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Dernières évolutions du forfait fiscal en Suisse

21/06/2011


A un moment où le gouvernement français apporte les dernières touches à son projet de réforme de la fiscalité du patrimoine, il est intéressant de faire un point sur l’évolution de la fiscalité suisse, afin de déterminer si ce pays resterait toujours attractif pour certains contribuables français (fortunés, de préférence).


Premier constat : il existe une compétition historique en termes d’attractivité entre les 26 cantons de la confédération suisse et entre les communes qui les composent. Ainsi, le taux marginal cumulé de l’impôt sur le revenu varie, en 2010, de 18,9% pour la commune de Wollerau, canton de Schwyz, à 46% dans les communes d’Avully, Chancy et Russin, dans le canton de Genève. Le taux marginal de l’impôt suisse sur la fortune varie pour sa part de 0,1% à 1% entre les cantons mentionnés ci-dessus. L’ISF ne constitue donc pas une exception fiscale française, mais son taux actuel s’avère plusieurs fois supérieur à ceux du barème suisse.

Un produit-phare suisse : le forfait

Le régime du forfait est une création helvétique dont l’origine remonte à la fin du 19e siècle (l’un des premiers cantons à l’adopter a été le canton de Vaud en 1862) et avait avant tout un objectif touristique et économique : attirer une riche clientèle internationale, fortement dépensière.

Ce régime est ouvert aux contribuables français (ou d’autres origines, du moment qu’ils ne possèdent pas la nationalité suisse) qui s’installent en Suisse pour la première fois ou qui ont été non-résidents de Suisse pendant au moins 10 ans. Objectif touristique oblige, les candidats au forfait ne doivent pas exercer d’activité lucrative en Suisse.

Une fois ces conditions remplies, le régime applicable est le suivant : le contribuable n’aura pas à déposer une déclaration fiscale mentionnant ses revenus et son patrimoine mondiaux, mais peut négocier avec l’administration helvétique un forfait représentant ses dépenses de vie courantes (frais d’habitation, de domestiques, voitures, bateaux etc.). En pratique, le forfait est calculé de la manière suivante :

  • La base imposable doit être égale à au moins cinq fois la valeur locative de l’habitation suisse du contribuable (forfait dit « simple »). L’administration suisse demande des informations sur l’état général de fortune du candidat au forfait afin de s’assurer que le forfait est adapté à la situation financière globale du contribuable. Les personnes résidentes de France qui envisagent de s’installer en Suisse veilleront à refuser le bénéfice d’une imposition si généreuse et insisteront pour être imposées sur une base plus élevée. En effet, il résulte de l’article 4-6-b) de la convention fiscale franco-suisse que les personnes bénéficiant en Suisse d’une imposition sur la base d’un forfait simple ne bénéficient d’aucune protection conventionnelle, aussi bien à l’égard de la détermination de leur résidence fiscale, qu’à l’égard de la détermination du lieu d’imposition de leurs revenus.
  • De nombreux cantons fixent également une base imposable minimale. Les seuils varient considérablement d’un canton à l’autre et la moyenne est couramment estimée à 250.000 CHF (certains cantons comme Genève fixent une base plancher beaucoup plus importante).
  • Un calcul de contrôle annuel est effectué par l’administration fiscale suisse qui compare la base du forfait d’une part avec le cumul du revenu de source suisse et du revenu de source étrangère au titre duquel l’application des dispositions d’une convention fiscale signée par la Suisse a été requise. Si le montant de « contrôle » excède celui du forfait, il est retenu comme nouvelle base d’imposition. La encore, il s’agit d’une disposition qui doit être prise en compte par les personnes titulaires de revenus de source française. En effet, de tels revenus sont très souvent assujettis à l’impôt en France, en vertu du droit interne français, par voie de retenue à la source opérée par le débiteur des revenus. Tel est le cas par exemple des pensions de retraite (retenue à la source au taux progressif de 0% 12% et 20%), ou des dividendes (retenue à la source de 25%). La convention fiscale franco-suisse prévoit une limitation de la retenue à la source sur les dividendes à 15%, à condition que le résident suisse produise un certificat conventionnel de résidence. De même, la convention (article 20) prévoit une imposition des pensions de retraite (hors emploi public) exclusivement en Suisse, pays de résidence, mais à condition que ces pensions soient effectivement assujetties à l’impôt localement. Dès lors, les résidents suisses peuvent se retrouver face à un choix difficile : renoncer à la protection de la convention au titre de leurs revenus de source française ou inclure ces revenus dans la base de leur forfait helvétique, si l’impôt en résultant est plus avantageux que l’imposition française à la source.
  • La base d’imposition obtenue est assujettie à l’impôt sur le revenu au barème standard communal, cantonal et fédéral. La base d’imposition pour les besoins de l’impôt local sur la fortune est obtenue par voie de capitalisation du revenu retenu comme base du forfait. Le taux usuellement retenu est de 5%, de sorte d’un revenu forfaitaire de 250.000 CHF génère une base imposable de 5.000.000 CHF. Plusieurs cantons n’étendent pas le régime du forfait à l’impôt sur la fortune, qu’ils ne prélèvent pas du tout (ex. Canton de Vaud).
  • Le forfait ne vise pas les droits de donation et de succession, ce qui constitue un désavantage globalement limité, compte tenu de l’exonération applicables aux mutations entre époux ou en ligne directe.

