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Réforme du report des déficits fiscaux : les entreprises prises à revers

19/09/2011


Il est dommage que l’objectif louable de la convergence franco-allemande et le nécessaire redressement des finances publiques se traduisent par une réforme du report des déficits fiscaux qui apparaît comme une mesure d’urgence aux conséquences incertaines


1. Enjeu de la réforme : augmenter les ressources fiscales de l’Etat

François Fillon l’a clairement affirmé lors de l’annonce du plan de rigueur : les mesures envisagées mettent principalement à contribution les « riches » et les entreprises.

Quelle que soit la portée que la réalité chiffrée donnera à cette affirmation, les entreprises sont effectivement visées notamment par deux mesures peu médiatisées, mais qui auront, dès 2011, un impact significatif sur leur facture d’’impôt sur les sociétés (IS): le plafonnement de l’utilisation de leurs reports déficitaires, et l’alourdissement de l’imposition des plus-values à long terme sur les cessions de titres de participation.

Cette dernière mesure, qui prend la forme d’une augmentation de la fraction taxée de la plus-value (sous forme de la réintégration dans le résultat imposable à l’IS d’une quote-part forfaitaire de frais et charges, dont le taux est porté de 5% à 10% de la plus-value), n’est pas une surprise et devrait avoir, selon les prévisions du gouvernement, un impact effet relativement limité (300 M€ d’IS supplémentaire sur 2012). La fiche explicative de la mesure prend d’ailleurs bien soin d’expliquer que « cette augmentation n’est pas de nature à nuire à la compétitivité de la France puisque le principe de l’exonération n’est pas remis en cause », ce qui techniquement n’est pas faux, mais pourra en pratique être diversement apprécié.

L’impact annoncé sur la réduction des déficits publics de la mesure consistant, en quelque sorte, à réduire les déficits fiscaux des entreprises, est beaucoup plus considérable : le gouvernement en attend 500 M€ pour 2011 et trois fois plus pour 2012. Le dispositif proposé était en outre moins attendu : si des rumeurs évoquaient un raccourcissement (finalement écarté) de la durée d’utilisation des déficits fiscaux, l’idée d’un plafonnement annuel n’avait pas véritablement filtré.

2. Objet du dispositif : limitation du report des déficits fiscaux

2.1. Plafonnement du report en avant

Concrètement, l’enjeu de l’utilisation des déficits fiscaux est simple. Lorsqu’une entreprise soumise à l’IS subit au titre d’un exercice des difficultés se traduisant par un résultat fiscal déficitaire, ce déficit revêt la nature d’une charge déductible du premier bénéfice fiscal qu’elle réalisera au titre d’un exercice futur. Le déficit est donc porteur d’une sorte de droit potentiel à exonération lors du retour de la société en situation bénéficiaire ; sa valeur est celle de l’économie d’IS qu’il permettra de réaliser. La mesure soumise au vote du Parlement consiste à limiter, au titre de chaque exercice, l’utilisation de ce déficit en fonction du montant du bénéfice réalisé par l’entreprise redevenue profitable : l’imputation du déficit ne subit aucune restriction à hauteur du premier million d’euros de bénéfice fiscal, mais la fraction du bénéfice excédant 1 M€ est imposable à hauteur d’au minimum 40% de son montant, l’imputation des déficits antérieurs étant plafonnée à 60% de cette fraction excédant 1 M€.

Comme l’indique la fiche explicative de la mesure, il s’agit de rétablir une sorte d’IS minimum pour les grands groupes – qui s’ajoute en pratique, pour les entreprises réalisant au moins 15 M€ de chiffre d’affaires, à l’« imposition forfaitaire minimum » (IFA) dont la suppression avait été programmée pour 2011 avant d’être reportée à 2014.

Pour certaines entreprises, l’impact de cette mesure se limitera à un « simple » décalage de trésorerie, dès lors que le report des déficits qui ne peuvent pas être imputés sur le bénéfice reste illimité dans le temps. En revanche, pour d’autres, la mesure pourrait entraîner une pénalisation définitive : les entreprises disposant de reports déficitaires très conséquents et réalisant des bénéfices fiscaux ponctuellement supérieurs à 1 M€ mais non récurrents ou ne permettant pas une utilisation prévisible de la totalité des déficits, acquitteront ainsi un IS qu’elles n’auraient auparavant jamais supporté.

De même, le ralentissement de l’utilisation des déficits pourra aboutir à une déperdition définitive en cas de cessation ou de changement d’activité ou de dissolution de la société, événements de nature à mettre fin au report des déficits subsistants. Il aurait pu être imaginé, par exemple, que le plafonnement ne s’applique pas sur le dernier exercice d’imputation possible des déficits – mais le projet de loi ne prévoit en l’état aucun rattrapage ni aucune exception pour cette situation particulière.

