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Déduction des intérêts intragroupe

Le recours aux référentiels obligataires enfin admis

29/08/2019

Pour établir la conformité du taux d’intérêt pratiqué entre sociétés liées au taux du marché, le Conseil d’Etat, saisi pour avis, admet le recours à des comparables tirés du marché obligataire à la condition que l’emprunt obligataire constitue une alternative réaliste à un prêt intragroupe. 

Depuis quelques années, on constate en France une augmentation significative des litiges fiscaux sur les financements intragroupe (dont les encours - très significatifs – étaient estimés fin 2014 à 1 100 milliards d’euros, soit davantage que le montant de l’endettement bancaire évalué à 900 milliards), notamment en raison des dispositions du code général des impôts (CGI) qui laissent aux entreprises la charge de démontrer le caractère de marché du taux appliqué (CGI art. 212, I-a) lorsque ce dernier est supérieur à celui qui résulte de la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises, d'une durée initiale supérieure à deux ans (taux de droit commun pour les comptes courants d’associés prévu à l’article 39, 1-3° du CGI). L’administration fiscale, suivie en ce sens par certaines juridictions (notamment CAA Paris 31-12-2018, n° 17PA03018, Société WB Ambassador : RJF 6/19 n° 514 et TA Paris 7-6-2018, n° 1613999, Société Paule Ka Holding), retient généralement une lecture restrictive de l’article 212, I-a du CGI qui permet au contribuable de justifier qu’un taux d’intérêt intragroupe correspond au taux qu’il « aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ». Le plus souvent, l’administration rejette en effet les études produites par les contribuables et exige, comme seul élément probant, des offres fermes de banque pour des prêts similaires au financement intragroupe considéré.

Le Conseil d’Etat vient de rendre en date du 10 juillet un avis qui était ainsi particulièrement attendu (Avis CE 10-7-2019 n° 429426, SAS Wheelabrator Group à paraître à la RJF 10/19 n° 877). La question posée par le tribunal administratif de Versailles aux juges de la juridiction suprême était de savoir si un contribuable pouvait se référer aux taux pratiqués par des sociétés tierces pour des emprunts obligataires afin de démontrer le caractère de marché du taux d’intérêt appliqué à ses financements intragroupe.

Dans son avis, le Conseil d’Etat rejette l’approche restrictive de l’administration. Il précise que la preuve du caractère de pleine concurrence d’un taux d’intérêt peut être faite par tout moyen et notamment à travers des études fondées sur des référentiels obligataires. Les juges rappellent en effet que : « l'entreprise emprunteuse […], a la faculté d'apporter cette preuve par tout moyen. A ce titre, pour évaluer ce taux, elle peut le cas échéant tenir compte du rendement d'emprunts obligataires émanant d'entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables, lorsque ces emprunts constituent, dans l'hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe ».

Si cet avis est fondamental en ce qu’il reconnait le principe de liberté de la preuve et donc la possibilité corrélative de recourir aux référentiels obligataires, les contribuables devront toutefois veiller à la pertinence des études de comparables qu’ils produisent.

La preuve du caractère de marché d’un taux d’intérêt peut être faite par tout moyen et notamment à travers des référentiels obligataires

Dans son avis, le Conseil d’Etat rappelle que le contribuable peut apporter la preuve du caractère de marché du taux d’intérêt de son financement intragroupe par tout moyen, suivant ainsi les conclusions de son rapporteur public, Karin Ciavaldini. Celle-ci indiquait en effet que le texte de l’article 212 du CGI « ne donne aucune indication sur le type d’éléments que le contribuable peut fournir comme approximation » d’un taux de marché et que, dès lors, « ce n’est pas le texte lui-même, directement, qui permettrait d’exclure, le cas échéant, le recours aux taux pratiqués pour des emprunts obligataires dans des situations similaires ».

Une fois le principe de liberté de la preuve rappelé, la question que devait trancher le Conseil d’Etat était de déterminer si les caractéristiques intrinsèques des emprunts obligataires les rendraient, par principe, impropres à être utilisés comme référence au taux qu’aurait pu obtenir le contribuable auprès d’établissements financiers dans des conditions analogues.

Dans son mémoire, le ministre avait tenté d’établir les différences entre le financement par un prêt bancaire et le financement obligataire qui interdiraient, selon lui, toute comparaison. Parmi les principales, figuraient notamment :

  • la différence de régime juridique : un emprunt obligataire relève d’un régime défini par le contrat de prêt alors qu’un emprunt obligataire relève d’un régime « institutionnalisé », encadré par la loi et soumis au contrôle d’autorités de régulation lorsqu’il est souscrit dans le cadre d’un marché réglementé. Le ministre relevait en outre que les droits des créanciers sont différents et que les obligations, contrairement aux prêts bancaires, sont cessibles ;
  • des logiques économiques différentes : le taux est le seul élément de rémunération d’un emprunt bancaire alors que la rémunération d’une obligation comprend d’autres éléments comme les primes d’émission ou de remboursement. Le ministre avançait également que le prêt bancaire relève d’une relation contractuelle entre deux acteurs alors que les emprunts obligataires se caractérisent par un emprunteur unique mais potentiellement de nombreux prêteurs.

