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Statu quo ante en matière de promesse unilatérale de vente ! Mais en pratique... ?

04/08/2011


Il y a près de vingt ans, la 3e chambre civile de la Cour de cassation posait le principe selon lequel en matière de promesse unilatérale de vente, le promettant qui rétracte son offre de contracter, avant l'expiration du délai fixé par lui, ne peut être contraint à l'exécution forcée du contrat envers le bénéficiaire qui aurait levé l'option après cette rétractation (Cass. 3e civ., 15 déc.1993, n°91-10.199).


Bien que largement critiquée pour son inadaptation à la vie des affaires, cette solution, conforme à l'article 1142 C. civ. en vertu duquel toute obligation de faire se résout en dommages et intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur, semblait bien ancrée.

Or, un arrêt de la même chambre en date du 8 septembre 2010 est venu semer le trouble, laissant croire à un revirement que beaucoup appelaient de leurs voeux. Dans cette espèce, le promettant décédé, laissait son héritier sous administration légale. Le bénéficiaire avait levé l'option, mais s'était vu opposer le besoin d'une autorisation du juge des tutelles pour procéder à la vente, que l'on pouvait interpréter comme la réitération du consentement du promettant. La Cour n'a pas accueilli cet argument, affirmant que « le promettant avait définitivement consenti à vendre et que l'option pouvait être valablement levée [...] ». « Définitivement », le mot avait semblé un peu fort pour la sensibilité du sujet. Néanmoins, les circonstances de fait de l'arrêt justifiaient sans doute cette conclusion puisque la question de la réitération de la promesse intervenait après la levée de l'option. Pouvait-on tirer de l'absence de nécessité de réitération du consentement du promettant par son héritier l'expression d'un revirement de la position de la Haute Juridiction sur la question ? A l'évidence non ! Le 11 mai dernier, la Cour de cassation a mis fin aux « espoirs » suscités en 2010 en confirmant le principe posé en 1993 (Cass. 3e civ. 11 mai 2011 FS+P+B, n° 10-12.875). Elle le fait au double visa des articles 1101 et 1134 du code civil.

Le premier de ces textes définit le contrat comme « une convention, par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Le second traite de la force obligatoire des conventions légalement formées.

Il est permis de penser que cette double référence s'applique à la promesse rétractée. Au regard de l'article 1101, la promesse unilatérale de vente est un contrat unilatéral par lequel le promettant s'engage définitivement envers le bénéficiaire à maintenir sa promesse pendant un certain délai. Il est donc tenu à une obligation de faire. S'il se rétracte avant l'expiration du délai, il méconnaît les prescriptions de l'article 1134 et le bénéficiaire de la promesse peut alors prétendre à l'allocation de dommages-intérêts (cf. art. 1142).

Le visa choisi pourrait également concerner le contrat de vente non encore conclu. Le bénéficiaire ne peut réclamer l'exécution forcée de la vente dans la mesure où ce contrat n'est pas formé, faute de rencontre effective des volontés de vendre et d'acquérir au sens de l'article 1101.

L'article 1134 permettrait ici d'appréhender les conséquences de l'absence de formation du contrat de vente (impossibilité d'une exécution forcée).

En définitive, la logique de la 3e chambre civile s'inscrit dans la défense d'une orthodoxie juridique en matière de formation du contrat et de protection de la liberté individuelle. Orthodoxie dont s'accommodent souvent bien mal les opérateurs économiques.

Alors les bénéficiaires de promesse de vente sont-ils condamnés à l'insécurité juridique ? Pas nécessairement.

La 3e chambre civile, elle-même, a d'ailleurs fort judicieusement rappelé dans un arrêt du 27 mars 2008, que les parties ont toujours la possibilité de fixer contractuellement la valeur de l'engagement du promettant, et de choisir que la sanction sera l'exécution forcée du contrat. Ainsi, la protection de la liberté individuelle du promettant ne vaut que tant que celui-ci n'y a pas renoncé contractuellement, ce qui participe également de sa liberté.

Mais d'autres « solutions de sécurisation » sont heureusement envisageables.

D'abord, si le contrat comporte un élément d'extranéité, il sera possible de le soumettre, en tout ou partie, à la loi d'un Etat dans lequel la promesse unilatérale de vente est irrévocable dès l'instant où elle est exprimée (cas de la loi allemande). On perçoit donc assez aisément le risque de forum shopping à la suite de cet arrêt qui accentue peut-être le mouvement, déjà décrié, de concurrence entre systèmes juridiques.

Mais il pourrait également être envisagé d'exclure expressis verbis l'application de l'article 1142 ou de demander au juge, comme le suggère l'arrêt du 27 mars 2008, l'exécution forcée de la promesse ou encore de recourir à une clause pénale particulièrement dissuasive afin d'éviter la rétractation du promettant, quoique cette solution se heurte au pouvoir prétorien de révision de la clause.

Les cocontractants pourront également se tourner fort utilement vers le droit des sûretés qui offrent nombre d'outils particulièrement efficaces comme la fiducie, le nantissement ou toute autre sûreté avec ou sans dépossession.

La liste n'est pas exhaustive. Gageons que les praticiens continueront de faire preuve d'imagination et oublieront que la révolution n'a pas eu lieu. Pour cette fois !


Par Isabelle Buffard-Bastide, avocat associé et Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat

Article paru dans la revue Option Droit & Finance du 4 juillet 2011

Auteurs

Portrait deElisabeth Flaicher-Maneval
Elisabeth Flaicher-Maneval
Counsel
Paris