2.2. Restriction au report en arrière

Par ailleurs, la mesure limite également considérablement les possibilités de « report en arrière » (« carry-back ») des déficits. Jusqu’à présent, les entreprises pouvaient sous certaines conditions imputer un déficit sur les bénéfices réalisés au titre des trois exercices précédant l’exercice de réalisation du déficit, et obtenir ainsi le remboursement de l’IS acquitté à raison des bénéfices faisant l’objet de cette imputation. L’option pour un tel report en arrière pouvait en outre rester ouverte plusieurs années, tant que les déficits n’étaient pas utilisés.

Désormais, l’option ne sera possible qu’au moment de la déclaration du résultat déficitaire, et le report ne pourra s’exercer que sur le bénéfice de l’exercice précédent, dans la limite d’1 M€. En principe, la nouvelle règle ne devrait cependant entrer en vigueur que pour les déficits futurs et n’affecterait pas l’option possible pour le carry-back des déficits antérieurs, même si le projet de texte est muet sur le sujet.

3. Incertitudes et effets secondaires

En tout état de cause, la mesure va donc affecter, plus ou moins significativement, la valeur des déficits reportables dont disposent les entreprises. Si ceux-ci sont activés au bilan consolidé sous forme d’impôts différés actifs (ce qui est souvent le cas dans les grands groupes qui sont la cible principale de la mesure), leur valorisation va nécessairement devoir faire l’objet d’une revue en fonction des nouvelles règles d’imputation des déficits et des perspectives de résultats fiscaux des entreprises concernées. L’exercice ne va pas être simple dans la mesure où plusieurs incertitudes affectent encore les modalités d’application de ces nouvelles règles.

En particulier, le projet de loi est muet sur les modalités éventuelles de plafonnement de l’imputation des déficits sur les plus-values éligibles à des taux réduit d’imposition (par exemple, plus-values de cession d’immeubles à des SIIC ou des SPPICAV taxables à 19%, ou redevances et cessions de brevets taxables à 15%). En général, l’Administration admet l’imputation des déficits reportables sur de telles plus-values à l’euro l’euro, le solde éventuel de plus-value non effacée par le déficit demeurant taxable au taux réduit. L’imputation des déficits sur ce type de plus-values devra-t-il à l’avenir également être plafonnée au-delà d’1 M€ de plus-value ? Comment le plafonnement s’appliquera-il en cas d’imputation des déficits tant sur des résultats taxables au taux normal que sur des plus-values taxables au taux réduit ?

L’incidence du nouveau dispositif sur la participation des salariés mériterait également d’être confirmée. En principe, la participation est calculée sur la base du résultat fiscal de l’entreprise. La réforme du report des déficits va donc incidemment augmenter ou accélérer les droits des salariés au regard de la participation, qui bénéficie par ailleurs d’exonérations fiscales et sociales. Il est douteux que cet effet ait été sciemment souhaité par le gouvernement. La question d’un aménagement en la matière pourrait donc se poser, d’autant que le calcul du résultat fiscal pris en compte pour la participation présente déjà des spécificités, par exemple l’interdiction d’imputation des déficits fiscaux de plus de 5 ans.

4. Entrée en vigueur précipitée

Peu d’aménagements sont à attendre dans le texte de loi dont le processus actuellement en cours d’examen et de vote au Parlement est accéléré. En pratique, la mesure s’appliquera dès les exercices clos à compter de la publication de la loi et pourra très certainement produire ses premiers effets, pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de 500 M€, dès le calcul du 4ème acompte à acquitter au 15 décembre 2011.

Les grandes entreprises vont ainsi être tenues d’appliquer immédiatement une nouvelle règle fiscale génératrice de surcoûts potentiels sans avoir pu en anticiper les effets, les modalités d’application ni les conséquences, qui devront être précisées dans une Instruction administrative qu’il est malheureusement peu probable d’attendre dans de brefs délais, compte tenu de l’inflation des textes à laquelle l’Administration fiscale est confrontée.

Si l’on peut comprendre l’objectif de réduction des déficits publics qui sous-tend l’adoption de cette mesure, la précipitation gouvernant sa conception et son entrée en vigueur est regrettable. La convergence fiscale franco-allemande, explication officielle de la mesure, aurait mérité une réforme pensée plus globalement.


Frédéric Gerner, Avocat, CMS Bureau Francis Lefebvre

Article paru dans la revue Option Finance le 12 septembre 2011

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Frédéric Gerner
Associé
Paris