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Clauses de mobilité géographique et réorganisations d'entreprise

04/09/2006

La clause de mobilité occupe aujourd'hui une place à part dans le paysage jurisprudentiel français. En effet, alors que le régime juridique de certaines clauses concernant, par exemple, l'obligation de non-concurrence (Cass. soc., 10 juillet 2002) ou le dédit-formation (Cass. soc., 5 juin 2002 et Cass. soc., 4 février 2004) - a été largement remanié par la Cour de Cassation, celui de la clause de mobilité n'a que peu évolué.

En outre, et surtout, celle-ci échappe à l'hostilité des juges qui tendent à interdire, en droit du travail, les clauses dites «de variabilité», par lesquelles l'employeur se réserve la faculté, à l'avance, de faire évoluer certains éléments essentiels du contrat. Il convient, à cet égard, de rappeler que tous les éléments du contrat de travail n'ont pas nécessairement une nature contractuelle. Certaines mentions peuvent en effet figurer simplement à titre informatif (la rédaction du contrat est, à cet égard, essentielle) et la situation ainsi décrite peut alors faire partie, selon la terminologie retenue par la Cour de Cassation, des «conditions de travail» du salarié. Or, ces dernières peuvent être modifiées unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction (ex: nouvelle répartition des horaires de travail au sein d'une même plage horaire allant de 8h à 18h30, Cass. soc., 22 février 2000).

En revanche, tout changement apporté aux éléments ayant une nature contractuelle constitue une «modification du contrat de travail », qui requiert l'accord des parties. C'est pourquoi la rémunération (Cass. soc., 20 octobre 1998), la durée du travail (Cass. soc., 21 mars 2000) ou encore les fonctions du salarié (Cass. soc., 8 octobre 2003) ne peuvent en principe être modifiés unilatéralement par l'employeur, même si le contrat de travail l'a expressément prévu. Ainsi, a été jugé nulle la stipulation permettant à l'employeur de transformer unilatéralement un contrat de travail à temps plein en un contrat de travail à temps partiel (Cass. soc., 29 juin 1999). Plus largement, la Cour de Cassation, s'appuyant sur le principe civiliste selon lequel le contrat ne peut être modifié que du commun accord des parties, énonce que «la clause par laquelle l'employeur se réserve le droit de modifier, en tout ou partie, le contrat de travail est nulle comme contraire aux dispositions de l'article 1134, alinéa 2 du Code civil, le salarié ne pouvant valablement renoncer aux droits qu'il tient de la loi» (Cass. soc., 27 février 2001).
Quant au lieu de travail, tout dépend de la rédaction du contrat. En l'absence d'une stipulation claire et précise prévoyant que le travail se déroulera exclusivement en un ou plusieurs lieux donnés, la mention du lieu de travail n'a que la valeur d'une simple information (Cass. soc., 3 juin 2003). Celui-ci peut dès lors être modifié unilatéralement par l'employeur si le nouveau lieu de travail se situe dans le même «secteur géographique»1 que l'ancien (Cass. soc., 16 décembre 1998). A l'inverse, toute mutation intervenant en-dehors de ce secteur géographique requiert l'accord du salarié.

Par ailleurs, force est de constater que la clause de mobilité, par laquelle le salarié accepte à l'avance le changement de son lieu de travail, échappe, jusqu'à présent, à la rigueur jurisprudentielle décrite ci-dessus. La validité d'une clause prévoyant la faculté pour l'employeur d'imposer une mutation géographique n'est en effet pas remise en cause par les magistrats (cf. notamment Cass. soc., 23 février 2005).

Le recours aux clauses de mobilité doit néanmoins être désormais entouré d'un certain nombre de précautions. Car si, au plan des principes, elles demeurent licites, une attention particulière doit être prêtée à leur rédaction. La Cour de Cassation a en effet récemment considéré qu'une clause stipulant que «pour des motifs dictés dans l'intérêt de la société, le lieu de travail pourrait être modifié sans changement de la rémunération brute», pouvait être déclarée nulle par les juges du fond en raison de «l'absence de limite dans laquelle la mutation pouvait intervenir » (Cass. soc., 19 mai 2004). La portée de cet arrêt inquiétant - mais non publié - ne pourra toutefois être véritablement appréciée qu'à la lecture des prochains arrêt de la Cour de Cassation en la matière.

On constate en outre que si le principe même de la régularité des clauses de mobilité n'est pas remis en cause, les juges sont particulièrement attentifs aux conditions de son utilisation. Il est ainsi intéressant de citer un arrêt du 12 mai 2004 dans lequel la Cour de Cassation a jugé qu'une clause de mobilité ne pouvait s'appliquer qu'aux seuls établissements de l'entreprise existant au jour de la signature du contrat. En conséquence, le licenciement du salarié ayant refusé sa mutation dans un établissement créé postérieurement à la signature du contrat de travail était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Haute juridiction a également précisé que l'utilisation de ce type de clause devait se faire dans le respect du principe de bonne foi contractuelle et qu'elle devait correspondre à l'intérêt de l'entreprise, à charge pour le salarié de démontrer que l'une ou l'autre de ces conditions n'est pas remplie (Cass. soc., 23 février 2005). De plus, la mise en oeuvre d'une clause de mobilité risque de ne pas pouvoir être imposée au salarié lorsqu'elle entraîne une modification d'un élément essentiel du contrat de travail (rémunération, statut conventionnel, ... ; cf. notamment Cass. soc., 15 décembre 2004).

On pourrait de surcroît se demander si la validité d'une telle clause ne devrait pas être appréciée au regard des dispositions de l'article L. 120-2 du Code du Travail, selon lesquelles «nul ne peutapporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché».

