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Restructuration d'entreprise : des concentrations contrôlées sur le territoire marocain

18/05/2010

À l'instar des dispositifs existant en droit français, la législation marocaine dans le domaine des restructurations d'entreprise comprend elle aussi un volet protecteur du marché et de la concurrence. Ce dispositif est partie intégrante de la réglementation plus générale concernant les prix et la concurrence.


La situation de hausse des prix à l’issue de l’indépendance du pays, à la fin des années 1950, avait conduit les pouvoirs publics de l’époque à adopter une législation de réglementation et de contrôle afin de protéger le consommateur d’une inflation trop importante. Au fil des évolutions économiques, le Maroc a su se doter d’un arsenal législatif lui permettant de passer d’un système de réglementation des prix à un système de liberté des prix, passant ainsi progressivement du protectionnisme au libéralisme.

Bien que tous les obstacles n’aient pas encore été levés, le Maroc connaît à présent pour principe la liberté des prix et de la concurrence. Cependant, des pans entiers de la vie économique sont encore soumis à des réglementations spécifiques entravant la liberté des activités. Pour n’en citer qu’une, l’activité de transporteur routier est toujours soumise à une condition de nationalité de l’exploitant ainsi qu’à une autorisation préalable émanant du ministère concerné. De plus, certains produits et services ne sont toujours pas concernés par la liberté des prix, il s’agit notamment des produits de première nécessité et de grande consommation (sucre, huile, farine, gaz, etc.).

Ce mouvement d’ouverture a été particulièrement marqué le 5 juin 2000 par l’adoption de la loi n° 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence, nouvel outil de la libéralisation du Royaume. Elle traite successivement, à l’instar du droit français dont elle se rapproche et s’inspire, de la liberté des prix, des pratiques anticoncurrentielles, des pratiques restrictives de concurrence, du Conseil de la concurrence et des concentrations d’entreprises, ce qui concerne directement notre propos.

Cette loi s’applique à toutes les personnes physiques et morales implantées ou non sur le territoire marocain, du moment qu’elles y exercent une activité de production, de distribution et de service ayant un effet sur le marché marocain et sur la concurrence, ainsi qu’aux personnes publiques exerçant ce type d’activité, à l’exclusion de l’exercice de prérogatives de puissance publique ou de missions de service public. En termes de droit international privé, ces règles de droit de la concurrence ont le caractère de lois de police, et les sociétés étrangères souhaitant implanter une activité au Maroc devront donc obligatoirement s’y soumettre.

La loi n° 06-99 comporte, en son titre IV, un volet sur le contrôle des concentrations économiques par le Premier mi - nistre et, si celui-ci est saisi, par le Conseil de la concurrence. Les restructurations d’entreprises telles que les fusions-absorptions et les fusions-réunions seront alors susceptibles de tomber dans le périmètre du contrôle des concentrations.

Les opérations visées par le contrôle a priori

La loi n° 06-99 a pour but de contrôler, avant leur réalisation, les opérations de concentration de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par la création ou le renforcement d’une position dominante sur le marché. La crainte est donc une entrave à la libre concurrence entre les acteurs économiques résultant du fait qu’une entreprise, ou un groupe d’entreprise, se retrouve en position dominante sur le marché, entraînant ainsi une perte d’efficience économique.

Cette concentration peut résulter de tout acte, quelle qu’en soit la forme, qui emporte un transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d’une entreprise ou qui a pour objet ou pour effet de permettre à une entreprise ou à un groupe d’entreprise d’exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante.

La loi, rédigée en des termes larges et généraux, permet ainsi d’englober dans son champ de contrôle de nombreuses opérations, comme c’est le cas en droit français, notamment les différentes formes de fusions-acquisitions (fusions-absorptions avec disparition de la société cible, fusion avec création d’une entité nouvelle) ainsi que les cessions de contrôle, majoritaires ou minoritaires avec l’acquisition d’une minorité de blocage dans la société cible.

Le point central reste l’acquisition par une des parties d’une influence déterminante sur la cible, notion qui n’est pas définie par la loi. Mais il semblerait que cette notion soit comparable à la notion française et communautaire. L’influence déterminante s’entendrait alors comme celle du pouvoir de prendre les décisions déterminant la stratégie commerciale d’une entreprise ou, au contraire, de les bloquer.

Bien entendu, le contrôle étatique a pour cible les opérations d’une certaine envergure et dépassant donc un seuil déterminé de part de marché. Le seuil fixé par la loi est dans l’esprit du seuil fixé par l’article L430-1 du Code de commerce français tel qu’il était rédigé avant les modifications apportées par la loi NRE du 15 mai 2001. En effet, la France a depuis 2001 modifié le Code de commerce afin de se rapprocher des standards communautaires fixant les seuils en chiffre d’affaires réalisé et non pas en part de marché.

La loi n° 06-99 s’applique alors lorsque les entreprises parties à l’acte ou qui en sont l’objet, ou qui leur sont économiquement liées ont réalisé, ensemble, plus de 40 % des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, de produits ou de services de même nature ou substituables, ou sur une partie substantielle de celui-ci. Les entreprises réalisant l’opération de concentration doivent détenir, dans leur globalité, plus de 40 % des parts de marché sur le marché pertinent national concerné.

Ce seuil, assez élevé comparé au seuil français qui était de 25 % avant l’adoption de la loi NRE, s’explique par la différence du tissu économique marocain. En effet, les entreprises agissant sur un même marché pertinent étant quantitativement moins nombreuses qu’en France et en Europe, ce seuil de 40 % des parts de marchés permet ainsi de soumettre un nombre important d’opération au contrôle étatique des concentrations.

