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La clémence accordée à une filiale n’a pas vocation à bénéficier à son ancienne société mère qui ne l’a pas sollicitée

Lettre Concurrence/Economie - Janvier 2019

31/01/2019

Le droit de la concurrence appréhende les groupes de sociétés comme des unités économiques, ce qui permet notamment aux autorités de concurrence d’imposer une solidarité de la société mère voire de la société grand-mère de l’auteur d’une infraction aux règles de concurrence.

Jusqu’à présent, on avait pu penser que s’agissant d’une responsabilité solidaire, l’amende de la mère ne pouvait pas excéder celle imposée à sa fille. C’était sans compter sur la politique de sanction des autorités de concurrence, qui indiquent depuis plusieurs années souhaiter pousser les têtes de groupe à engager des démarches de clémence pour purger les risques de concurrence qu’elles identifient au sein de leurs filiales.

La Cour de cassation a confirmé que la demande de clémence formulée par une filiale ne bénéficie pas à son ancienne société mère avec laquelle elle ne forme plus une unité économique au moment de cette demande.

Dans cette affaire, l’Autorité de la concurrence avait reçu plusieurs demandes de clémence concernant des pratiques d’entente dans le secteur de la distribution de produits chimiques. A l’issue de son instruction, elle avait sanctionné quatre entreprises et leurs sociétés mères au moment de l’infraction.

La société Solvadis était la première à avoir sollicité la clémence de l’Autorité et avait à ce titre bénéficié d’une immunité totale d’amende. Or, elle avait changé de contrôle entre la commission de l’infraction et la demande de clémence, de sorte que le bénéfice de la clémence avait été refusé à la société GEA, sa société mère au moment des faits, dans la mesure où celle-ci n’avait pas elle-même sollicité le bénéfice de la procédure de clémence sur le fondement de l’article L. 464-2, IV du Code de commerce. La société GEA s’était donc trouvée redevable d’une amende de près de 10 millions d’euros, tandis que son ancienne filiale était exonérée d’amende.

Dans une décision du 10 juillet 2018, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait à son tour refusé l’extension à l’ancienne société mère du bénéfice de la clémence obtenue par Solvadis.

Dans son pourvoi, la société GEA avait développé principalement deux arguments.

Le premier argument résidait dans le principe d’autonomie procédurale des Etats membres en vertu duquel, en l’absence de règles d’harmonisation, il appartient à chaque Etat membre de déterminer les modalités procédurales des recours destinés à sauvegarder les droits résultant pour les particuliers ou les entreprises de l’effet direct du droit européen.

GEA soutenait ainsi qu’en vertu de ce principe, l’Autorité n’aurait pas dû appliquer le « principe de procédure » dégagé en droit européen selon lequel l’ancienne société mère qui n’a pas elle-même fait la démarche de clémence ne peut prétendre au bénéfice de la clémence obtenue par son ancienne filiale.

La Cour de cassation a estimé que, dans le silence du droit national, le principe d’autonomie procédurale n’interdit pas à l’Autorité, eu égard au principe d’effectivité du droit de l’Union européenne, d’interpréter le droit national en s’inspirant des solutions issues de la jurisprudence européenne.

Dans une seconde série d’arguments, GEA défendait que la responsabilité de la société mère étant une responsabilité solidaire, elle ne pouvait être condamnée au paiement d’une sanction pécuniaire pour le comportement de son ancienne filiale plus importante que celle qui était mise à la charge de cette dernière, auteur des faits. Elle soutenait que l’obligation solidaire n’était qu’une simple garantie de paiement et que sa responsabilité était accessoire, dérivée et dépendante de celle de sa filiale.

Cet argument a été rejeté par la Cour de cassation qui a au contraire relevé que la condamnation d’une société mère se justifie par l’influence déterminante que cette société est censée exercer sur sa filiale.

La Cour de cassation a rappelé à l’occasion de cet arrêt qu’une société mère à laquelle sont imputées des pratiques commises par sa filiale est considérée comme ayant participé à la mise en œuvre de ces pratiques et peut être sanctionnée par une amende d’un montant supérieur à celle de sa filiale qui a choisi de coopérer avec l’Autorité de la concurrence.

Elle s’était déjà prononcée dans un sens similaire dans l’affaire des déménagements militaires en Martinique le 18 octobre 2017, s’agissant du bénéfice de l’ancienne procédure de non-contestation des griefs. Elle y avait en effet validé le raisonnement de la cour d’appel de Paris selon lequel une société mère à laquelle était imputable l’infraction de sa filiale pouvait se voir imposer une sanction d’un montant supérieur à celui de sa filiale qui avait choisi de ne pas contester les griefs qui lui avaient été notifiés.

Cet arrêt est une incitation de plus, pour les groupes s’engageant dans un processus de cession d’une filiale, à faire des choix stratégiques s’agissant des risques de concurrence identifiés au sein de cette filiale avant la cession.

Cass. com. 10 juillet 2018 n° 17-13973 et 17-14110


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Auteurs

Virginie Coursiere-Pluntz