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Organiser une compétition d’e-sport

Nos avocats font le point sur les autorisations à obtenir des ayants-droit

11/12/2019

Le 10 novembre 2019, Paris accueillait la finale des mondiaux du jeu vidéo League of Legends. Cet événement planétaire offre l’occasion à nos avocats de revenir sur les autorisations requises pour l’organisation d’une compétition d'e-sport.

Avec plus de 100 millions de téléspectateurs, la finale 2019 des mondiaux de League of Legends figure parmi les compétitions d’e-sport les plus visionnées. L’engouement pour ce type de compétition a largement dépassé le simple cercle d’initiés pour gagner le grand public.

Ce succès, non démenti depuis plusieurs années, a conduit le parlement français à réglementer cette pratique. La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a légalisé l’organisation de compétitions « confrontant, à partir d’un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire » (articles L.321-9 à 11 du Code de la sécurité intérieure),

Le législateur a ainsi confirmé la licéité de l’e-sport (sous réserve de respecter certaines conditions) alors qu’un doute existait au regard de la prohibition de principe des loteries.

Il a également simplifié l’embauche en contrat à durée déterminée de joueurs professionnels par les écuries d’e-sport.

Il n’a cependant pas abordé la question des droits éventuels sur ces compétitions.

À la différence d’un sport traditionnel, un jeu vidéo est susceptible d’être qualifié d’œuvre de l’esprit, dès lors qu’il est jugé original. Organiser et diffuser une compétition d’e-sport nécessite donc d’obtenir l’autorisation de plusieurs ayants-droit, et notamment en premier lieu de l’éditeur du jeu vidéo objet de la compétition.

L’éditeur du jeu vidéo au centre de l’événement

Dans leur configuration habituelle, les compétitions d’e-sport réunissent plusieurs participants ou équipes de participants qui s’affrontent lors d’une partie de jeu vidéo dont les images sont diffusées sur grand écran devant un public.

Ces images sont généralement retransmises simultanément sur les plateformes de streaming en direct (telles que Twitch, Mixer ou O’Gaming).

L’organisation et la diffusion d’une compétition de jeux vidéo constituent a priori « une communication de l’œuvre au public » soumise à autorisation au sens de l’article L.122-2 du Code de la propriété intellectuelle, même si une décision de la Cour de justice de l’Union européenne a pu considérer le contraire à propos de la télédiffusion de l’interface graphique d’un programme d’ordinateur (CJUE, 22 décembre 2010, C-393/09). L’autorisation de l’éditeur du jeu devrait donc être sollicitée pour l’organisation et la diffusion d’une compétition d’e-sport. Elle pourra porter sur un ou plusieurs tournois (voire sur plusieurs années) et sur un ou plusieurs territoires, et être assortie ou non d’une exclusivité.

Le droit privatif qu’il détient sur le jeu vidéo objet de la compétition place l’éditeur du jeu dans une position centrale. Il est alors tentant pour celui-ci d’organiser lui-même les compétitions portant sur son jeu.

C’est ainsi que l’organisateur des mondiaux de League of Legends n’était autre que Riot Games, l’éditeur du jeu lui-même. Blizzard Entertainment, éditeur du jeu vidéo Overwatch, organise, quant à lui, la compétition Overwatch League.

Que l’organisateur de la compétition soit l’éditeur lui-même ou une entité tierce, il devra, en tout état de cause, solliciter l’autorisation des participants avant de fixer leur image et/ou leur interprétation.

Les droits du joueur sur son image et son interprétation

Si la loi du 7 octobre 2016 a accordé aux joueurs professionnels de e-sport un statut particulier en droit du travail, elle n’a cependant pas traité des éventuels droits des joueurs sur la compétition.

À défaut de régime spécifique à l’e-sport, le droit commun s’applique. L’organisateur doit ainsi obtenir l’autorisation du joueur de diffuser son image sur des plateformes de streaming en direct ou à la télévision par exemple.

Il convient, à cet égard, de s’interroger sur la reconnaissance, au profit du joueur, du droit d’artiste-interprète décrit aux articles L.212-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Les sportifs traditionnels sont exclus de cette protection car ils n’exécutent pas une œuvre de l’esprit au sens de la propriété intellectuelle. En effet, le déroulement d’un match de football par exemple ne repose que sur les règles du jeu, sans scénario préétabli.

