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Respect des engagements dans une opération de concentration : la vigilance est de rigueur !

25/09/2012


Le 9 juillet dernier, l'Autorité de la concurrence est venue confirmer - dans la droite ligne de l'emblématique décision Canal + (décision n°11-D-12 du 20 septembre 2011, suivie de la décision du n°12-DCC-100 du 23 juillet 2012 autorisant la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite par Vivendiet Groupe Canal Plus) -, sa volonté de faire respecter dans leur intégralité les engagements pris par les parties à l'occasion de la notification d'une opération de concentration (décisionn n°12-D-15 du 9 juillet 2012).

Rappelons qu'en vertu de l'article L. 430-5 du Code de commerce, l'Autorité peut subordonner l'autorisation de réaliser une opération de concentration à l'engagement des parties à l'opération de prendre des mesures visant à remédier à ses éventuels effets anticoncurrentiels.

A défaut de respect de leurs engagements par les parties à l'opération, l'Autorité peut, soit retirer sa décision d'autorisation, obligeant ainsi les parties à notifier à nouveau leur projet de concentration dans un délai d'un mois, soit enjoindre sous astreinte les parties de tenir leurs engagements et, en toute hypothèse, prononcer à leur encontre une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu'à 5% du chiffre d'affaires réalisé en France lors du dernier exercice par la partie notifiante.

1. La sanction d'une mise en oeuvre incorrecte des engagements souscrits

Au cas présent, la société Bigard, principalement active dans le secteur de la distribution de produits de viande bovine grâce aux marques Bigard et Charal, avait notifié au ministre de l'Economie (dont relevait à l'époque le contrôle des concentrations) la prise de contrôle de la société Socopa Viandes, l'un de ses principaux concurrents. Après avoir constaté l'importance de la part de marché de la nouvelle entité, le ministre de l'Economie avait subordonné son autorisation à la réalisation de divers engagements dont celui, pris par la société Bigard, de concéder à un concurrent l'usage exclusif de la marque Valtero, connue des consommateurs et des professionnels du secteur.

L'objectif de cet engagement était de permettre le maintien d'une forte concurrence intermarques sur le marché très concentré des produits de viande bovine, dans la mesure où la possession d'une marque connue permet notamment à un fournisseur de répondre aux appels d'offres de la grande distribution et de rassurer les consommateurs quant à la qualité des produits qu'ils achètent.

La société Bigard s'engageait parallèlement à renoncer à vendre des produits de viande bovine sous la marque Valtero durant toute la durée du contrat de licence, puis pendant une période post-contractuelle d'un an.

Enfin, comme c'est le cas dans la quasi-totalité des procédures d'engagements, un mandataire, désigné par les parties mais agréé par le ministre de l'Economie, devait s'assurer de la correcte exécution des engagements.

Fin 2011, après l'échec des négociations entre la société Bigard et un candidat à la licence de marque, l'Autorité acceptait la vente de la marque Valtero, tout en regrettant que l'acheteur retenu ne dispose que d'une faible notoriété et d'un chiffre d'affaires très inférieur à celui des entreprises qui avaient initialement manifesté leur intérêt pour le contrat de licence.

Dans le même temps, l'Autorité engageait une procédure contentieuse à l'encontre de la société Bigard pour non-respect de son engagement.

L'Autorité reprochait à la société Bigard, qui avait anticipé la fin prochaine de l'utilisation de la marque Valtero pour ses produits, d'avoir cessé son exploitation durant les négociations avec d'éventuels licenciés et d'avoir commercialiser les produits Valtero sous une nouvelle marque, Socopa, qui reprenait la charte graphique et les emballages de Valtero. De plus,la société Bigard avait pris soin de préciser à ses clients que la marque Socopa se substituait à Valtero, qui ne faisait plus partie du Groupe Bigard.

Le mandataire chargé du suivi des engagements avait alerté la société Bigard sur la non-comptabilité de telles pratiques avec le contenu des engagements.

