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Eclaircissement sur les fiscalités applicables à Saint Barthélemy

Interview de Michel Collet par le Journal de Saint Barth

12/10/2010

Sollicité en tant que conseil par le Conseil économique, social et culturel de Saint Barthélemy, Michel Collet, avocat associé, était récemment de passage sur l’île. L’occasion pour le Journal de Saint Barth de l’interviewer. Et grâce à son expertise, d’apporter de très précieux éclaircissements sur les règles et codes applicables en matière de fiscalité sur le territoire de la Collectivité. Etat des lieux ci-dessous.

Journal de Saint Barth : On entend de plus en plus parler de vous à Saint-Barthélemy où votre expertise en matière fiscale fait référence.

Michel Collet: Le Conseil économique, social et culturel me fait l’honneur de me solliciter sur certaines problématiques fiscales ce qui me donne l’occasion, dans le cadre de séances de travail, de rencontrer in situ les différents acteurs économiques et politiques de Saint-Barthélemy. J’avais déjà eu l’occasion de me familiariser avec l’environnement fiscal de Saint-Barthélemy à travers des clients américains lorsque j’étais en charge de notre bureau de New York entre 2002 et 2007. Mon souhait est de pouvoir enrichir la réflexion du CESC sur les différents chantiers lancés et défis passionnants qui se présentent à votre jeune et ambitieuse Collectivité.

Journal de Saint Barth : Vous avez accepté d’apporter des éclaircissements sur la fiscalité à Saint-Barthélemy. Commençons en prenant l’exemple d’un résident fiscal dont les revenus sont générés par une activité à Saint-Barthélemy et/ou les biens exclusivement situés ici. Quelle est la fiscalité ou les fiscalités qui lui est applicable ?

Michel Collet : Avec le statut de Collectivité d’Outre Mer, Saint-Barth s’est vue reconnaître une souveraineté fiscale distincte de celle de l’Etat ou de la «France fiscale» dirons nous. Dans notre entretien, le terme France se référera à la France fiscale par opposition à Saint- Barthélemy.

Ainsi, une personne physique considérée comme domiciliée fiscalement à Saint-Barthélemy sera soumise aux dispositions du code des Contributions de Saint-Barthélemy sur les revenus locaux, sans application de la fiscalité française, s’agissant notamment de l’impôt sur le revenu et l’impôt sur la fortune. Les personnes considérées comme domiciliées sont celles qui disposent sur l’île de leur «foyer» ou, à défaut, qui y est le lieu de leur séjour principal, ou le centre de leurs intérêts économique depuis 5 ans, en application du code des Contributions. Les critères de résidence correspondent à ceux du Code Général des Impôts, ce qui devrait donc être une source intéressante d’interprétation en cas d’interrogation.

Les entreprises qui exercent une activité sur l’île sont soumises à la contribution forfaitaire annuelle des entreprises (Cfae). Cette contribution étant assise sur le nombre de salariés de l’entreprise, elle ne distingue pas selon l’origine géographique des profits.

Les entreprises considérées comme résidentes fiscales de Saint-Barthélemy sont celles qui y ont leur siège de direction effective (à supposer qu’il ne corresponde pas au siège statutaire) depuis 5 années au moins, ou à défaut de remplir cette condition de 5 ans, celles qui sont contrôlées par une ou plusieurs personnes physiques, elles-mêmes domiciliées fiscalement à Saint-Barthélemy.

En ce qui concerne les revenus de source extérieure à la Collectivité, à savoir provenant d’un pays étranger, de France (métropole et DOM) ou d’une autre COM, ils ne sont généralement pas imposables à Saint-Barthélemy, en application du code des Contributions. L’impôt sur les plus-values immobilières par exemple n’est susceptible d’être prélevé qu’au titre de cession d’immeubles situés sur le territoire de la Collectivité. Attention cependant en matière de donation ou succession. Les droits applicables en application du code des Contributions peuvent être assis également sur les biens localisés en dehors du territoire de la Collectivité au cas où le donateur ou le de cujus était domicilié à Saint- Barth au moment de de la donation ou du décès ou à défaut, si le donataire ou légataire est domicilié à Saint- Barth.