Cette notion de marché national n’est pas non plus définie par la loi, mais il est d’usage que le Conseil de la concurrence marocain se réfère aux interprétations françaises et communautaires à ce sujet. Le marché pertinent visé par la loi est donc d’une part un marché national sur le plan géographique, et d’autre part un marché où se rencontrent l’offre et la demande d’un produit ou service déterminé et qui est considéré par les consommateurs comme substituable.

La procédure de notification, préalable obligatoire à l’obtention d’un avis sur le projet de restructuration concerné

Toute opération rentrant dans le champ d’application de la loi n° 06-99, tel que nous venons de l’exposer, doit être notifiée au Premier ministre, qui pourra le cas échéant saisir le Conseil de la concurrence afin d’obtenir son avis sur l’opération en cause.

En vertu de la loi précitée et de son décret d’application en date du 17 sep - tembre 2001, les projets de concentration doivent être notifiés au Premier ministre et accompagnés de certains documents dont notamment une note détaillant le projet et ses conséquences attendues en termes de concurrence, d’emploi, d’efficience économique, etc. À cette occasion, les entreprises parties à l’opération peuvent, mais ceci n’est pas à l’heure actuelle devenu obligatoire, présenter des engagements. Cependant, il est préférable qu’à ce moment-là les parties formulent des engagements et présentent un bilan concurrentiel coût/avantage positif afin d’appuyer l’aspect bénéfique de leur opération sur le marché et sur la concurrence. Par exemple, la création d’un nombre conséquent d’emplois dans un secteur donné peut venir contrebalancer l’effet restrictif, à première vue, de concurrence de l’opération de concentration. Cependant, l’instauration du Conseil de la concurrence étant très récente, il est impossible à l’heure actuelle de dégager une politique concurrentielle en matière de concentration.

Les entreprises concernées se doivent de procéder à la notification de l’opération lorsque celle-ci n’est encore qu’à l’état de projet et non finalisée. À compter de la notification, le Premier ministre dispose alors de deux mois pour répondre favorablement ou non au projet. Le silence gardé pendant ce délai vaut acceptation tacite de l’opération. Ce délai est porté à six mois lorsque le Premier ministre a décidé de saisir le Conseil de la concurrence afin d’obtenir son avis. Pendant ces délais, les entreprises ne peuvent pas mettre en oeuvre le projet d’acquisition, ces délais sont donc à prendre en compte dans le calendrier de réalisation de l’opération de restructuration, ceux-ci décalant d’autant le bouclage des opérations.

Dans le cas d’une saisine du Conseil de la concurrence, les entreprises parties à l’opération devront être entendues afin de présenter leurs observations dans le mois suivant la remise du rapport établi par le rapporteur. La procédure instaurée par la loi est donc une procédure contradictoire permettant aux intéressés de défendre leur projet devant le Conseil.

À l’issue des délais impartis, le Premier ministre doit rendre une décision motivée qui sera soit positive, soit négative, soit assortie de réserves. Les entreprises parties à l’opération devront en conséquence ne pas donner suite au projet ou bien rétablir la situation antérieure si elles ont mis en oeuvre l’opération, ou modifier l’opération afin de prendre en compte les éventuelles réserves émises par le Premier ministre et le Conseil de la concurrence. Ces décisions pourront en tout état de cause faire l’objet d’un recours auprès des juridictions administratives.

Le défaut de notification du projet de concentration ainsi que le non-respect des engagements pris et des décisions rendues par le Premier ministre et le Conseil peuvent donner lieu à sanctions. Le Premier ministre peut saisir le procureur du roi près le tribunal de première instance compétent aux fins de poursuites pénales. Cette saisine est, quant à elle, insusceptible de recours. Elle peut aboutir à des sanctions pénales en fonction des circonstances de l’affaire, de la mauvaise foi des parties ainsi que de la gravité des infractions commises. Les amendes pénales qui peuvent être prononcées par les juridictions sont de l’ordre de 2 à 5 % du chiffre d’affaires hors-taxes réalisé au Maroc au cours du dernier exercice clos concernant les personnes morales. Pour les personnes physiques, l’amende peut seulement être comprise entre 200 000 et 2 millions de dirhams.

Cette amende sera individualisée en fonction de la part de responsabilité de chaque entreprise en cause, de leur situation financière et de leur dimension, ainsi que de la gravité du rôle joué par chacune d’entre elles.

Dans un tel cadre, le Conseil de la concurrence ne peut pas être saisi par les entreprises intéressées afin d’obtenir un avis sur l’opération envisagée : seul un avis informel pourrait être obtenu en cas de doute sur l’opération, sur la base d’une rencontre avec les services du Conseil. Mais cette consultation purement informelle ne constitue en rien une alternative à la notification du projet au Premier ministre, qui reste obligatoire. La notification reste également le seul moyen d’obtenir un avis opposable du Conseil de la concurrence sur une opération de concentration.

Cependant, ce contrôle reste assez récent et peu expérimenté. La loi n° 06- 99 a en effet été adoptée en 2000, et le Conseil de la concurrence n’est effectif que depuis environ une année. Depuis sa création, moins d’une dizaine de décisions ont été rendues, ce qui ne permet pas d’identifier une politique ainsi qu’une définition claire des notions concernées au travers de la pratique dudit Conseil. La seule référence complète à l’heure actuelle reste le droit français et le droit communautaire.


Wilfried Le Bihan, avocat, responsable du Bureau de Casablanca de CMS Bureau Francis Lefebvre,
Chloé Cirillo, avocat CMS Bureau Francis Lefebvre

Article paru dans FUSIONS & ACQUISITIONS MAGAZINE Mai-Juin 2010

Auteurs

Chloé Cirillo