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Agence commerciale : pas d’indemnité de fin de contrat en l’absence d’apport de clientèle ?

Une appréciation surprenante du préjudice de l’agent

09/12/2020

Dans un arrêt du 17 septembre 2020, la cour d’appel de Grenoble a exclu tout droit à indemnité de fin de contrat en raison de l’absence d’apport de clientèle par l’agent commercial.

L’affaire

Une agence immobilière met fin le 20 août 2014 à un contrat d’agent commercial conclu le 6 janvier 2014, soit sept mois et demi plus tôt, en respectant le préavis légal d’un mois. Toutefois, alors que l’agent commercial, qui débutait dans le métier, n’a commis aucune faute dans l’exécution de son mandat, l’agence immobilière mandante lui refuse tout versement d’indemnité de fin de contrat. Elle considère que l’agent, n’ayant apporté aucun client pendant l’exécution de son mandat, n’a subi aucun préjudice devant être réparé.

Elle lui accorde uniquement, au titre de son droit de suite contractuellement prévu de six mois, le versement des commissions relatives à six compromis de vente réitérés par acte authentique après la dénonciation du mandat, entre le 11 septembre et le 6 novembre 2014. L’agent perçoit ainsi 50 % des honoraires HT encaissés par son mandant, soit 10 158 euros.

L’agent, estimant que le compte n’y est pas, assigne son mandant en vue d’obtenir, sur le fondement de l’article L.134-12 du Code de commerce, une indemnité de fin de contrat égale au double des commissions reçues.

Par jugement du 17 novembre 2017, le tribunal de commerce de Grenoble accueille cette demande et condamne le mandant à payer 20 316 euros au titre de l’indemnité de rupture calculée sur deux années de commissions brutes perçues.

Le mandant interjette appel de cette décision et soutient à titre principal que les sommes versées en vertu du droit de suite ne sont pas des commissions. Dès lors, en l’absence de commissions perçues par l’agent pendant l’exécution du contrat, aucune indemnité compensatrice de fin de contrat qui se calculerait, selon ses prétentions, sur la base des commissions perçues au cours du mandat n’est due.

Subsidiairement, le mandant soutient que l’agent n’a subi aucun préjudice car il n’avait aucune expérience ni aucun portefeuille de clients préexistants et, n’étant impliqué que dans six ventes, il ne pouvait revendiquer un droit sur une clientèle existante.

Le mandant demande également le remboursement de 50 % des sommes indûment perçues, selon lui, au titre du droit de suite dans la mesure où le contrat d’agence prévoyait que les commissions devaient être réduites de moitié si le suivi des affaires en cause (signature des actes authentiques intervenue postérieurement à la résiliation du mandat) était effectué par un autre collaborateur, ce qui avait été le cas. Cet aspect du droit à la rémunération de l’agent, pour les affaires conclues postérieurement à la cessation du mandat, relevant des aménagements contractuels autorisés par l’article L.134-7 du Code de commerce qui n’est pas d’ordre public, ne sera pas ici davantage exploré afin de se concentrer sur le droit à indemnité de fin de contrat de l’agent.

La cour d’appel de Grenoble, par un arrêt du 17 septembre 2020, infirme le jugement précité. Elle estime que la courte durée de la relation contractuelle, l’absence d'expérience et le défaut d’apport de clientèle pendant l’exercice du mandat par l’agent commercial ne permettent pas à celui-ci de justifier d’un préjudice du fait de la dénonciation du contrat (CA Grenoble, 17 septembre 2020, n° 18/00023).

Le fondement de l’indemnité de rupture prévue par l’article L.134-12 du Code de commerce

Cet arrêt implique de se poser deux questions essentielles mais toujours délicates à propos du droit à indemnité de l’agent en cas de dénonciation de son contrat sans qu’une faute ne lui soit imputable : quelle est la cause du préjudice réparable de l’agent ? A quoi correspond le droit à indemnité ?

L’article L.134-12 du Code de commerce dispose : "en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi."

A la lettre de cet article, on devrait déduire que la simple cessation du contrat d’agent par le mandant, c’est-à-dire sa dénonciation lorsqu’il est à durée indéterminée et son non-renouvellement lorsqu’il est à durée déterminée, ouvre droit de ce seul fait à réparation. La difficulté est que ce texte ne définit pas ce que peut recouvrir le préjudice réparable, laissant aux juges une marge d’appréciation certaine.

Rappelons toutefois que l’article L.134-12 du Code de commerce est la transposition de l’article 17 de la directive 86/653 du 18 décembre 1986 sur les agents commerciaux. Celle-ci a laissé le choix aux Etats membres de fonder les droits de l’agent à indemnité pour cessation de son contrat sur, principalement :

  • soit un apport de nouveaux clients ou un développement du chiffre d’affaires avec les clients existants (article 17 §2) ;
  • soit le préjudice subi du fait de la cessation de sa relation avec le mandant qui le prive de la perception de commissions auxquelles il aurait pu prétendre si le contrat s’était poursuivi (article 17 §3).

L’article L.134-12 précité est clairement une traduction de l’article 17 §3 de la directive. L’indemnité repose sur la perte du contrat et la possibilité de générer des droits à commissions futures et non pas sur le développement d’une clientèle du mandant. N’oublions pas que ces textes correspondent à une réglementation protectrice des intérêts de l’agent dont un certain nombre de dispositions sont d’ordre public. L’article L.134-12 a pour raison profonde d’assurer une protection de l’agent qui peut se voir certes priver de la valeur qu’il contribue à entretenir et développer, la clientèle, propriété du mandant, mais surtout de sa capacité à percevoir une rémunération sous forme de commissions. 

Pourtant la Cour d’appel déboute l’agent de tout droit à indemnité de fin de contrat en avançant que ce dernier a droit à une indemnité compensatrice qui "vise à indemniser le préjudice subi […] en raison de la perte du bénéfice de la valeur attachée à la clientèle qu’il a contribué à développer, et dont le mandant conserve l’exploitation".

Distinguant bien entre indemnité au titre du droit de suite et indemnité de fin de contrat, la Cour précise que cette dernière est due "au regard de l’activité totale générée par l’agent commercial et en fonction de la durée de cette activité". Elle conclut que l’agent "n’ayant apporté aucune clientèle, que le volume des ventes indique qu’il n’a pas constitué une clientèle pendant l’exercice du mandat" ne peut "en conséquence prétendre à une indemnité, aucun préjudice ne pouvant être caractérisé".

Cette motivation laisse perplexe car elle n’est pas conforme à l’article L.134-12 et au texte européen dont il est la transposition. L’agent ne pouvait-il pas légitimement prétendre à une indemnité, même faible, compte tenu de la cessation de sa relation avec le mandant qui l’a privé de la perception de commissions auxquelles il aurait pu avoir droit si le contrat s’était poursuivi ?

Certes, la réponse à cette question n’est pas évidente mais les circonstances de l’espèce (activité réduite à six compromis conclus en sept mois et demi de contrat malgré l’assistance prodiguée qui ne laissait pas présager légitimement la perception rapide de commissions dans les mois à venir) et le pouvoir d’appréciation des juges en matière de détermination du préjudice auraient peut-être pu permettre de motiver la décision en respectant l’essence de l’article L.134-12.


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Francine Van Doorne
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