Si ces différences sont incontestables, elles n’en constituent pas toutefois des raisons suffisantes pour rejeter, par principe, toute possibilité de comparaison entre les deux types de taux. Le rapporteur public, Karin Ciavaldini, relevait ainsi dans ses conclusions que les rapports de la commission des finances de l’Assemblée Nationale et du Sénat (Rapports n° 2568 établi au nom de la commission des finances de l’Assemblée Nationale par M. Gilles Carrez, tome III, page 460, et n° 99 établi au nom de la commission des finances du Sénat par M. Philippe Marini, tome III, 364) indiquent que le taux que « l’entreprise aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues » fait référence au principe de pleine concurrence explicité par les travaux de l’OCDE pour la détermination des prix de transfert, et que l’OCDE avait récemment précisé qu’en fonction « des faits et circonstances du cas d’espèce, une alternative réaliste à un prêt intragroupe peut être une émission obligataire ( Projet pour commentaires de l’OCDE portant les actions BEPS 8-10 sur les transactions financières publié le 3 juillet 2018, page 25) ». Par ailleurs, les acteurs économiques qui ont accès au financement obligataire arbitrent fréquemment entre ce mode de financement et l’emprunt bancaire, démontrant ainsi qu’il est effectivement possible de les comparer.

Il s’avère ainsi qu’il n’existe aucune raison, découlant du texte même de l’article 212 du CGI ou de la réalité économique, juridique et financière, d’exclure le recours à des comparables du marché obligataire.

Les référentiels obligataires doivent être utilisés à travers une méthodologie pertinente permettant d’assurer la comparabilité au financement intragroupe considéré

Si le Conseil d’Etat admet l’utilisation des référentiels obligataires, les contribuables devront toutefois démontrer que ceux qu’ils utilisent sont pertinents en ce qu’ils possèdent des caractéristiques comparables au financement intragroupe considéré. La comparabilité portera sur les principaux critères influençant la fixation d’un taux d’intérêt, dont la date d’émission, la devise et la maturité de l’instrument financier, le profil de risque de l’emprunteur et le degré de subordination de l’emprunt.

En pratique, la réalisation d’une étude fondée sur des référentiels obligataires devrait être réalisée en trois étapes principales afin d’assurer la comparabilité des taux retenus :

  • Tout d’abord, l’estimation du profil de risque de l’emprunteur à travers la détermination de son scoring, lui-même établi au moyen des modèles proposés par les grandes agences de notation. Les critiques régulières de l’administration sur le fait que ces modèles ne prendraient pas suffisamment en compte de données qualitatives ne semblent pas pouvoir prospérer. Ces outils sont en effet régulièrement utilisés par les différents acteurs de la finance et fournissent des résultats fiables. Dans le contexte de l’application du principe de pleine concurrence tel que défini par l’OCDE, ils permettent d’estimer de manière appropriée le profil de risque de l’emprunteur ;
  • Ensuite, la recherche de données obligataires comparables. Sur la base du scoring obtenu, une recherche d’instruments de financement obligataires est effectuée en utilisant une base de données financière, et plus particulièrement la courbe des taux (yield curve) fournie par celle-ci. Afin d’assurer une comparabilité suffisante à l’étude, la sélection des taux de rendement devra être faite en fonction des caractéristiques principales de l’emprunt intragroupe (maturité, devise, etc.). Cette analyse fournira une statistique d’ensemble qui pourra être utilement complétée par une analyse approfondie visant à remonter jusqu’aux transactions réelles sous-jacentes à cette statistique ;
  • Enfin, la détermination d’un intervalle interquartile de pleine concurrence sur la base des observations de taux obtenus lors de la deuxième étape. Dans ses conclusions, le rapporteur public, Karin Ciavaldini précisait à cet égard que l’objectif de l’analyse était de « définir un intervalle de pleine concurrence, et non un taux précis et unique ».

Comme le reconnait l’OCDE, les analyses de prix de transfert ne sont pas une science exacte (en ce sens, Principes OCDE §4.8). En suivant une telle méthodologie, la pertinence des comparables sélectionnés et la fiabilité consécutive de l’intervalle de taux déterminé devraient toutefois être considérées comme appropriées, permettant enfin aux contribuables d’obtenir la sécurité juridique nécessaire à leurs opérations de financement intragroupe.

Avis d'experts paru dans l'espace Abonnés des Editions Francis Lefebvre le 19 août 2019


Prêt intragroupe 

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