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Loi Sapin II - Volet Relations commerciales | Flash info Concurrence

19/07/2016

Tout juste un an après la loi Macron du 6 août 2015 (voir Flash info Loi Macron – Volet Concurrence), c’est au tour du projet de loi Sapin II relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, de s’intéresser à l’encadrement des relations commerciales, la matière semblant marquée par l’absence de toute pause législative.

Après un passage en première lecture devant l’Assemblée nationale puis au Sénat, ce texte, soumis à la procédure accélérée, apporte son lot d’aménagements à plusieurs thématiques classiques d’application générale, comme les délais de paiement, la convention unique et les pratiques restrictives de concurrence, tout en touchant à certains aspects plus spécifiques des relations commerciales nouées dans la filière agroalimentaire.

Dans l’attente de la tenue de la Commission mixte paritaire, vraisemblablement en septembre, voici déjà les principales innovations envisagées par le projet et sur lesquelles les deux assemblées ont parfois marqué une certaine divergence.

Délais de paiement (projet de loi : art. 36)

Dans le souci récurrent de renforcer l’efficacité de la réglementation sur les délais de paiement interentreprises, par la dissuasion des politiques délibérées de paiements tardifs pratiquées par certaines entreprises pour améliorer leur trésorerie, le projet de loi prévoit trois séries de mesures dont, à ce stade, deux ont été retenues par le Sénat :

  • le relèvement significatif de 375 000 euros à 2 millions d’euros du plafond de l’amende administrative encourue en cas de non-respect de la règlementation sur les délais de paiement, qu’il s’agisse des règles relatives aux délais de droit commun (art. L.441-6 VI modifié C. com.) ou aux délais spécifiques (art. L. 443-1 dernier alinéa modifié C. com.) mais aussi de celles applicables aux entreprises publiques (art. 40-1 modifié de la loi n° 2013-100 du 23 janvier 2013). En cas de récidive dans les deux ans d’une première décision de sanction devenue définitive, l’amende maximale encourue sera de 4 millions d’euros
  • la suppression de la limitation du cumul du montant des amendes administratives au maximum légal le plus élevé en cas de manquements en concours (art. L. 465-2 VII modifié C. com.). Cette règle de plafonnement avait été, rappelons-le, introduite par le Sénat lors de l’adoption de la loi Hamon du 17 mars 2014 pour s’assurer que les sanctions administratives appelées à remplacer les anciennes sanctions civiles et pénales restent proportionnées. Pour les mêmes raisons, le Sénat vient donc de refuser de voir ce plafonnement remis en cause

Nota: afin de mettre en cohérence les prérogatives de la DGCCRF, le projet de loi prévoit également la suppression de la limitation du montant cumulé des amendes susceptibles d’être prononcées à l’occasion de manquements en concours relevant du Code de la consommation (art. L. 552-7 modifié C. cons.). Le Sénat a aussi supprimé cette disposition.

  • la publication systématique, et non plus seulement facultative, des sanctions qui seront prononcées en application des articles L. 441-6, IV C. com. et L. 443-1 dernier alinéa C. com., ce qui implique la divulgation au public du nom des entreprises contrevenantes (« name and shame ») (art. L. 465-2 V modifié C. com.).

Le Conseil d’Etat a estimé que ni l’augmentation du plafond d’amende, ni la suppression de la limitation du cumul des amendes ne sont manifestement disproportionnées, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur en matière de fixation de sanctions. De même, le caractère obligatoire de la publication des décisions ne serait pas contraire au principe d’individualisation des peines « dès lors que, conformément à la décision du Conseil constitutionnel n° 2013 QPC du 28 juin 2013, cette mesure ne fait pas obstacle à ce que la durée de la publication ainsi que les autres modalités de cette publicité soient fixées en fonction des circonstances propres à chaque espèce » (avis n° 391-262, séance du 24 mars 2016).

