pour Monsieur Baradé, les cédants qui ont profité de l'imputation de déficits apprécieront diversement ... Signalons que l'arrêt réserve toutefois le cas des déficits par lesquels " le législateur a entendu conférer au contribuable un avantage définitif ", c'est à dire par exemple ceux résultant d'une " défiscalisation DOM-TOM".4.

4. Encore de nombreuses questions à régler

La solution Quémener présente les défauts de ses qualités : simple dans son énoncé, elle ne règle pas toutes les questions.

4.1. Au regard de l'objectif de neutralité fiscale poursuivi par le Conseil d'Etat, le cas des déficits appelle un mot de commentaire à l'égard des cédants simples particuliers. Lorsque le Conseil vise les " déficits que l'associé a déduits ", il s'agit nécessairement des déficits dont le contribuable a effectivement retiré un avantage à la date de la cession. On ne saurait concevoir, en effet, qu'une plus-value soit augmentée à raison de pertes jusqu'alors stériles, comme le sont des déficits fonciers dégagés par une SCI dont le cédant n'a jamais eu l'usage - et qu'il n'imputera peut-être jamais - ou des déficits BIC qu'un associé passif d'une SNC ne peut déduire de son revenu global.

4.2. Il sera souvent très difficile en pratique de reconstituer l'historique exhaustif des résultats liés à une détention ancienne d'une participation. L'Administration avait annoncé qu'elle admettrait officiellement une limite temporelle à cet égard ; malheureusement, cette louable et pragmatique intention n'a jusqu'à ce jour pas été suivie d'effet.

4.3. Bien que le texte des arrêts Quémener et Baradé vise le résultat de l'opération par laquelle " un associé cède les parts qu'il détient " dans une société translucide, la solution Quémener a manifestement vocation à s'appliquer également, en toute logique, aux résultats dégagés par la dissolution (avec ou sans liquidation) d'une société de personnes. D'ailleurs, le Conseil d'Etat estime que la dissolution d'une société emporte " une transmission des droits sociaux (...) bien que la dissolution de la société ait entraîné la disparition des parts sociales" (cf. CE 29 décembre 1978 n° 8758, relatif à la dissolution d'une SCP).

4.4. Dès lors, le résultat dégagé par la sortie des actifs sociaux (du fait du partage) doit naturellement être pris en considération, quand bien même il ne correspond pas à " un revenu imposé antérieurement " à l'opération. En conséquence, lorsque le prix d'acquisition de parts social est représentatif d'une plus-value latente recélée par un actif social, la perte correspondant à l'annulation des parts doit être admise en compensation avec cette même plus-value dégagée par la dissolution.

4.5. Comment doit-on traiter les gains réalisés par les sociétés translucides qui ont bénéficié d'une exonération totale ou partielle ? A priori, une plus-value immobilière réalisée par une SCI détenue par un particulier doit augmenter le prix de revient des parts (et donc réduire la plus-value) à concurrence du montant " effacé " par le jeu de l'abattement pour durée de possession (10 % par an après 5 ans). A cet égard, ces plus-values exonérées doivent être rangées dans la catégorie des " bénéfices imposés ", comme l'a d'ailleurs admis l'Administration pour l'application du dispositif " Sarkozy " d'exonération des cessions de fonds d'un montant inférieur à 300 000 Euro. A défaut, le fisc reprendrait par la plus-value sur les parts l'avantage consenti précédemment au titre de la plus-value sur l'immeuble.

4.6. Lorsque les arrêts mentionnent les "bénéfices imposés" ou les "pertes déduites", il ne peut s'agir que des résultats fiscaux de la société de personnes. En revanche, les "bénéfices répartis" et les "pertes comblées" ne peuvent correspondre qu'à des résultats comptables.

Or, il n'y a pas nécessairement adéquation entre les "bénéfices imposés" et les "bénéfices répartis", de même qu'entre les "pertes déduites" et les "pertes comblées".

Cela étant, cette dissymétrie n'a pu échapper au Conseil d'Etat lorsqu'il a élaboré cette solution visant à " assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale compte tenu du régime spécifique des sociétés (de personnes)".

Quoi qu'il en soit, la lettre de l'arrêt commande à notre avis que soient pris en compte les "bénéfices imposés" et les "pertes déduites" de nature fiscale d'une part, et les "bénéfices répartis" et les "pertes comblées" comptables d'autre part, même si un écart existe entre ces différents paramètres.

Chronique parue dans OPTION FINANCE du 25/04/05



Authors:

Luc Jaillais, Avocat