Certains se sont interrogés sur le point de savoir si les revenus de source étrangère comme nous venons de le définir étaient susceptibles d’être soumis aux impôts français dès lors que le code de Contributions renonçait à les fiscaliser. Il me semble que la réponse est clairement négative dès lors que la loi organique a prévu le transfert d’une compétence fiscale pleine et entière. Une exception cependant : lorsque les revenus trouvent leur source en France. Dans ce cas, la fiscalité française applicable aux non résidents au titre de revenus «de source française» est alors applicable.

Journal de Saint Barth : Vous voulez dire, par exemple, que les revenus de source américaine d’un résident fiscal de Saint Barth ne sont pas taxables en France ?

Michel Collet : Tout à fait. En revanche, la fiscalité du pays de source (en l’occurrence les Etats-Unis) est susceptible d’être appliquée sans les atténuations parfois offertes par le jeu d’une convention fiscale sauf pour la Collectivité à développer un réseau conventionnel. Les conventions fiscales signées par la France avec les pays étrangers ne devraient pas, me semble t-il, être applicables aux personnes résidentes fiscales de Saint-Barth.

En l’état, une gestion fiscale efficace du patrimoine devrait donc conduire à investir dans des Etats ou territoires où la fiscalité de source applicable aux non résidents est très réduite, voire nulle.

Journal de Saint Barth : Revenons sur les règles d’imposition avec la France: je suis résident fiscal de Saint-Barthélemy et je dispose de revenus générés par une activité en métropole et/ou de biens sur le territoire français. Quelle fiscalité s’applique à moi ?

Michel Collet : Du point de vue fiscal français, un résident fiscal de Saint-Barthélemy est traité comme un non résident, au même titre qu’un résident d’un état étranger. Comme ces derniers, la fiscalité française s’applique donc aux revenus qui ont leur source en France ou sur la fortune qui y est située.

Par exemple, sont donc taxables en France, les revenus locatifs tirés d’un immeuble situé en France, les revenus de valeurs mobilières françaises et plus généralement de capitaux mobiliers situés en France, ou encore les revenus d’exploitation située en France. Les traitements et salaires versés à une personne résidente fiscale de Saint-Barthélemy en contrepartie d’une activité exercée en France (même si l’employeur n’est pas résident de France), sont également imposables en France.

De la même manière, les sommes payées en rémunération de prestations de toute nature fournies ou utilisées en France par un débiteur «français» à une personne résidente fiscale de Saint-Barthélemy qui ne possède pas en métropole ou dans un DOM une installation fixe d’affaires doivent être imposées en France.

L’ISF est susceptible d’être dû en France sur des immeubles qui y sont possédés ou certains titres de participation, si la valeur nette totale de ces biens était supérieure à 790.000 euros.

Journal de Saint Barth : Vous êtes en train de nous dire que les revenus de source française sont taxables en France. Qu’en est il dès lors des retraités ou des fonctionnaires ?

Michel Collet : En ce qui concerne les retraités, le code des Contributions prévoit qu’ils ne doivent être imposés que sur le territoire de la Collectivité. Mais le code des Contributions n’a pas autorité en matière de fiscalité française et étrangère. Le code Général des impôts impose les pensions de retraite payées à des personnes non résidentes lorsqu’elles sont payées par un débiteur établi en «France», comme une caisse ou un organisme situés en métropole ou dans un DOM. La convention fiscale pourrait être le support et l’occasion pour l’Etat de renoncer à prélever l’impôt sur les pensions de retraites de source française payées à des personnes résidentes fiscales de Saint-Barthélemy, comme les conventions fiscales signées par l’Etat avec Mayotte, Saint Pierre et Miquelon et la Polynésie Française le prévoient.

En ce qui concerne les agents de l’Etat, le droit interne français conduit à les imposer en France, tant qu’ils sont résidents fiscal de France; ce qui devrait être le cas pendant la période de 5 ans d’installation sur l’île. La convention fiscale pourrait ici encore être l’occasion de prévoir une solution différente, comme l’imposition dans le territoire d’exercice, même si cette solution est rarement retenue par l’Etat.

Journal de Saint Barth : Après avoir clarifié la situation de résident, quid des «néo résidents», ceux qui résident Saint Barthélemy depuis moins de 5 ans ?