Parallèlement à ce renforcement des sanctions, l’Assemblée nationale a introduit un dispositif instaurant une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités du « grand export » (art. L. 441-6, I dernier alinéa nouveau et art. L. 443-1, 4° modifié C. com.). Largement inspiré d’une mesure envisagée dans le cadre de l’adoption de la loi Hamon de 2014 puis reprise, sans plus de succès, par une proposition de loi (n° 2216) dont le parcours législatif s’est arrêté devant le Sénat, ce dispositif permettrait aux parties de convenir, pour les achats de biens destinés à faire l’objet d’une livraison en l’état hors de l’Union européenne (UE), effectués en franchise de TVA en application de l’article 275 du CGI, d’un délai de paiement de 90 jours à compter de la date d’émission de la facture. Cette dérogation, qui doit être expressément prévue par le contrat et ne doit pas constituer un abus manifeste à l’égard du créancier, ne sera pas applicable aux achats effectués par les grandes entreprises. En cas de non-respect de la condition d’exportation des biens, des pénalités de retard seraient dues dans les conditions de droit commun. Cette mesure a été supprimée par le Sénat mais pourrait être réintroduite par la Commission mixte paritaire.

Pour les députés, la dérogation prévue se justifie par le fait que les entreprises concernées « sont sujettes, pour leur trésorerie, à un effet de ciseau résultant d’un décalage significatif entre les délais dans lesquels elles doivent payer leurs fournisseurs et les délais dans lesquels elles sont elles-mêmes rémunérées par leurs clients installés hors de l’Union européenne » (avis AN n° 3756). Ce à quoi les sénateurs ont rétorqué que le dispositif envisagé aura pour effet, en voulant soulager la trésorerie des négociants, de détériorer celle de leurs fournisseurs (avis Sén. n° 707).

Ce débat a aussi le mérite indirect de mettre en lumière la difficulté pratique pour les opérateurs exportateurs hors de l’UE de pouvoir faire réellement référence au droit français et européen des délais de paiement dans leurs relations avec leurs clients étrangers.

Convention unique (projet de loi : art. 31 ter)

Le projet de loi apporte quelques aménagements sensibles au régime de la convention écrite (convention unique ou contrat-cadre) qui aujourd’hui doit être conclue, avant le 1er mars de chaque année, entre les fournisseurs et les distributeurs ou prestataires de services pour récapituler les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale (art. L. 441-7 C. com.) ou avec les grossistes (art. L. 441-7-1 C. Com).

Ces aménagements sont les suivants :

  • il est prévu que les conventions récapitulatives pourront être conclues pour une durée d’un an, de deux ans ou de trois ans. Cette possibilité de contrats pluriannuels, initialement réservée par l’Assemblée nationale aux conventions portant sur des produits agricoles ou alimentaires, a été étendue par le Sénat à l’ensemble des conventions entre distributeurs et fournisseurs mais également aux conventions spécifiques imposées depuis la loi Macron dans les relations entre fournisseurs et grossistes (art. L. 447-1 I modifié C. com. ; art. 31 ter PL). Le Sénat a néanmoins souhaité que l’ensemble du nouveau dispositif ne soit applicable qu’aux conventions conclues à compter du 1er janvier 2018, pour laisser aux entreprises le temps de s’adapter (art. 31 ter IV)

Les conventions biennales ou triennales devront fixer les modalités de révision du prix convenu, ces modalités pouvant prendre en compte un ou plusieurs indices publics reflétant l’évolution du prix des facteurs de production (art. L. 441-7, I al. 5 modifié C. com. ; art. 31 ter PL). Pour éviter certaines dérives dans le choix des indices, le Sénat est venu préciser que le fait d’imposer une clause de révision de prix par référence à un ou plusieurs indices publics sans rapport direct avec les produits ou les prestations de services qui sont l’objet de la convention sera constitutif d’une nouvelle pratique restrictive de concurrence (art. L. 442-6, I 7° nouveau C. com. ; voir infra pratiques restrictives de concurrence).

La possibilité de recourir à des contrats pluriannuels assortis d’une clause de révision fait écho au constat selon lequel un cadre de négociation annuel peut, par son manque de souplesse, constituer un obstacle pour les parties souhaitant s’engager sur un laps de temps plus long pour augmenter la visibilité de leur partenariat et investir de manière plus productive. En raison de l’instauration d’une durée d’engagement plus longue, les parlementaires ont souhaité que ces conventions soient assorties d’une clause de révision de prix.

