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Complémentaire santé et prévoyance : un frein mais pas la fin des clauses de désignation

01/07/2013


Les « clauses de désignation » permettaient jusqu’à présent aux partenaires sociaux d’imposer un assureur et un contrat pré-négocié aux entreprises relevant d’un secteur d’activité. Le Conseil constitutionnel censure la loi autorisant cette pratique dans sa forme actuelle mais sans refermer pour autant toutes les portes.

La loi (article L 912-1 du code de la sécurité sociale) autorisait jusqu’à présent les clauses de désignation pour les régimes reposant sur la « mutualisation des risques ». Ce mécanisme est le suivant : les entreprises doivent obligatoirement s’assurer auprès d’un ou plusieurs organismes assureurs choisi(s) par les organisations syndicales représentatives des employeurs et des salariés au sein d’une branche professionnelle. En contrepartie de cette exclusivité, l’organisme est tenu de couvrir tous les salariés du secteur concerné, sur la base d’un tarif unique. Les risques sont ainsi « mutualisés » au sein de la branche, comme si elle constituait une seule et même entreprise, alors que selon les défenseurs de ce système, sans celui-ci, les entreprises se verraient proposer des tarifs très différents, en fonction notamment de leur taille et de l’état de santé actuel ou futur de leurs salariés. Afin de renforcer cette « mutualisation », certaines branches prévoient une clause de « migration », c’est-à dire imposent à toutes les entreprises de rejoindre l’organisme désigné, quand bien même elles auraient souscrit antérieurement un contrat plus favorable pour les salariés.

Le Conseil a censuré les « clauses de désignation » dans leur version actuelle et les « clauses de migration »

Dans sa décision n°2013-672 DC du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article L.912-1 du code de la sécurité sociale, au motif que contreviennent à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle tant les « clauses de désignation » que les « clauses de migration ». Ces deux termes doivent vraisemblablement s’entendre au sens qui leur est habituellement donné en matière d’accords de mutualisation, car ils sont cités à plusieurs reprises par le commentaire qui accompagne la décision à l’appui de l’analyse des dispositions du code de la sécurité sociale.

On peut donc comprendre de cette décision et du commentaire fait par le Conseil constitutionnel que d’une manière générale, dans les accords de couverture collective en matière de santé et de prévoyance, les « clauses de désignation » et les « clauses de migration » dans le sens qui leur était habituellement donné dans ce domaine, sont contraires à la Constitution.

Les « clauses » interdites et celles qui resteraient admises

Selon le Conseil constitutionnel, seraient interdites les clauses des conventions de branche qui conduiraient à ce que « l’entreprise soit liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini ». C’est pour ce motif que l’article L.912-1 du code de la sécurité sociale a été censuré car dans sa rédaction soumise aux juges, il permet que « toutes les entreprises qui appartiennent à une même branche professionnelle peuvent se voir imposer non seulement le prix et les modalités de la protection complémentaire mais également le choix de l'organisme de prévoyance chargé d'assurer cette protection ».

Toutefois, le Conseil ne ferme pas la porte à toute présélection d’un organisme assureur par les partenaires sociaux, et précise à cet égard la liberté d’action du législateur en ces termes :

« Le législateur peut porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans un but de mutualisation des risques, notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence ».

Ainsi, les deux situations envisagées par le Conseil, qui seraient compatibles avec les principes précités, sont les suivantes :

  • le législateur pourrait « prévoir » qu’une négociation de branche porte tant sur l’identité d’un organisme assureur, que sur des clauses essentielles du contrat telles que le tarif d’assurance, mais à la condition qu’il s’agisse d’une simple recommandation et non d’un choix imposé aux entreprises.
  • le législateur pourrait « offrir la possibilité » que soient « désignés au niveau de la branche » plusieurs organismes assureurs proposant plusieurs contrats : dans ce cas les entreprises conserveraient la possibilité de choisir l’assureur et le contrat, bien qu’il s’agisse d’un choix limité parmi les seuls organismes sélectionnés au niveau de la branche.

Une application immédiate avec une dérogation temporaire pour les contrats en cours

Ce qui peut paraître surprenant, c’est que, alors même qu’il n’était pas saisi de la question de la constitutionnalité de cette loi par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité, mais devait seulement se prononcer sur des dispositions qui modifiaient ce texte, le Conseil déclare inconstitutionnelle une disposition législative adoptée il y a presque 20 ans (loi du 8 aout 1994), qui a donné lieu à de nombreuses applications, notamment pas plus tard que le 26 février dernier, par la Cour de cassation (Cass. Soc. 26 février 2013, n°11-22.145 Société Medelices C : Société AG2R prévoyance ). Pour autant, le Conseil constitutionnel, avant même l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité qui lui permet, depuis le 1er mars 2010, de se prononcer sur une loi déjà promulguée, avait estimé, sur le fondement de sa jurisprudence dite « Nouvelle-Calédonie », que « la conformité à la Constitution d'une loi déjà promulguée peut être appréciée à l'occasion de l'examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine », (décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985).

Les conséquences d’une telle déclaration d’inconstitutionnalité sur les effets dans le passé de la disposition déclarée inconstitutionnelle sont encore incertaines dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. C’est sans doute la raison pour laquelle le Conseil a expressément précisé que sa déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L.912-1 du code de la sécurité sociale « n’est toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication, et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité ». Le Conseil précise cependant que ces contrats seront soumis aux effets de cette décision dès lors qu’ils arriveront à leur terme « normal ». Compte tenu de la variété des pratiques en la matière (contrats d’une durée de cinq ans, contrat d’une durée annuelle avec tacite reconduction), il conviendra donc d’examiner au cas par cas la rédaction de chaque contrat pour déterminer à quelle date les dispositions déclarées inconstitutionnelles ne lui seront plus applicables.

Article paru dans Les Echos Business du 1er juillet 2013

Auteurs

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Stéphane Austry
Associé
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Florence Duprat-Cerri
Counsel
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