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Action en nullité d’un brevet : la démonstration de l’intérêt à agir

Des éclaircissements bienvenus

25/01/2021

La notion d’intérêt à agir en nullité d’un brevet se précise au fil des décisions. Même si la démonstration peut s’avérer délicate, les juges admettent assez largement les actions lorsque le brevet susceptible d’être annulé entrave un projet, même potentiel, entrant dans le domaine d’activité du titre contesté.

La notion d’intérêt à agir en annulation d’un brevet français n’est soumise à aucun texte particulier et, à ce titre, répond aux exigences du droit commun. L’intérêt du demandeur doit être légitime, né et actuel au jour de l’introduction de l’instance.

Un brevet étant opposable à tous, identifier les personnes qui ont intérêt à en demander la nullité ne va pas de soi. De façon classique, la jurisprudence retenait l’existence d’un intérêt à agir dès lors qu’il existait un "lien objectif entre l'objet de l'invention protégée et l'activité du concurrent" (CA, Paris, 4e ch., sect. B, 13 mai 2005, n° 2002/07030).

Cela étant, les titulaires de brevets attaqués ont poussé les juges à examiner de façon toujours plus précise la condition d’intérêt à agir. Une société peut-elle demander la nullité d’un brevet alors qu’elle n’a pas d’activités susceptibles d’être gênées par ledit brevet à la date de l’assignation ?

Une approche trop restrictive pourrait conduire à considérer que seules les sociétés qui commercialisent des produits entrant dans le champ du brevet pourraient avoir intérêt à en obtenir l’annulation. Cela n’est pas souhaitable : cela reviendrait peu ou prou pour le demandeur à faire la démonstration du caractère contrefaisant de ses propres produits… Les juges ont donc dû déterminer les conditions spécifiques qui doivent être réunies pour caractériser l’intérêt à agir en nullité.

En toute hypothèse, le brevet en question doit pouvoir constituer une "entrave" à l’activité du demandeur ou à ses projets. Ainsi, l’action d’une société qui n’a aucune activité ni aucun projet dans le domaine technique considéré devra être jugée irrecevable. Cela permet d’éviter les actions complaisamment lancées par des "faux nez" qui agissent pour le compte d’une entreprise amie (CA Paris, Pôle 5 Ch. 1, 5 mai 2017, n°14/19226).

En revanche, le caractère potentiel du projet n’est pas un obstacle ; les juges reconnaissent l’existence de l’intérêt à agir lorsque le demandeur à l’action a réalisé des "actes préparatoires" de commercialisation ou lorsqu’il dispose d’un projet réel et sérieux d’activité dans le domaine du brevet contesté (CA Paris, Pôle 5, Ch. 1, 6 mars 2013, n°11/12500).

En ce sens, le tribunal de grande instance de Paris a retenu en 2017 que "l'intérêt à agir en nullité doit être apprécié in concreto et, au regard de l'intérêt général que sert également l'action, souplement : il doit être reconnu à toute personne qui, à titre personnel, voit l'activité économique qu'elle exerce dans le domaine de l'invention entravée effectivement ou potentiellement mais certainement par les revendications dont elle sollicite l'annulation. À ce titre, le demandeur à l'action doit établir l'existence d'un projet réel et sérieux susceptible d'être gêné par le titre". Au contraire, la démonstration de l’intérêt à agir ne suppose pas que soient démontrés des "actes effectifs de commercialisation et encore moins, par anticipation, sa qualité de contrefacteur revendication par revendication en dévoilant l'intégralité de ses avancées techniques […]." (TGI Paris, 3e chambre, 1re section, 16 Mars 2017, n° 15/07920).

Plus récemment, la cour d’appel de Paris, dans le cadre d’une affaire impliquant sécateurs et cisailles, a repris quasiment mot pour mot le principe selon lequel doit être démontré l’existence d’un projet réel et sérieux d’activité susceptible d’être gêné par le titre (CA Paris, Pôle 5, Ch. 2, 23 octobre 2020, n° 16/01527). Au cas d’espèce, les juges ont considéré que les pièces du débat démontraient que les demanderesses avaient "présenté un outil pour l’arboriculture […] en vue d’une commercialisation imminente qui met en œuvre une technologie d’équilibrage des cellules relevant du même domaine technique que les brevets", et que "même si la commercialisation n’avait pas effectivement commencé au jour de l’assignation […] le projet était au-delà du projet réel et sérieux d’activité exigé pour l’intérêt à agir". Les juges ont donc considéré que le fait que le projet et les brevets concernés relèvent du même "domaine technique" était suffisant. 

Dans une autre décision concernant les mêmes parties, les juges parisiens ont même admis l’intérêt à agir d’une société étrangère dont l’activité était cantonnée à la recherche et développement. En effet, la Cour a retenu que : "si l’activité de la société est en réalité une activité de recherche et développement, […] l’intéressé n’en a pas moins un intérêt à agir aux côtés des sociétés FELCO et FELCO France qui interviennent, elles, dans le domaine, respectivement, de la fabrication et de la distribution de sécateurs électriques, son activité de recherche et développement étant directement et nécessairement impactée par celles de deux autres sociétés en lien avec les brevets en litige" (CA, Paris, Pôle 5, Ch. 1, 9 avril 2019, n° 2017/08631). Cette motivation démontre à quel point l’intérêt à agir est apprécié avec souplesse et au regard des circonstances particulières du litige.

En définitive, cette jurisprudence traduit une approche désormais pragmatique, équilibrée et prévisible, ce qui doit évidemment être salué dans l’intérêt des entreprises susceptibles d’être impliquées dans ce type de procédure.


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