  • soucieux par ailleurs d’un meilleur équilibre dans les relations contractuelles entre entreprises de l’agroalimentaire et distributeurs pour la fabrication des produits à marque de distributeur (MDD), le Sénat a également adopté un amendement prévoyant que « les coûts de création des nouveaux produits alimentaires sous marque de distributeur, des cahiers des charges, des analyses et audits autres que ceux effectués par les entreprises agroalimentaires restent à la charge du distributeur et ne peuvent être imposés aux entreprises » (art. L. 441-7 III nouveau C. com. ; art. 31 ter du projet de loi) ;
  • la date butoir de conclusion de la convention écrite avait été avancée par l’Assemblée nationale au 1er février de l’année pendant laquelle elle prend effet, mais le Sénat a supprimé cette mesure pour revenir à la date actuelle du 1er mars (art. 31 ter PL) ;

Selon l’Assemblée nationale, l’avancement au 1er février de la date butoir des négociations commerciales permettrait de synchroniser l’échéance de conclusion des contrats avec la date traditionnelle de tenue du salon international de l’agriculture, et partant de rendre moins tendu le « climat » dans les négociations.

  • pour plus de transparence sur le déroulé des négociations commerciales, l’Assemblée nationale a souhaité, contre l’avis du Gouvernement, renforcer le formalisme entourant la conclusion de la convention unique en imposant l’insertion du nom du négociateur de l’acte (art. 31 bis du projet de loi). Le Sénat s’est montré défavorable à cette exigence d’information dont le non-respect serait sanctionné par la même amende administrative que d’autres violations plus caractérisées. Il ne voit pas quelles incidences juridiques pourraient y être attachées dès lors que le négociateur agit comme préposé d’une personne morale, dont seule la responsabilité ou celle de ses dirigeants peut être recherchée en cas de pratiques abusives ou déloyales, sauf à établir que l’intéressé a agi en dehors de ses fonctions.

Pratiques restrictives de concurrence (projet de loi : art. 31 bis D/31 quater/31 ter/31 quinquies/31 bis E)

Le projet de loi étend le périmètre des pratiques restrictives de concurrence tout en renforçant leur dispositif de sanction.

Nouvelles clauses et pratiques abusives

Serait ainsi appelée à figurer parmi les clauses restrictives de concurrence considérées comme nulles la clause permettant de « soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des pénalités de retard de livraison en cas de force majeure » (art. L. 442-6 II, f nouveau C. com. ; art. 31 bis D). Il s’agit ici de sanctionner un comportement récurrent, semble-t-il, dans la grande distribution, tendant à imposer des pénalités pour non-respect du taux de service, alors même que celui-ci peut provenir de circonstances présentant un caractère de force majeure, cause exonératoire de responsabilité civile.

Par ailleurs, le Sénat a inscrit, comme on l’a vu (cf. supra convention unique), au rang des pratiques restrictives, de nature à engager la responsabilité civile de leur auteur, le fait d’imposer une clause de révision de prix, en application de l’article L. 441-7 modifié ou L. 441-7-1 modifié, par référence à un ou plusieurs indices publics sans rapport direct avec les produits ou les prestations de services qui sont l’objet de la convention. Cette interdiction jouera également à l’égard des clauses de renégociation du prix, en application de l’article L. 441-8 C. com., figurant dans les contrats inférieurs à trois mois de vente de produits agricoles (ou de production de produits agricoles destinés à être vendus sous marque de distributeur) dont le prix de production est considéré comme fluctuant (art. L. 442-6, I 7° nouveau C. com. ; art. 31 ter du projet de loi).

Le projet de loi étend ou précise par ailleurs, après son passage devant l’Assemblée nationale, la liste des avantages identifiés comme ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné à la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée (art. 442-6 I, 1°modifié C. com. ; art. 31 quater) :

  • d’une part, au financement d’une opération de promotion commerciale ;
  • d’autre part, à la rémunération de services rendus par une centrale d’achat internationale. Estimant que ce dispositif ne permettait pas d’appréhender les pratiques de centrales n’ayant qu’une activité de prestations auprès de leurs affiliés ou de référencement alors qu’elles sont également susceptibles d’exiger des fournisseurs des sommes déconnectées de la réalité des coûts de participation et des prestations effectivement assurées, le Sénat a étendu le dispositif à l’ensemble des centrales internationales regroupant des distributeurs, quelles que soient leurs activités.

Renforcement des sanctions

L’Assemblée nationale a augmenté le plafond de l’amende civile susceptible d’être prononcée à l’encontre de l’auteur d’une pratique restrictive de concurrence de 2 millions à 5 millions d’euros (art. L. 442-6, III al. 2 modifié C. com. ; art. 31 quinquies PL). Cette mesure a été vivement critiquée par le Sénat qui rappelle que l’amende peut déjà, soit être portée au triple du montant des sommes indûment versées, soit être fixée, depuis la loi Macron, à 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédent celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Il l’a donc supprimée, en soulignant qu’une nouvelle modification du dispositif de sanction à un an de la précédente était somme toute prématurée.

