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Prix de transfert et valeur en douane : la convergence en pratique

09/07/2012


L’édition de mars 2012 du règlement particulier sur la valeur en douane comprend une sous-section actualisée sur les prix de transfert. L’administration française des douanes fait un pas en matière de convergence entre les deux domaines qui peut être intéressant pour les entreprises.


1. Quelques-unes des divergences entre prix de transfert et valeur en douane

Prix de transfert et droits de douane ne font a priori pas bon ménage. A cet égard, on peut par exemple noter que :

  • les deux domaines sont soumis à des réglementations différentes : ainsi, à un niveau international, la valeur en douane lors d’une importation doit respecter les règles définies par l’accord de l’Organisation Mondiale du Commerce sur l’évaluation en douane alors que les prix de transfert doivent respecter le principe de pleine concurrence défini par les principes de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (« OCDE ») ;
  • en France, leur application relève du ressort de deux directions différentes du ministère des finances ;
  • ils n’ont pas les mêmes champs « géographiques » d’application : en Europe, la question de la valeur en douane s’applique dans les relations entre l’Union Européenne et les pays tiers alors que les prix de transfert concernent toutes les transactions intragroupe internationales ;
  • ils ne s’inscrivent pas dans la même « temporalité » : la valeur en douane, assiette des droits de douane, est déterminée au moment de l’importation alors que les prix de transfert affectent les bases annuelles soumises à l’impôt sur les sociétés ; et
  • ils ne recouvrent pas exactement les mêmes transactions : les droits de douane sont en principe calculés à partir de la valeur transactionnelle des marchandises et de divers éléments (se rapportant de manière directe ou indirecte aux marchandises importées) à ajouter ou à retrancher(1) alors que les prix de transfert visent aussi les ventes de services, les redevances de marque ou de brevet ou encore les flux financiers.

2. Des similitudes existent cependant et une convergence est sans cesse recherchée

Pourtant, les deux domaines induisent le prélèvement de droits ou d’un impôt à partir de la valorisation de transactions internationales. De plus, ils souffrent de la même « suspicion » d’anormalité de la valeur retenue chaque fois qu’il s’agit de transactions effectuées entre entreprises liées(2) :

  • en principe, la valeur en douane est le prix convenu entre les parties et ce prix peut être écarté si les liens (notamment capitalistiques) entre les parties à la transaction ont pu l’influencer ; dans cette dernière hypothèse, des méthodes de substitution doivent être mises en œuvre pour déterminer la valeur en douane ;
  • en matière de prix de transfert, les parties à la transaction étant liées, elles mettent en œuvre les méthodes recommandées par l’OCDE pour justifier que le prix pratiqué dans le cadre de leur transaction est conforme à un prix de marché, c’est-à-dire au prix qui aurait été convenu par des tiers indépendants dans des circonstances comparables.

Même si elles ne sont pas exactement semblables, on peut aussi relever que les méthodes de substitution en matière douanière et les méthodes recommandées par l’OCDE pour la fixation de prix de transfert conformes au principe de pleine concurrence présentent des similitudes.

En raison notamment de la complexité, des risques et coûts supplémentaires induits par l’existence de ces deux normes pour les entreprises, des réflexions sont menées au niveau international sur une possible convergence. Un exemple récent de ces travaux est fourni par le policy statement publié par la Chambre de Commerce Internationale en février 2012. Ainsi, ce document contient notamment les propositions suivantes afin de faire converger les deux domaines :

  • Pour les transactions entre entités liées, reconnaissance par les administrations des douanes du principe de pleine concurrence posé par les principes de l’OCDE pour déterminer la base de calcul des droits.
  • Reconnaissance par les administrations des douanes des ajustements a posteriori en matière de prix de transfert, que ces ajustements soient convenus entre les parties aux transactions ou soient le résultat d’un redressement par une administration fiscale.
  • Acceptation par les administrations des douanes des méthodes de détermination des prix recommandées par l’OCDE.
  • Acceptation par les administrations des douanes des documentations établies pour justifier les politiques de prix de transfert.

3. L’approche de l’administration française des douanes en matière de convergence

L’administration française des douanes semble s’inscrire dans ce mouvement. Ainsi, l’édition de mars 2012 du règlement particulier sur la valeur en douane comprend une sous-section actualisée sur les prix de transfert. Dans cette sous-section, l’administration des douanes indique notamment que :

  • Le prix de transfert peut être considéré comme une valeur transactionnelle au sens de l’article 29 du Code des Douanes Communautaire (« CDC »), c’est-à-dire comme la valeur à retenir pour déterminer les droits de douane.
  • La vérification que les liens entre les parties à la transaction n’influencent pas les prix de transfert peut se faire notamment au regard de la documentation prix de transfert. Si ces liens n’influencent pas le prix, le prix de transfert pourra être retenu aux fins de l’évaluation en douane.
  • Ce prix devra éventuellement être ajusté car la valeur transactionnelle n’est pas toujours « suffisante » pour la valeur en douane. Ainsi, sous certaines conditions, ce prix devra éventuellement être ajusté (i) de remises et réductions de prix, (ii) de la prise en compte de frais supportés par l’acheteur qui doivent être ajoutés au prix payé conformément à l’article 32 du CDC ou (iii) de la prise en compte de frais supportés par l’acheteur qui doivent être déduits du prix payé lorsqu’ils sont inclus dans ce prix et distincts, conformément à l’article 33 du CDC.

