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Perquisitions fiscales : un nouvel équilibre se dessine

29/03/2010

Face au choc d'une visite domiciliaire surprise, les contribuables disposent de moyens plus efficaces pour la sauvegarde de leurs droits.


La montagne, cette fois, n'aura pas accouché d'une souris. A la suite de sa condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme, dans son retentissant arrêt Ravon du 21 février 2008, la France a apporté à l'arsenal de l'article L.16 B du Livre des procédures fiscales, relatif aux perquisitions fiscales, une innovation majeure.

Le nouvel article L.16 B issu de la loi LME ouvre au contribuable deux nouveaux recours devant le Premier président de la Cour d'appel :

  • un appel dirigé contre l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention (JLD) ayant autorisé la visite domiciliaire ;
  • un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie elles-mêmes.

Après un an et demi de vie, peut-on dire que le nouveau régime des perquisitions fiscales offre un recours effectif ? Deux annulations notables ont été prononcées.

Dans la première espèce, la critique portait sur les présomptions réunies par l'Administration pour engager la perquisition (1). La deuxième, et la plus récente, ouvre de larges perspectives pour contester la saisie de documents informatiques (2).

1) Contrat de commissionnaire : le Juge d'appel annule l'autorisation de perquisition pour insuffisance de présomptions de fraude

L'ordonnance du Premier Président de la Cour d'appel de Paris n°08-20726, rendue le 30 juin 2009, a fermement montré qu'en matière de présomption l'Administration ne fait pas ce qu'elle veut. Certes ce ne sont pas des preuves que l'Administration doit soumettre au JLD, et les présomptions peuvent être établies par tous moyens, y compris par des attestations anonymes. Mais l'ordonnance du Premier Président montre à quel degré d'exigence ces présomptions doivent répondre : "la présomption doit être d'autant plus claire et indiscutable, que l'Administration est ainsi dispensée par la loi d'apporter de véritables preuves au JLD".

En l'espèce, l'Administration soutenait qu'un contrat de commission établi entre une société néerlandaise et une société française masquait en réalité un établissement stable de la société étrangère en France. Cette requalification devait ainsi permettre l'imposition côté français d'une plus large partie des bénéfices générés par l'activité.

Le juge d'appel commence par préciser que "lorsque la présomption contredit le contenu des conventions commerciales […] l'Administration doit redoubler d'attention et fournir d'autant plus de renseignements concrets et d'espèce".

En outre, lorsque l'Administration se repose sur une présomption jurisprudentielle (1), telle que "celle de disposer d'un établissement stable ou celle de dépendance du commissionnaire par rapport à son mandant", le juge lui oppose que la présomption doit alors être "particulièrement limpide".

Le juge d'appel relève en l'espèce que, selon les termes du contrat de commission, d'une part tout lien de subordination était exclu, d'autre part le commissionnaire n'avait pas le pouvoir d'engager le commettant. Il en déduit que, "au niveau d'examen que comporte la recherche d'une "présomption", les critères de l'établissement stable ne sont pas réunis ici.

L'Administration s'est pourvue en cassation. Cette décision crée néanmoins une nouvelle obligation pour l'Administration : celle d'être particulièrement convaincante et "limpide" lorsqu'elle entend contredire les termes d'une convention commerciale, supposés refléter la réalité.

2) Saisie de matériel informatique et protection de la vie privée et du secret des correspondances d’avocats

Une ordonnance du Premier président de la Cour d'appel de Paris du 21 janvier dernier(2) sanctionne un procédé qui était jusque là utilisé systématiquement par l'Administration.

Deux disques durs d'ordinateur avaient été saisis, placés sous scellés puis intégralement copiés dans les locaux de la Direction Nationale des Enquêtes Fiscales (DNEF). L'inventaire avait alors eu lieu selon la méthode validée jusque là par la Cour de cassation : l'ensemble des données est copié au moyen d'un logiciel d'authentification, puis un certificat est édité, attestant que la copie est conforme à l'original. Aucune sélection des documents saisis n'est faite à ce stade : le contribuable ne peut qu'escompter que les agents se borneront à ne prendre connaissance que des pièces concernées par la procédure en cours…

Mais en l'espèce l’avocat de la personne visitée demandait la nullité de la saisie de l'ensemble des fichiers copiés au motif que parmi ceux-ci se trouvaient, d'une part de nombreux documents appartenant à la vie privée du contribuable, d'autre part de nombreux courriers confidentiels échangés entre ce dernier et ses avocats. La réponse de la DNEF fut la suivante : "La Cour de cassation a jugé qu'il appartenait [au requérant] de verser les pièces dont la saisie était critiquée, afin qu'elles puissent être soumises au débat, seule la saisie de ceux de ces documents qui seraient couverts par le secret professionnel devant être éventuellement annulée, sans remise en cause de la validité du procès-verbal établi à cette occasion".

