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Absence de condition de maintien de l'activité pendant la durée des engagements de conservation Dutreil

Cass. com., 25 mai 2022, no 19-25513

05/01/2023

L’administration fiscale a ajouté une condition qui ne figure pas à l’article 787 B du Code général des impôts en imposant à une société holding animatrice de groupe de maintenir son activité éligible jusqu’à la fin des engagements de conservation de titres. La condition vient cependant d’être légalisée par le législateur dans la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

Cass. com., 25 mai 2022, no 19-25513, Mme Y. c/ Directeur régional des finances publiques d’Île-de-France et du département de X, F-B (cassation sans renvoi CA Rennes, 8 oct. 2019), M. Mollard, prés. ; SCP Lesourd, SCP Foussard et Froger, av. : DEF 6 juin 2022, n° DEF208m0, note C. Vernières.

1. Une fois n’est pas coutume, notre commentaire porte sur une jurisprudence en matière fiscale, et non civile. L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 25 mai 2022 est relatif au régime dit « Dutreil » prévu à l’article 787 B du Code général des impôts. Plus précisément, il tranche une question importante sur la période pendant laquelle l’activité de la société dont les titres sont transmis doit être maintenue.

Pour rappel, le régime fiscal Dutreil permet aux transmissions successorales et aux donations de titres d’une société de bénéficier d’un abattement d’assiette de 75 % en contrepartie du respect de conditions de conservation des titres transmis et de direction de la société concernée. L’obligation de conservation des titres comprend deux phases : une phase collective de conservation d’une durée minimale de deux ans, impliquant en principe la signature par l’auteur de la transmission d’un « pacte Dutreil », suivie d’une phase individuelle de conservation d’une durée de quatre ans qui doit être respectée par chaque bénéficiaire. L’obligation de direction, qui doit être respectée pendant toute la durée du pacte Dutreil et lors des trois années suivant la transmission, peut être remplie soit par un bénéficiaire de la transmission, soit par un signataire du pacte Dutreil.

Par ailleurs, la société concernée doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, auxquelles on assimile l’activité de société holding animatrice de groupe, à savoir l’activité d’une société qui participe activement à la définition de la politique de son groupe et qui contrôle ses filiales.

2. La décision commentée portait sur la durée pendant laquelle l’activité de holding animatrice de groupe devait être exercée.

Les faits étaient les suivants : à la suite du décès de sa mère, la fille de la défunte revendique l’exonération partielle de 75 % du régime Dutreil prévu à l’article 787 B du Code général des impôts sur les titres de société figurant dans la succession, en s’appuyant sur l’activité de holding animatrice de la société concernée.

Moins de deux mois après le décès, la société holding cède cinq de ses sept filiales commerciales, et quelques mois après, une sixième filiale. L’administration fiscale remet alors en cause l’avantage fiscal Dutreil au motif que, postérieurement au fait générateur, mais avant la fin de l’engagement de conservation de titres imposé par la loi, la société était devenue essentiellement une holding financière, gérant les produits des cessions intervenues.

La cour d’appel de Rennes, dans un arrêt en date du 8 octobre 2019, donne raison à l’administration fiscale en se fondant sur l’objectif fixé par le législateur. Selon la cour d’appel, sauf à vider la loi de sa substance, la société holding aurait dû, pendant la durée des engagements de conservation, conserver une activité d’animation d’un groupe formé de filiales, lesquelles devaient, sauf circonstances indépendantes de leur volonté, conserver une activité économique.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Rennes au motif qu’en ajoutant à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, les juges du fond ont violé l’article 787 B du Code général des impôts.

3. La Cour de cassation privilégie ainsi la lettre de la loi à l’esprit que l’administration fiscale prétendait pouvoir prêter au texte.

On se souvient pourtant qu’en 2020, le Conseil d’État puis la Cour de cassation avaient choisi une autre approche lorsqu’ils avaient dû trancher la question de savoir si l’activité éligible devait être prépondérante. L’administration fiscale soutenait que l’activité éligible au régime Dutreil devait nécessairement être prépondérante. Alors que la lettre de la loi ne faisait pas référence à une quelconque prépondérance, le Conseil d’État avait malgré tout décelé cette condition dans l’article 787 B du Code général des impôts, s’appuyant vraisemblablement – sans pour autant l’énoncer – sur l’esprit du texte (CE, 8e et 3e ch. réunies, 23 janv. 2020, n° 435562 : v. nos obs. FR 18/20, n° 16). La Cour de cassation s’était ralliée à cette position quelques mois plus tard (Cass. com., 14 oct. 2020, n° 18-17955).