Par analogie avec ce qui a été jugé à propos de la clause de non-concurrence, le bien-fondé d'une clause de mobilité que les fonctions exercées par le salarié ne justifieraient pas pourrait alors être mis en cause2. Il n'existe cependant pas, à ce jour, de position de la Cour de Cassation sur ce point. Si, dans le respect de ces contraintes jurisprudentielles, un employeur entend faire jouer une clause de mobilité géographique, il n'est malheureusement pas exclu qu'un salarié s'y oppose si cette mobilité est mise en oeuvre dans un contexte de réorganisation. Il faut en effet rappeler que toute modification du contrat de travail proposée pour un motif non inhérent à la personne et refusée par le salarié peut entraîner le licenciement pour motif économique de l'intéressé, dès lors que son reclassement s'avère impossible (C. trav., art. L. 321-1) avec les conséquences qui en résultent dès lors qu'au moins dix salariés seraient concernés.

Mais en présence d'une clause de mobilité, il est tentant de soutenir que le motif du licenciement est personnel puisqu'il réside dans l'insubordination du salarié qui refuserait de respecter son obligation contractuelle de mobilité. La Cour de Cassation s'était déjà prononcée - certes, dans un domaine un peu différent puisqu'il s'agissait d'un changement d'affectation imposé à un salarié à la suite de la suppression de son poste - pour cette dernière interprétation en énonçant : «le refus par un salarié d'un changement de ses conditions de travail, quel que soit le motif du changement, constitue une faute en sorte que le licenciement présente un caractère disciplinaire» (Cass. soc., 10 octobre 2000, cf. également dans le même sens en cas de mutation géographique mais dans le même «secteur géographique» : CA Paris, 22 novembre 2004, CA de Dijon 22 janvier 2004, confirmé par Cass. soc., 15 mars 20063 et CA de Dijon, 18 janvier 2005).

Cela étant, la Cour d'Appel de Versailles, dans un arrêt remarqué du 30 novembre 2004, a adopté une position contraire. Dans cette affaire, une entreprise avait procédé au transfert d'un de ses services de Clichy à Calais. A cette occasion, elle avait licencié neuf salariés pour motif économique et fait jouer la clause de mobilité stipulée dans le contrat de sept autres. L'un de ces derniers, licencié pour motif personnel après avoir refusé sa nouvelle affectation, avait contesté son licenciement, soutenant que celui-ci était en réalité fondé sur un motif économique.

Telle est précisément l'analyse retenue par les juges du fond : «ce n'est pas le contrat de travail qui est mis en cause par le refus de mobilité du salarié mais l'emploi lui-même qui est supprimé à Clichy et non remplacé à Calais». Tirant toutes les conséquences de cette «requalification» du motif du licenciement, les juges n'ont pas hésité à considérer que, faute pour l'employeur d'avoir appliqué la procédure prévue en cas de licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés sur trente jours - ce qui impliquait notamment l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi - le licenciement était nul. En d'autres termes, le salarié pourrait, selon la Cour d'Appel de Versailles, s'attacher au motif premier et déterminant du déménagement.

Cet arrêt, juridiquement critiquable, reste isolé, notamment au regard des autres décisions précitées. Il souligne cependant les incertitudes qui peuvent entourer la mise en oeuvre collective d'une clause de mobilité et conduit notamment la doctrine à s'interroger sur les conséquences à en tirer4.

En tout état de cause et d'un point de vue pratique, il convient de se demander s'il est opportun de recourir aux clauses de mobilité en cas de réorganisation.

Il apparaît en effet déjà délicat de justifier, d'un point de vue social, par exemple lors d'un déménagement, que certains salariés se voient proposer une modification de leur contrat de travail - qui peut donc être refusée - alors que d'autres seraient mutés d'office sans autre formalité. Cette différence de traitement devient encore plus difficile à gérer si la réorganisation se traduit par la mise en oeuvre de mesures d'accompagnement (dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi...) pour les salariés non liés par une clause de mobilité. Les risques de contentieux, notamment sur le terrain de l'égalité de traitement, deviennent alors patents.

Dans ces conditions, une réflexion préalable sur l'opportunité d'une utilisation collective des clauses de mobilité et sur le traitement des refus paraît indispensable.
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1
Etant relevé que le périmètre de ce «secteur géographique» est apprécié au cas par cas par les juges du fond. Ainsi, une mutation d'Aubervilliers à Malakoff ne constitue pas une modification du contrat de travail (CA Versailles, 26 janvier 1999) ; tel n'est pas le cas lorsque l'entreprise quitte Mitry-Mory pour Rosny-sous-Bois, en l'absence de liaison directe et de connexion aisée entre ces deux sites (CA Paris, 24 février 2000).
2 C'est en effet sur l'article L. 120-2 du Code du Travail que la Cour de Cassation s'est notamment appuyée pour énoncer que la clause de non-concurrence n'est licite que si «elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise» (Cass. soc., 10 juillet 2002).
3 Dans cette affaire, les intéressés, dont le contrat ne comportait pas de clause de mobilité, avaient malgré tout refusé leur mutation au sein du même secteur géographique, décidée à la suite du regroupement des activités de la société. Leur mutation constituait, selon la Cour d'Appel de Dijon, par conséquent un simple changement des conditions de travail, qu'ils ne pouvaient pas refuser.
4 Cf. J.E. RAY «Pour des restructurations socialement responsables», Droit social, mars 2006.
Article paru dans la revue Décideurs n°76 (15/05/06 - 15/06/06)


Authors:

Marie-Pierre Schramm, Avocat, Associée