Le contribuable soutenait au contraire hardiment que la seule sanction efficace de cette saisie massive et indifférenciée ne pouvait être que l'annulation du PV de saisie dans sa totalité, pour plusieurs raisons.

Premièrement, annuler la saisie de certaines pièces uniquement suppose que chacune de ces pièces soit précisément identifiée. Or, si la DNEF numérote ("composte" selon son jargon) chaque feuille saisie sous format papier, il n'en va pas de même pour les fichiers informatiques, qui ne sont pas individuellement inventoriés. Il est dans ce cas impossible d'écarter certaines pièces individuellement, d'en obtenir la restitution matérielle et de s'assurer qu'elles ne seront pas utilisées lors d'un redressement ultérieur.

Deuxièmement, en exigeant que le contribuable verse lui-même à la procédure les pièces dont il invoque la confidentialité, la jurisprudence invoquée par la DNEF ne portait-elle pas atteinte elle-même à cette confidentialité et au droit du justiciable à ne pas contribuer à sa propre incrimination, défendu par l'article 6 de la Conv.EDH ? Le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris s'était présenté en personne à l'audience pour faire valoir que cette pratique semblait incompatible avec la protection du secret professionnel.

Enfin, lorsque l'Administration saisit sans aucune précaution la totalité des documents se trouvant sur un support informatique ou dans le local visité et prend ainsi connaissance de pièces confidentielles, la simple restitution de ces pièces ne comporte aucun inconvénient pour l'Administration et ne s'avère nullement dissuasive.

La solution défendue par le contribuable en l'espèce revenait à exiger que les agents qui mènent les opérations de perquisition passent en revue chaque pièce, fût-elle contenue dans une armoire ou dans un ordinateur, et ne sélectionnent (en les numérotant, si nécessaire après impression) que les pièces en rapport direct avec les infractions présumées.

Certes cette solution est pour l'Administration beaucoup plus contraignante que celle consistant à emporter caisses de documents ou ordinateurs pour les dépouiller à loisir dans ses bureaux, mais faut-il l'autoriser à tout lire et tout copier pour des raisons de commodité ?

Face à l'arbitrage entre la protection des libertés essentielles du contribuable et la nécessité bien comprise de garantir l'efficacité du contrôle fiscal, la position du juge a pu faire penser à celle de l'âne de Buridan, ne sachant s'il doit manger ou boire.

C'est finalement le droit des contribuables qui l'emporte dans cette décision : la Cour d'appel prononce la nullité des pièces litigieuses et en déduit en conséquence que l'ensemble des fichiers inscrits sur les matériels informatiques saisis ne pourront être exploités par l'Administration. D

e nombreuses procédures de saisie s'avèrent ainsi efficacement contestables : dès lors qu'un matériel informatique comporte entre autres fichiers des courriers d'avocats, sa saisie est susceptible d'interdire entièrement son exploitation.

Ces deux décisions ont fait preuve de fermeté : reste à savoir si elles feront jurisprudence. Elles montrent en tout cas que le juge d'appel s'est saisi du pouvoir de contrôle que la loi lui a confié et qui manquait jusqu'ici au régime des saisies fiscales.

Le scenario des Visiteurs du matin commence à s’écrire, les premières scènes sont tournées, le film s’annonce passionnant.


(1) Sur les conditions requises à l'appui de la requalification d'un commissionnaire en établissement stable du commettant, nous attendons l'arrêt du Conseil d'Etat qui sera rendu sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la CAA Paris 2 février 2007 n° 05-2361, 2e ch. B, Sté Zimmer Ltd.

(2) N°09/05738 (affaire défendue par l'auteur).


Eloïse Turot, avocat

Article paru dans la revue Option Finance le 8 février 2010