À l’inverse, la présente décision du 25 mai 2022 retient, sur la question de la pérennité des activités, une analyse reposant sur une interprétation littérale de la loi. Elle s’inscrit dans la lignée d’un arrêt de 2016 de la Cour de cassation relatif au régime d’exonération d’ISF pour investissement dans les PME (Cass. com., 2 févr. 2016, n° 14-24441, FS-PB : RJF 5/16, n° 488). Dans cette affaire, l’administration fiscale soutenait que l’activité de la PME dans laquelle le redevable avait investi devait être maintenue pendant cinq ans, ce qui correspondait à la durée pendant laquelle le redevable devait conserver les titres reçus en contrepartie de son apport. Comme dans le présent arrêt, la condition de maintien d’activité soutenue par l’administration avait été écartée par la Cour de cassation au motif qu’elle n’existait pas dans le texte de loi relatif à la réduction d’ISF pour investissement dans les PME (ancien article 885-0 V bis du CGI).

Le retour à l’orthodoxie juridique doit, selon nous, être salué. L’esprit de la loi doit permettre d’interpréter un texte ambigu. En revanche, il ne peut fonder l’ajout, à un texte légal, d’une condition qui n’y figure pas.

4. L’arrêt nous semble éclairer les conditions à respecter à compter de la transmission des titres.

Il ressort de la décision que l’activité de holding animatrice n’a pas à être effective après le fait générateur de l’impôt, à savoir la transmission des titres. Compte tenu des termes de l’arrêt et du raisonnement suivi par la Cour, il en va, selon nous, de même pour toutes les activités éligibles au régime Dutreil, et non uniquement celle d’holding animatrice de groupe.

Par ricochet, la condition de prépondérance de l’activité éligible ne devrait pas davantage être remplie une fois la transmission intervenue : comment pourrait-on imposer la poursuite d’une activité principale alors qu’aucune activité n’est requise ?

À l’inverse, en toute logique, lorsque la loi prévoit expressément le maintien de conditions pendant toute la durée des engagements de conservation, l’arrêt du 25 mai 2022 n’a pas d’incidence sur ces conditions. On pense notamment au cas de l’apport des titres transmis à une société holding : le point f de l’article 787 B du Code général des impôts, modifié par la loi de finances pour 2019, prévoit expressément que les conditions relatives à la composition de l'actif de la société bénéficiaire de l’apport, à la détention de son capital et à sa direction, doivent être maintenues jusqu’à la fin des engagements individuels de conservation.

Une autre question porte sur la période antérieure à la transmission. En effet, jugeant l’affaire au fond, la Cour de cassation se prononce explicitement au seul regard de l’activité exercée par la société à la date de la transmission. On sait que, s’agissant d’une activité de holding animatrice, la Cour impose qu’une telle activité soit établie par référence à des éléments antérieurs au fait générateur de l’impôt (Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-19770, F-PB : RJF 11/11, n° 1241), mais l’analyse de la décision du 25 mai pourrait peut-être permettre de considérer que l’activité n’aurait pas à être (pleinement) exercée à la date de signature du pacte, par exemple, ou à tout moment pendant la durée du pacte, autre – naturellement – que celui de la transmission constituant le fait générateur de l’impôt (en ce sens également : F. Fruleux, JCP N 2022, n° 797).

De même, pour les engagements « réputés acquis », qui permettent d’éviter la signature d’un pacte Dutreil, la lettre du point b. 2. de l’article 787 B du CGI n’indique pas que la société dont les titres sont transmis doit exercer une activité éligible dans les deux années qui précèdent la transmission : le texte fait uniquement référence à une condition de détention et de direction de la société. La décision considérée pourrait permettre de conclure que la société dont les titres sont transmis doit uniquement remplir les conditions d’activité et de prépondérance au jour du fait générateur de l’imposition.

Qu’en est-il, sur un autre point, de la limitation statutaire des droits de vote de l’usufruitier aux décisions concernant l’affectation des bénéfices en cas de donation en nue-propriété avec réserve d’usufruit ? On sait que les statuts de la société dont les titres sont transmis doivent impérativement comporter cette limitation au jour de la donation, sous peine de remise en cause de l’avantage fiscal Dutreil. Mais quid une fois la transmission réalisée ? La loi ne prévoit aucun délai. Doit-on en conclure que les statuts pourraient être modifiés, par hypothèse par les nus-propriétaires pour les titres démembrés transmis, avant la fin des engagements de conservation ?

Dans un tel cas, il ne faut, en tout état de cause, pas oublier que l’acceptation par les nus-propriétaires et/ou les autres associés d’une telle modification pourrait déguiser une libéralité elle-même taxable, pour autant qu’une valeur puisse être octroyée à l’avantage éventuellement consenti.

Bien entendu, l’ensemble des considérations qui précèdent doivent être appréciées dans les limites d’un éventuel abus de droit, les parties n’étant pas admises à organiser le respect artificiel et temporaire d’une ou plusieurs conditions aux seules fins de bénéficier d’un avantage fiscal.