Le projet de loi rend par ailleurs obligatoire la publication, la diffusion ou l’affichage de toute décision constatant une pratique restrictive de concurrence ou d’un extrait de cette décision, alors que le prononcé de cette peine complémentaire est aujourd’hui facultatif pour le juge (art. 442-6 III al. 3 modifié C. com. ; art. 31 bis E du projet de loi). Cette publicité systématique est vue comme permettant d’accroître la portée d’une décision en mettant en cause « l’image de marque » des entreprises sanctionnées.

Dispositions intéressant la filière agroalimentaire (projet de loi : art. 31 bis C/art. 31 ter A/art. 30 C/art. 30)

Parmi les apports du projet de loi intéressant plus spécifiquement la filière agroalimentaire, méritent d’être signalés brièvement les points suivants destinés à répondre à certaines préoccupations des producteurs dans le contexte actuel de crise agricole :

  • l’obligation d’indiquer, dans les conditions générales de vente des produits alimentaires comprenant un ou plusieurs produits agricoles non transformés soumis à la contractualisation obligatoire (en vertu d’un décret ou d’un accord interprofessionnel), le « prix prévisionnel moyen » proposé par le vendeur au producteur agricole (art. L. 441-6 I al. 6 modifié C. com. ; art. 31 bis C du projet de loi). Précision apportée par le Sénat : les critères et modalités de détermination du prix prévisionnel devront faire référence à un ou plusieurs indicateurs publics de coût de production en agriculture et à un ou plusieurs indices publics de prix des produits agroalimentaires ;
  • la mention obligatoire, dans les contrats d’une durée inférieure à un an concernant les produits sous marque de distributeur, du « prix ou des critères et modalités de détermination du prix d’achat » des produits agricoles non transformés entrant dans la composition des produits alimentaires, lorsque ces produits font l’objet d’un contrat obligatoire (art. L. 441-10 nouveau C. com. ; art. 31 bis C PL) ;
  • le plafonnement du montant des avantages promotionnels (NIP), accordés aux clients du distributeur par le fournisseur, à 30 % de la valeur du barème des prix unitaires, frais de gestion compris pour les produits agricoles mentionnés à l’article L. 441-2-1 C. com. ainsi que pour le lait et les produits laitiers (art. L. 441-7 al. 9 nouveau C. com. ; art 31 ter A PL). La fixation d’un pourcentage maximal de promotion admissible est destinée à limiter les baisses de prix excessives opérées dans le cadre des opérations promotionnelles et source de déstabilisation des marchés ;
  • l’obligation de faire figurer parmi les critères et modalités de détermination du prix, dans les contrats de cession de produits agricoles conclus en vue de la revente ou de la transformation, la référence à des indicateurs de coûts de production agricole et de prix agricoles ou alimentaires (art. L. 631-24 I modifié du Code rural et de la pêche maritime ; art. 30 C du projet de loi) ;
  • la subordination de la conclusion de ces mêmes contrats, lorsque celle-ci est rendue obligatoire par un décret ou par un accord interprofessionnel et qu’une organisation de producteurs (ou une association d’organisations de producteurs) est mandatée pour négocier les contrats au nom et pour le compte de ses membres, à la conclusion d’un accord-cadre écrit entre cette organisation de producteurs et l’acheteur répondant à un certain formalisme (art. L. 631-24 I modifié du Code rural et de la pêche maritime ; art. 30 C du projet de loi) ;
  • l’interdiction pour une durée de sept ans, sous peine de nullité, de toute cession à titre onéreux, totale ou partielle, des obligations nées de contrats d'achat de lait de vache entre producteurs et acheteurs (art. L. 631-24-1 nouveau du Code rural et de la pêche maritime ; art. 30 du projet de loi). Le Sénat est venu préciser que cette incessibilité, qui est d’ordre public, s’applique non seulement aux obligations découlant des contrats laitiers mais aussi aux contrats eux-mêmes dès lors qu’ils sont effectivement rendus obligatoires par décret ou accord interprofessionnel.

Auteurs

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Nathalie Petrignet
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Denis Redon
Associé
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Elisabeth Flaicher-Maneval
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Paris
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