En revanche, le jeu vidéo étant une œuvre de l’esprit, un joueur d’e-sport pourrait potentiellement être qualifié d’artiste-interprète et bénéficier ainsi de droits sur son interprétation, notamment celui d’autoriser la fixation et la communication au public de celle-ci.

Le fait que le joueur n’apparaisse pas dans le jeu vidéo ne semble pas a priori dirimant. Un musicien dispose, en effet, d’un droit sur son interprétation faisant l’objet d’un enregistrement sonore alors que seul le son réalisé à l’aide de son instrument (mais pas son image ni sa voix) figure dans l’enregistrement. En ce sens, notons que la cour d’appel de Paris a déjà reconnu la qualité d'artiste-interprète à un musicien ayant usé d'un ordinateur pour jouer la mélodie qu’il venait de composer (CA Paris, 4e ch. A, 3 mai 2006, n° 05/01400).

Reste à savoir si les tribunaux considéreront que, tout comme un musicien ou un acteur interprète une œuvre, le joueur d’e-sport est susceptible de réaliser une interprétation personnelle du jeu vidéo lors de la compétition.

Quoi qu’il en soit, un troisième ayant-droit pourrait à terme s’immiscer dans le paysage.

Les fédérations sportives

Aujourd’hui, l’e-sport n’est pas considéré juridiquement comme une pratique sportive en droit français. Les dispositions de la loi du 7 octobre 2016 ont d’ailleurs été codifiées dans le Code de la sécurité intérieure et non dans le Code du sport.

Les différents acteurs de l’e-sport, tant amateurs que professionnels, sont représentés depuis 2016 par l’association France Esport qui a pour objet « de développer, promouvoir, encadrer la pratique des sports électroniques dans un esprit d’équité et d’épanouissement humain, s’inscrivant dans les valeurs et les principaux fondamentaux de l’Olympisme ».

Il ne s’agit cependant pas d’une fédération sportive au sens des articles L.131-1 et suivants du Code du sport.

En pratique, les frontières entre sport et e-sport semblent néanmoins peu à peu devenir poreuses. Pour ne citer que quelques exemples :

  • à l’international, l’organisateur des prochains jeux asiatiques de 2022 a ainsi inclus des épreuves d’e-sport dans cette compétition multi-sports ;
  • en France, de nombreux clubs de sport « traditionnels », tel que le Paris-Saint-Germain, ont mis en place des équipes de joueurs dédiées à l’e-sport ;
  • sur le plan juridique notons que, depuis 2000, la pratique des échecs (qui pourrait s’apparenter à un simple loisir) est officiellement reconnue en France comme un sport en tant que tel.

Il est donc possible que l’e-sport soit reconnu comme un sport à part entière dans le futur.

Dans ce cas, il pourrait être utile d’aménager préalablement les règles du Code du sport relatives aux fédérations sportives et aux compétitions sportives.

L‘article L.131-16 du Code du sport donne en effet à toute fédération de sport la mission « d’édicter les règles propres à sa discipline et les règlements relatifs à l’organisation de toute manifestation ouverte à ses licenciés ».

En outre, l’article L.333-1 du Code du sport dote « les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives […] du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent ».

Soit deux prérogatives que l’éditeur du jeu devrait assurément revendiquer.

Il conviendrait également de décider si l’e-sport, pris dans sa globalité, constitue un sport encadré par une fédération unique ou si la pratique de chaque jeu vidéo (pris séparément) pourrait constituer un sport distinct.

Beaucoup de questions sur lesquelles le législateur et les tribunaux pourraient être amenés à se pencher prochainement.

Vous souhaitez vous lancer dans l’organisation de compétitions d’e-sport ? Vous vous interrogez sur les relations que vous devez nouer avec différents protagonistes d’un tel événement (éditeur du jeu concerné, joueur, organismes régulateurs du sport) ? Nos avocats sauront vous répondre. Contactez-nous

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Auteurs

Portrait deFlorentin Sanson
Florentin Sanson
Associé
Paris
Océane Chambrion