En outre, ce règlement particulier définit la procédure à suivre pour tenir compte des ajustements a posteriori de prix de transfert convenus entre les parties et clarifie l’une des difficultés pratiques rencontrées régulièrement par les entreprises. En effet, en principe, la valeur en douane doit être déterminée au moment de la déclaration en douane et cette valeur est définitive. Or, il est fréquent que des politiques de prix de transfert prévoient des ajustements de prix au cours et/ou en fin d’exercice (ces ajustements visent en général à assurer une rentabilité de pleine concurrence à la partie « la plus simple » à la transaction). Comme le mentionne ce règlement particulier, l’accord entre les parties précise généralement les modalités de ces ajustements.

Ainsi :

  • Dans l’hypothèse où le prix de transfert est assorti d’une clause de révision de prix qui se rapporte aux marchandises importées et est connue au moment du dédouanement (ceci impliquant que l’accord de prix de transfert en fasse état) et où son montant n’est pas déterminable avant la mise en libre pratique des marchandises, les marchandises devront être dédouanées en utilisant la méthode des valeurs provisoires conformément à la procédure des déclarations incomplètes définie aux articles 254 et suivants des DAC(3).
  • En l’absence de la mise en place d’une procédure de valeurs provisoires, la valeur déclarée est considérée comme définitive et, en principe, elle ne peut donc plus être modifiée a posteriori. Or, comme le rappelle le règlement particulier, la non prise en compte de telles révisions du prix de transfert dans la valeur en douane peut constituer une infraction. Dans une telle situation (valeur en douane déterminée à partir d’un prix de transfert avec clause de révision de prix), la doctrine administrative douanière précise que la procédure de dédouanement dite des valeurs provisoires doit être mise en place. Les modalités pratiques de la procédure de valeurs provisoires, notamment le délai de régularisation et les garanties à mettre en œuvre le cas échéant, doivent être précisées par écrit, notamment sous la forme d’une convention établie entre le bureau de dédouanement et l’importateur ou, si l’opérateur utilise la procédure de dédouanement simplifié, d’un avenant à sa convention.

A l’évidence, ce règlement particulier marque une orientation nette de rapprochement avec les prix de transfert qui peut être intéressante pour les entreprises :

  • Il prévoit un seul prix (sous réserve des ajustements spécifiques aux droits de douane) et une même documentation pour les prix de transfert et les droits de douane.
  • Indirectement, il reconnaît la « validité » des méthodes de prix de transfert recommandées par l’OCDE. Il apparaît cependant cohérent qu’un prix de marché aux fins de l’impôt sur les sociétés puisse aussi l’être pour les droits de douane.
  • Il s’appuie sur la réglementation européenne en vigueur pour apporter une réponse pratique en matière de droits de douane aux modifications a posteriori de prix de transfert convenues entre les parties.

Il soulève aussi quelques incertitudes pratiques. Par exemple :

  • Sur les ajustements de prix de transfert, le règlement particulier fait référence à un « accord de prix de transfert » : s’agit-il du contrat écrit entre les parties ou de la documentation prix de transfert ?
  • Par ailleurs, on comprend du règlement particulier que la vérification de l’adéquation entre le prix de transfert et une valeur en douane acceptable va dépendre de la documentation prix de transfert fournie par l’opérateur. Bien entendu, il importe que cette documentation soit la plus cohérente possible avec la réglementation douanière. Ceci précisé, on peut s’interroger à ce stade sur les éléments de cette documentation qui seraient de nature à conduire l’administration des douanes à rejeter le prix de transfert au titre de la valeur en douane.

En tout état de cause, ce pas de l’administration des douanes est une manifestation certaine de la convergence entre prix de transfert et valeur en douane.


1. Parmi les éléments à ajouter à la valeur en douane, dans certaines circonstances, on retrouvera notamment certaines redevances ou encore tout ou partie des frais de transport.

2. La notion d’entreprises liées en matière douanière étant cependant plus large qu’en matière de prix de transfert.

3. C'est-à-dire les dispositions d’application du Code des Douanes Communautaire (règlement n° 2454/93 du 2 juillet 1993 modifié)


Par Xavier Daluzeau et Denis Redon, avocats associés,

Article paru dans la revue Option Finance du 9 juillet 2012

Auteurs

Portrait deXavier Daluzeau
Xavier Daluzeau
Associé
Paris
Portrait deDenis Redon
Denis Redon
Associé
Paris