5. S’agissant de l’application dans le temps de la décision, elle a été limitée par le vote de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, qui a légalisé la position de l’administration fiscale. L’article 8 de cette loi ajoute un « c bis » à l’article 787 B du Code général des impôts afin de prévoir un maintien de l’activité éligible pendant toute la durée des engagements de conservation, à savoir de la signature du pacte Dutreil jusqu’à la fin des engagements individuels. S’agissant du cas particulier du « réputé acquis », la condition d’activité doit aussi être remplie dans les deux années qui précèdent la transmission. Pour les pactes Dutreil conclus dans les six mois d’un décès, appelés « pactes Dutreil post-mortem », la condition d’activité doit être remplie depuis le jour du décès.

Le texte prévoit son application pour les transmissions réalisées « à compter du 18 juillet 2022 ainsi qu'à celles pour lesquelles, à cette même date, les conditions suivantes sont cumulativement remplies :

  • 1° L'un des engagements mentionnés au c bis de l'article 787 B du Code général des impôts est en cours ;
  • 2° La société mentionnée au premier alinéa du même article 787 B n'a pas cessé d'exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. »

La loi nouvelle concerne donc toutes les transmissions survenues à compter du 18 juillet 2022 mais également les transmissions survenues antérieurement à cette date, pour lesquelles la société continue d’exercer l’activité éligible alors que les engagements de conservation de titres prévus par la loi ne sont pas terminés.

La rétroactivité de la loi semble contestable. À titre d’exemple, la loi nouvelle pourrait aboutir à remettre en cause une transmission ayant eu lieu en août 2016, pour laquelle les engagements individuels de conservation se sont terminés en août 2022, au motif que, fin juillet 2022, la société a cessé son activité éligible. On aboutirait donc à la remise en cause du régime fiscal appliqué à une transmission ayant eu lieu presque six ans avant le vote de la loi ! On peut donc douter de la constitutionnalité du régime transitoire mis en place, qui pourra potentiellement faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), compte tenu du fait que l’article 8 de la loi n’a pas été soumis au Conseil constitutionnel à la suite de son adoption.

6. En définitive :

Pour les transmissions antérieures au 18 juillet 2022, pour lesquelles l’activité éligible a cessé avant cette date, les redevables pourront revendiquer la solution de l’arrêt du 25 mai 2022. Bien que l’administration fiscale mentionne, dans ses commentaires à jour au 21 décembre 2021, que « la société doit vérifier la condition d’activité […] pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 25), cette précision devient sans portée du fait de la décision de la Cour de cassation en date du 25 mai 2022, dès lors que, comme relevé dans l’arrêt, la doctrine administrative ne peut qu’indiquer l’interprétation de la loi par l’administration fiscale, mais n’a pas pour objet d’ajouter une condition à la loi. Pour tous les contentieux en cours portant sur l’absence de maintien de l’activité éligible ou de la condition de prépondérance après le jour de la transmission, l’arrêt du 25 mai 2022 pourra être utilement invoqué. Comme précédemment indiqué, le raisonnement suivi par la Cour de cassation pourrait potentiellement s’appliquer également aux contentieux portant sur le non-respect des conditions d’activité ou de prépondérance pour la période antérieure à la transmission. En outre, si un redevable a acquitté un complément de droits, spontanément ou sur demande ou rehaussement de l’administration pour les motifs susmentionnés, il sera fondé à présenter une réclamation contentieuse, dans les limites du délai de réclamation, pour autant, bien entendu, que les autres conditions du régime Dutreil soient et demeurent par ailleurs réunies. Paradoxalement, pour éviter d’être dans le champ de la loi de finances rectificative pour 2022, un redevable pourrait être amené à démontrer que sa société a cessé son activité avant la date soutenue par l’administration fiscale, afin de prouver que la date de cessation était antérieure au 18 juillet 2022, date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Pour les transmissions postérieures au 18 juillet 2022 ou celles antérieures pour lesquelles les engagements de conservation et l’activité éligible ont cessé après le 18 juillet 2022, la loi nouvelle vient neutraliser l’application de la solution de l’arrêt du 25 mai 2022, sauf, le cas échéant, à envisager une remise en cause de la conformité à la Constitution de la rétroactivité de la loi nouvelle.

Concernant le non-respect de la limitation des droits de vote de l’usufruitier après la transmission, comme la loi nouvelle ne vise pas ce cas, il pourrait être envisagé de transposer la solution de l’arrêt du 25 mai 2022, y compris pour les transmissions postérieures au 18 juillet 2022.

Article paru dans la Gazette du Palais du 06/12/2022. L’intégralité de la Gazette spécialisée Droit privé du patrimoine est accessible sur la base Lextenso : Gazette du Palais | La base Lextenso (labase-lextenso.fr)


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