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Abus de position dominante collective dans le secteur pharmaceutique

Caractérisation d’une position dominante collective

25/02/2021

En septembre 2020, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a sanctionné trois laboratoires pharmaceutiques à hauteur de 444 millions d’euros pour abus de position dominante collective visant à préserver le prix et les ventes d’un médicament sur le marché du traitement de la DMLA au détriment d’un produit concurrent 30 fois moins cher (Décision 20-D-11 du 9 septembre 2020).

Le contexte

Le laboratoire Genentech a développé un médicament, le Lucentis, traitant la DMLA ainsi qu’un anticancéreux, l’Avastin. Ayant constaté les effets positifs de l’Avastin sur la DMLA, les ophtalmologistes l’ont utilisé, hors autorisation de mise sur le marché (AMM), pour traiter cette maladie (principe de liberté de prescription des médecins). Face au développement de cette utilisation de l’Avastin, les autorités publiques de plusieurs pays ont engagé des projets de recherche visant à tester l’efficacité et les éventuels effets secondaires associés à cette prescription médicale, d’un coût moindre.  

Les laboratoires Genentech, Novartis et Roche se voient reprocher d’avoir mis en œuvre entre 2008 et 2013 un ensemble de comportements destinés à freiner l’utilisation hors AMM de l’Avastin afin de préserver la position et le prix du Lucentis sur le marché du traitement de la DMLA.

Une position dominante collective sur le marché du traitement de la DMLA

Pour mémoire, une position dominante collective est établie lorsque « les entreprises en cause ont, ensemble, notamment en raison de facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d’adopter une même ligne d’action sur le marché et d’agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs ». Cette qualification est peu fréquente dans la pratique décisionnelle de l’Autorité. Cette dernière n’a pas retenu la qualification d’entente qui avait été utilisée par l’Autorité italienne en 2014 contre les sociétés Roche et Novartis pour les sanctionner d’avoir mis en œuvre une entente ayant pour objet d’établir une différence artificielle entre les médicaments Avastin et Lucentis dans le traitement de la DMLA.

L’Autorité de la concurrence a donc estimé que les trois laboratoires formaient une « entité collective », pour les besoins de la commercialisation de Lucentis et Avastin, qui détenait une position dominante sur le marché du traitement de la DMLA, avant l’arrivée en 2013 d’un produit concurrent, en raison de l’existence de liens

  • capitalistiques croisés significatifs (Roche actionnaire majoritaire puis unique de Genentech ; Novartis détenteur de 33,33% des droits de vote de Roche), et 
  • contractuels importants et stratégiques (contrats de licence liant hors territoire USA Genentech et Novartis pour la commercialisation du Lucentis et Genentech et Roche pour la commercialisation de l’Avastin).

Or, ces liens favorisaient un système d’échange et de remontée d’informations qui leur avaient permis d’adopter une ligne d’action commune visant à limiter les prescriptions d’Avastin « hors AMM ». En effet, compte tenu des différences de coût de traitement entre les deux spécialités, toute utilisation de l’Avastin à la place du Lucentis était susceptible d’entraîner un manque à gagner significatif pour chacun des trois laboratoires :

  • pour Novartis qui percevait, en qualité de licencié, le produit des ventes de Lucentis sur le marché DMLA ;
  • pour Genentech qui recevait, en tant que donneur de licence, les redevances des ventes de Lucentis sur le marché DMLA ;
  • pour Roche qui, en tant qu’actionnaire unique de Genentech, tirait profit des bénéfices de ce laboratoire américain et, en sa qualité de distributeur, n’avait donc aucun intérêt à positionner l’Avastin sur le marché DLMA.

Un abus de position dominante collective

L’ADLC a estimé que l’abus de position dominante collective était caractérisé par les comportements suivants.

  • Le dénigrement d’Avastin par Novartis. Pour faire échec aux initiatives des ophtalmologistes de prescriptions d’Avastin « hors AMM », Novartis a diffusé un discours dénigrant, en amplifiant, de manière injustifiée, les risques liés à l’utilisation d’Avastin pour le traitement de la DMLA, en comparaison avec la sécurité et la tolérance du Lucentis. Cette campagne dénigrante, menée auprès des ophtalmologistes, des associations de patients et du grand public, qui insistait également sur la responsabilité civile et pénale des médecins prescrivant l’Avastin « hors AMM », avait eu des conséquences à la fois 
  • directes, en limitant les prescriptions d’Avastin pour le traitement de la DMLA, ce qui avait préservé la position forte du Lucentis, et
  • indirectes, en maintenant le Lucentis à un prix supra-concurrentiel et particulièrement élevé et en conduisant à la fixation du prix de la spécialité concurrente arrivée en 2013 sur le marché à un niveau artificiellement élevé.

On notera que ce grief n’a a été notifié qu’à la seule société Novartis quand bien même il est ici question de position dominante collective. Il a été reproché à cette société d’avoir élaboré et diffusé seule le discours dénigrant et trompeur tout en ayant pu s’appuyer sur la position dominante collective compte tenu des liens décrits ci-dessus. 

  • Un discours alarmiste et trompeur auprès des autorités publiques. Les trois laboratoires avaient diffusé un discours alarmant, et parfois trompeur, auprès des autorités publiques sur les risques liés à l’utilisation d’Avastin pour le traitement de la DMLA, dans le but de bloquer ou ralentir, de façon illégitime, les initiatives des pouvoirs publics visant à sécuriser l’usage d’Avastin « hors AMM » pour le traitement de la DMLA. Cela s’était traduit par :
  • une mise en place des études retardée ;
  • un accroissement de l’inquiétude des pouvoirs publics ayant conduit à une posture de prudence et à une interdiction temporaire de l’utilisation d’Avastin ;
  • un retard dans la renégociation du prix du Lucentis par les autorités en charge de la fixation du prix des médicaments, l’Avastin n’ayant pas pu servir utilement d’élément comparateur.

L’ADLC a justifié l’importance des sanctions infligées par le caractère particulièrement grave de ces pratiques et leur dommage certain sur l’économie : en effet, elles avaient été mises en œuvre dans le secteur de la santé où la concurrence est limitée, à l’heure d’un débat public sur le prix du Lucentis, et avaient eu un impact sur les finances sociales en raison de ce prix extrêmement élevé - le Lucentis étant en 2013 le médicament de ville le plus remboursé à 100 % par la Sécurité sociale - alors qu’il était possible d’avoir recours au médicament Avastin nettement moins onéreux et pouvant être utilisé en ophtalmologie.

La décision fait l’objet d’un recours devant la cour d’appel de Paris.


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