Michel Collet : Les «néo résidents » sont traités comme des résidents fiscaux de France. Pour les revenus ou la fortune trouvant leur source sur le territoire de la Collectivité, les néo-résidents seront également taxables à Saint-Barthélemy - comme n’importe quelle personne non résidente de Saint- Barthélemy- lorsque le code des Contributions rend exigible une imposition pour ces personnes. C’est le cas en matière de plus-value immobilière sur des immeubles localisés sur le territoire de la Collectivité. Un phénomène de double imposition est susceptible de s’en suivre, puisque le «néo-résident» devrait être taxé également en «France» sur le même revenu. Les résidents fiscaux de France sont en effet imposés sur leurs revenus de source mondiale. En application de la loi organique, l’impôt français sera réduit de l’impôt prélevé à Saint-Barthélemy. Aucun remboursement ne sera accordé au cas, probable en matière immobilière, où l’impôt de Saint-Barthélemy devait être supérieur à l’impôt français. Enfin, notons que les ressortissants français comme étrangers sont susceptibles d’être considérés comme «néo-résidents».

En ce qui concerne les personnes n’ayant pas été résidents fiscaux de France pendant les 5 années ayant précédées leur «installation» sur l’île, des mesures fiscales françaises favorables sont susceptibles de s’appliquer comme l’exonération d’ISF sur les biens étrangers pendant 5 ans, ou encore les exonérations applicables aux personnes s’installant pour des raisons professionnelles, en application du régime dit des impatriés par exemple. En cas de conflit de résidence avec le précédent pays de résidence fiscale de l’intéressé ou d’interrogation concernant l’imposition de revenus de source étrangère, il conviendra, me semble t-il, de se reporter à la convention fiscale signée entre la France et le pays étranger en question pour trancher le litige ou déterminer les modalités d’imposition du revenu en question.

Journal de Saint Barth : Un néo résident est donc soumis à toutes les obligations fiscales prévues par le CGI. Mais bénéficie-t-il de l’abattement de 30% accordé aux contribuables guadeloupéens s’agissant de l’impôt sur le revenu ?

Michel Collet : A ma connaissance, en l’état actuel du droit positif, c’est la fiscalité métropolitaine qui devrait s’appliquer, même s’il me semble que la France ne s’opposerait pas à l’application de la fiscalité applicable aux personnes vivant en Guadeloupe. La convention fiscale pourrait formaliser cette mesure.

Journal de Saint Barth : Vous avez clarifié la situation des résidents, quid maintenant des investisseurs ?

Michel Collet : En ce qui concerne les investisseurs étrangers, hormis leur fiscalité propre ou celle de leur structure d’investissement, ils devraient être soumis à la fiscalité de la Collectivité, sauf à utiliser des sociétés créées sur place et qui ne seraient pas considérées comme résidentes fiscales de la Collectivité mais de France.

Journal de Saint Barth : Quid des investisseurs français ?

Michel Collet : A priori, la fiscalité française s’applique à plein dès lors que les conditions de résidence ne sont pas remplies. Le cas échéant, la fiscalité de Saint-Barthélemy leur sera également applicable. La convention fiscale pourrait mettre sur un pied d’égalité les entreprises résidentes de Saint- Barthélemy et les entreprises françaises ayant un établissement stable sur l’île depuis plus de 5 ans, en réservant à la Collectivité le droit exclusif d’imposer les résultats de l’établissement stable.

Journal de Saint Barth : En vertu de tout ce que nous venons de voir, une convention fiscale vous semble t’elle aujourd’hui nécessaire ?

Michel Collet : A la lecture de la loi organique, il me semble qu’une convention fiscale s’impose. La loi organique prévoit que les modalités d’application des dispositions fiscales seront précisées par une convention fiscale. La révision de loi organique 2010-93 du 25 janvier 2010 proposée par Monsieur le sénateur Michel Magras et tendant à confirmer le droit de Saint-Barthélemy d’imposer les revenus de source locale entre les mains de résidents français et «néorésidents » a confirmé l’existence d’une double imposition possible entre la fiscalité française et celle de Saint-Barthélemy. Le législateur a également prévu un système temporaire de résolution des phénomènes de double imposition dans l’attente de la convention fiscale avec l’octroi d’un crédit d’impôt dans le territoire de résidence, au titre de l’impôt payé dans le territoire de source. Ce dispositif vise essentiellement les personnes physiques résidentes de France au titre de l’imposition à Saint-Barth des plus-values immobilières qui y seraient dégagées. Ainsi, leur impôt dû en France sur le même gain serait réduit par l’impôt payé à Saint-Barth. Dès lors que les deux piliers sous jacents de la convention fiscale, à savoir résolution des phénomènes de double imposition et lutte contre la fraude fiscale (avec l’accord d’assistance administrative mutuelle en matière fiscale signé le 14 septembre dernier) sont déjà en place, la convention fiscale pourrait constituer un outil ou support d’avancées et de clarifications fiscales entre les deux territoires.

