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Loi de validation d’une imposition écartée par la jurisprudence

24/09/2009

Elle crée une atteinte aux biens susceptible de contrevenir à la convention européenne des droits de l’homme

I. Le droit à un procès fiscal équitable en est encore au stade des aspirations

Suivant l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et dans un délai raisonnable par un tribunal qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit sur le bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Un procès est-il encore équitable, au sens de l'article 6 susvisé, dans le cas où, pendant son déroulement, la loi vient modifier, avec effet rétroactif, les règles dont le juge devra faire application ?

La position de la Cour européenne des droits de l’homme à cet égard est constante : le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 susvisé s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige.

Mais les contribuables qui pâtissent de cette ingérence n'ont aucun recours devant la CEDH, sauf pour faire tomber d'éventuelles pénalités. Le fiscal est jugé par elle se situer hors de la sphère des contestations de caractère civil.

II. Le refus de restituer un impôt indu peut, en revanche, constituer une atteinte aux biens

Les plaignants sont conduits en pareille circonstance à invoquer l’article 1er du premier protocole additionnel de la convention aux termes duquel :

"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou amendes".

Les nombreuses requêtes présentées sur ce fondement contre des lois venues couvrir des irrégularités de procédure ont échoué.

Les juges seraient-ils plus attentifs à la frustration des contribuables qui ont acquitté une imposition qui n’était pas due au regard des règles d’assiette en vigueur au moment où ils s’en sont libérés et voient leur demande de restitution contrariée par la survenance, au cours du contentieux, d’une loi tendant à réformer rétroactivement la règle d’assiette ?

La situation est ici fondamentalement différente. Avant l’adoption de la loi en cause, les intéressés peuvent légitimement se considérer comme étant titulaires d’une créance sur l’Etat.

III. Les juges s'engagent dans une jurisprudence réparatrice

Cette évolution s’est dessinée à propos de l’attribution du fardeau de la taxe professionnelle sur les équipements qu’un industriel confie gratuitement à des sous-traitants pour l’exécution de commandes. La doctrine administrative avait décidé d’assujettir le propriétaire, position que certains ont contestée jusqu’à obtenir du Conseil d’Etat, le 19 avril 2000, un arrêt de principe conforme à leur thèse. L’Administration a néanmoins confirmé sa position en mars 2003 puis suscité le vote d’une disposition validant rétroactivement sa doctrine (art. 59 de la loi du 30 décembre 2003).

Le TA de Paris a tranché le 11 décembre 2006 le cas d'une société qui s’était taxée en 1996 et en 1997 sur la valeur d’outillages qu’elle avait confiés à des sous-traitants, avait demandé la restitution de l’impôt correspondant et, suite au refus de l’Administration, saisi le Tribunal, le 26 janvier 2000. Au moment de son dépôt, cette requête était fondée puisque quelques mois plus tard le Conseil d’Etat allait reconnaître la légitimité de la position soutenue. Mais au moment de statuer (novembre 2006), le TA ne pouvait faire abstraction de la disposition législative venue dans l’intervalle paralyser les effets de la jurisprudence favorable.

La société a sollicité le bénéfice de la protection offerte par le protocole additionnel et obtenu satisfaction.

En application de la loi, telle qu’interprétée par la jurisprudence, elle pouvait se prévaloir à la date de l’adoption de la loi du 30 décembre 2003 d’un droit à obtenir la décharge demandée. Sa créance, compte tenu de la certitude avec laquelle elle pouvait s’attendre à voir sa demande contentieuse satisfaite, présente le caractère d’un bien au sens des stipulations de l’article 1er du protocole additionnel.

Si ces stipulations ne font, en principe, pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, c’est à la condition de ménager un juste équilibre entre l’atteinte portée à ces droits et les motifs d’intérêt général susceptibles de la justifier.

Or aucune des nombreuses justifications avancées par l'Administration ne paraît en la circonstance faire pencher le fléau de la balance en faveur de l'intérêt général.

Plusieurs TA ont depuis lors statué dans le même sens. C’est le cas de celui de Besançon dont le jugement vient approuvé par la CAA Nancy qui souligne que ni la volonté d'éviter un transfert de charges entre les collectivités locales en fonction du redevable de la taxe professionnelle, ni un éventuel "aléa contentieux" ne constituent des motifs d'intérêt général de nature à justifier l'atteinte portée aux droits de la société requérante par la privation rétroactive de son droit à restitution des cotisations indûment établies.

IV. Et les droits nés d'un revirement de jurisprudence ?

On garde en mémoire qu'après trente ans d'application, la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice soumis à vérification a été abandonnée par le Conseil d'Etat dans un arrêt d'assemblée du 7 juillet 2004 et a resurgi fin 2004 sous la forme d'une disposition législative (4 bis de l'article 38 du CGI) déclarée applicable pour le règlement des litiges ayant trait aux impositions établies avant le 1er janvier 2005.

Ainsi les entreprises qui s'étaient fait redresser avant juillet 2004 sur la base de cette règle ont-elles vu naître l'espoir d'être déchargées du rappel correspondant (connaissance prise de l'arrêt du 7 juillet 2004) puis ont vu quelques mois plus tard cet espoir s'évanouir. Etaient-elles fondées à se plaindre que la loi est venue les priver anormalement d'une créance ?

La réponse apportée par le Conseil d'Etat à cette question est négative en dépit d'un élément encourageant.

La Haute Assemblée reconnaît en effet, et pour la première fois, qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien. Cette indication est rassurante sur l'issue des litiges que nous venons d'évoquer en matière de taxe professionnelle.

Mais elle décide qu'aucune espérance légitime n'a pu naître de la survenance, au cours de l'instance, d'une décision rompant avec une jurisprudence ancienne et constante alors que, en outre, le Gouvernement avait fait connaître, au lendemain du prononcé de ladite décision, son intention d'en restreindre les effets.

Le Conseil d'Etat juge ainsi que le revirement opéré par sa décision du 7 juillet 2004 n'a constitué qu'une péripétie dans le conflit qui opposait la société requérante à l'administration fiscale, conflit qui s'était noué à une époque où la société ne tirait de la jurisprudence aucun espoir de voir sa cause prospérer et s'était résolu après une remise en ordre législative tendant à perpétuer la jurisprudence ancienne. On doit donc penser que dans un cas où, en l'absence de tout revirement de jurisprudence, le législateur viendrait remettre en cause rétroactivement l'application d'une jurisprudence constante, ce qui pourrait se produire à propos d'une jurisprudence naissante issue de quelques décisions concordantes, l'existence d'une espérance légitime serait incontestable.

Arrêt CAA Nancy du 5 mars 2009 n° 07-1768 et arrêt CE du 19 novembre 2008 n° 292948

Par Jean-Yves Mercier, Avocat associé

Article paru dans la revue Option Finance du 15 juin 2009