En effet, pareille démarche marketing a eu pour effet, sinon pour objet, de créer une confusion entre les deux marques dans l'esprit des consommateurs et a permis à la marque nouvellement créée de bénéficier indûment de la notoriété de la marque concurrente, dépréciant ainsi la valeur de cette dernière alors qu'elle devait être cédée. Or, selon l'Autorité, l'atteinte portée à la substance même de la marque privait d'efficacité l'engagement de licence, puis de cession, en ne permettant pas le maintien d'une concurrence intermarques sur les marchés concernés, alors même que ce maintien était la condition sine qua non de l'autorisation par le ministre de l'Economie de l'opération de concentration.

En mettant en oeuvre son engagement dans des conditions ne permettant pas à celui-ci de produire pleinement ses effets, c'est-à-dire en privilégiant son propre intérêt commercial au détriment de l'animation concurrentielle de son marché, la société Bigard a, selon l'Autorité, manqué à son engagement en dépit de sa réalisation formelle, et a fait preuve d'un manque de rigueur et de vigilance. Dans la décision Canal+ précitée, l'Autorité avait réfuté la thèse selon laquelle le fait que l'objectif poursuivi par l'ensemble des engagements soit atteint pouvait justifier qu'il soit dérogé à la réalisation de certains d'entre eux. De façon logique, l'Autorité rejette dans l'affaire Bigard l'idée selon laquelle le respect formel des engagements serait suffisant, chaque engagement devant être mis en oeuvre de façon à garantir la réalisation de l'objectif qui lui est assigné individuellement.

A cet égard, l'Autorité rappelle qu'il importe peu que le non-respect d'un engagement n'ait pas eu d'effet anticoncurrentiel, même si la démonstration de ces derniers peut être prise en considération. Le simple risque de survenance d'une atteinte au bon fonctionnement du marché, supposé garanti pa rl'engagement, suffit à l'Autorité.

Pour le non-respect de son engagement, la société Bigard a été condamnée à une sanction pécuniaire de 1 million d'euros.

2. Les risques inhérents à ce type d'engagements

L'engagement, tel un contrat, doit donc être réalisé de bonne foi par celui qui s'engage. Sauf dans le cas exceptionnel d'un profond changement des conditions de marché ayant donné lieu à la prise d'engagements (en ce sens, voir la lettre du président de l'Autorité du 19 juillet 2012 levant les engagements du groupe LVMH), l'Autorité n'a pas vocation à se comporter comme une partenaire contractuel éventuellement prêt à accepter une modification ou, à tout le moins, une renégociation des engagements auxquels l'entreprise est réputée avoir volontairement souscrit. On relève d'ailleurs, à cet égard, que la clause de révision des engagements incluse n'a pas été de nature à garantir l'entreprise contre le risque de mauvaise exécution des engagements et de sanction pécuniaire.

L'Autorité apprécie donc souverainement la bonne exécution du « contrat » d'engagement, laquelle relève uniquementde la responsabilité de l'entreprise en cause, alors même que celle-ci n'est pas toujours à même d'apprécier si son comportement répond parfaitement aux attentes de l'Autorité.

Certes, il revient en principe au mandataire de surveiller et, le cas échéant, d'alerter l'entre prise sur sa situation. Toutefois, l'Autorité a déjà estimé qu'elle n'est pas liée par les appréciations du mandataire (en ce sens, décision n°11-D-12, précitée, point 31). Dans ces conditions, et plus particulièrement dans le cas d'engagements comportementaux de long terme, l'entreprise peut éprouver de réelles difficultés à mettre correctement en oeuvre ses propres engagements, se trouvant alors dans une situation d'in sécurité juridique.

Un soin tout particulier doit donc être préalablement apporté à la définition de l'objectif de chaque engagement, à la question de la faisabilité juridique et économique de chacun, mais également aux modalités pratiques de sa mise en oeuvre afin d'éviter tout retard, manquement ou application incorrecte, notamment lorsque l'engagement oblige l'entreprise à mettre en place des mesures structurelles ou quasi-structurelles qui affectent gravement ses intérêts commerciaux, à court ou à long terme.

Si la souscription d'engagements peut apparaître à première vue comme unmoindre mal en matière de concentration, elle induit en pratique des contraintes et des risques dont il convient de prendre la pleine mesure : la présente affaire est un rappel à ne pas les sous-estimer.


Par Denis Redon, avocat associé et Jérome d'Huart, avocat

Chronique parue dans la revue Option Droit & Affaires du 19 septembre 2012

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Denis Redon
Associé
Paris