La convention fiscale devrait prévoir de manière précise les mécanismes de résolution des phénomènes de double imposition par type de revenu et d’impôt, comme en matière de droits de donation et de succession. Elle pourrait également clarifier certains points, voire prévoir des solutions spécifiques et favorables à Saint-Barth en matière de retraite, de rémunération des agents de l’Etat, d’imposition des «néo-résidents», d’imposition des entreprises etc., non applicables en l’absence de convention fiscale. Enfin, elle pourrait également clarifier l’application de certains dispositifs anti-abus prévus par le code Général des impôts.

Journal de Saint Barth : A l’égard des états étrangers, quelle est la situation de Saint Barth? Peut on et doit-on signer des conventions fiscales avec des pays tiers ?

Michel Collet : En raison de la souveraineté fiscale accordée à Saint-Barthélemy, la Collectivité pourrait effectivement signer des conventions fiscales avec des états étrangers, en associant, bien évidemment l‘Etat français (seul compétent en matière diplomatique); l’idée pourrait être de rendre plus attractive la fiscalité de Saint-Barthélemy pour des investisseurs étrangers. La convention fiscale pourrait prévoir, par exemple, un taux réduit sur les plus-values immobilières ou/et un système de crédit d’impôt permettant aux résidents étrangers de créditer l’impôt prélevé à Saint-Barthélemy contre l’impôt payé dans leur Etat de résidence sur le même gain. Dans les pays dont le droit fiscal ne prévoit pas une telle mesure, cela pourrait éviter aux résidents de ces pays de ne pas être pénalisés. Enfin, les conventions bilatérales pourraient permettre d’établir un système d’échange de renseignement efficace entre la Collectivité et les Etats étrangers, outil indispensable pour lutter contre la fraude fiscale. Il est important de pouvoir collecter des informations auprès des états étrangers, essentiellement en ce qui concerne les investissements immobiliers réalisés indirectement à travers des sociétés étrangères afin que le dispositif anti-abus prévu par le code des Contributions soit pleinement efficace. L’accord d’assistance signé avec la France devrait pouvoir être une première avancée en matière d’échange de renseignements si la France est en mesure de demander des renseignements à ses partenaires étrangers; soit sur la base de son réseau conventionnel, soit en application du droit de l’Union européenne au bénéfice de la Collectivité.

Journal de Saint Barth : Avez-vous connaissance d’autres collectivités françaises qui auraient signé des conventions fiscales avec des états étrangers ?

Michel Collet : A ma connaissance, non. Saint-Barthélemy pourrait ouvrir la voie.

Journal de Saint Barth : Compte tenu de votre grande expérience de fiscaliste international, est-il intéressant de se délocaliser à Saint-Barthélemy uniquement pour des raisons fiscales ?

Michel Collet : on pourrait être tenté de le penser en raison de la fiscalité indéniablement avantageuse de Saint-Barthélemy. Je ne peux néanmoins m’empêcher d’être réservé pour les raisons suivantes: la première, est la nécessaire condition d’installation préalable pendant 5 ans sur le territoire de la Collectivité. La seconde, est l’absence d’un réseau conventionnel qui se traduira, très probablement, par une pénalisation de la fiscalité à la source des biens et des revenus étrangers et français des personnes se délocalisant à Saint-Barthélemy. Car quand on parle de délocalisation fiscale, on parle de populations qui ont généralement des fortunes et de sources de revenus internationales. Enfin, il y a l’éloignement. Selon moi, une délocalisation ne peut être efficace que si l’on établit réellement son foyer, sa vie à Saint-Barthélemy, ce qui est susceptible de poser problème. Pour conclure sur le sujet, je dirai qu’en matière de changement de résidence fiscale vers l’étranger, il existe des pays à 1h30 de Paris en train où l’on trouve des solutions très avantageuses, tant en terme de fiscalité proposée localement qu’en application de réseaux très complets de conventions fiscales.

Interview de Michel Collet, avocat associé parue dans le Journal de Saint-Barth en septembre 2010


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