L’avenir du forfait

Même si l’origine du forfait remonte à plus d’un siècle et si les cantons l’ont largement utilisé comme outil de compétition intercantonale, ce régime fiscal voit son degré d’acceptation baisser auprès de la population suisse. Dans un contexte de crise économique, des partis de gauche ont fait de l’égalité fiscale un cheval de bataille et des nationaux suisses fortunés se sentent discriminés face à des étrangers privilégiés par le forfait.

A la surprise générale, un référendum initié à Zurich par un parti minoritaire a abouti a l’abolition du régime du forfait dans ce canton en 2009, avec effet à compter de 2010, ce qui a provoqué un exode massif de bénéficiaires du forfait vers d’autres cantons helvétiques ou vers d’autres pays. Des projets similaires d’abolition sont lancés dans les cantons de St. Gallen, Thurgau, Bale-Ville, Lucerne et Glarus.

Même si ces projets ont peu de chances d’aboutir, le gouvernement fédéral et les directeurs fiscaux des cantons ont tenu à proclamer leur attachement au du régime du forfait. Un projet de loi récemment publié tente ainsi de sauver le forfait en le rendant plus strict : le forfait minimum serait relevé à 7 fois la valeur locative de l’habitation suisse et une base d’imposition minimale de 400.000 CHF serait introduite. L’impôt sur la fortune serait également inclus dans le forfait, qui pourrait être réservé aux seules personnes n’ayant aucune activité lucrative, en Suisse ou hors de Suisse (ce qui conduirait à réserver le bénéfice du régime aux seuls retraités et/ou rentiers).

Les Français installés ou souhaitant s’installer en Suisse pourraient avoir à subir l’impact d’une telle réforme : ils devraient nécessairement négocier une base d’imposition plus forte que le forfait au quotient de 7, ce qui pourrait générer un certain surcoût fiscal. La base d’imposition minimum de 400.000 CHF ne devrait pas, en pratique, avoir d’impact sur les contribuables fortunés, ayant dès à présent une base d’imposition supérieure. Certains des contribuables français pourraient également s’interroger sur l’opportunité de ne pas opter ou de renoncer au forfait pour être imposable selon les règles de droit commun dans un canton ayant des taux d’imposition attractifs. En effet, certains cantons offrent dès à présent un taux marginal cumulé de l’impôt sur le revenu inférieur à 20% et un taux marginal d’imposition de la fortune à 0,1%. Une imposition de droit commun permettrait également de bénéficier sans restriction de l’ensemble des dispositions de la convention fiscale franco-suisse et notamment d’une exonération de retenue à la source sur les pensions ou dividendes de source française.

Une réforme ou une abolition du forfait pourraient donc n’avoir qu’un impact très limité sur le choix d’une installation sur le territoire helvétique. En effet, les personnes intéressées confient souvent qu’au-delà de l’avantage fiscal, elles sont essentiellement sensibles à la sécurité et à la stabilité politique et fiscale offertes par ce pays. Dans la droite lignée de la longue tradition de stabilité et de consensus suisse, les réformes sont bien plus rares qu’en France, elles sont annoncées et discutées publiquement à l’avance, de sorte que les contribuables ont une visibilité sur leur charge fiscale sur plusieurs années ; il est difficile d’en dire autant des mesures fiscales françaises.


David Hurlimann, avocat associé, CMS von Erlach Henrici et
Dimitar Hadjiveltchev, avocat, CMS Bureau Francis Lefebvre

Article paru dans la revue Option Finance du 2 mai 2011

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Dimitar Hadjiveltchev
Associé
Paris