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Changement de bénéficiaire de contrat d'assurance-vie et testament

La substitution de bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie réalisée par voie testamentaire est valable même si elle n’a pas été portée à la connaissance de l’assureur avant le décès de l’assuré.

13/09/2022

Cass. 2e civ., 10 mars 2022, no 20-19655, Mme K. P., épouse N.-V. c/ M. D. N., F-B (rejet pourvoi c/ CA Paris, 1er juill. 2020), M. Pireyre, prés. ; SCP Gadiou et Chevallier, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. : GPL 12 juill. 2022, n° GPL438i6, note X. Leducq ; DEF 12 mai 2022, n° DEF207s5, note M. Thomas-Marotel ; RGDA avril 2022, n° RGA200s1, note L. Mayaux

L’arrêt du 10 mars 2022 est relatif à un changement de bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie. C’est la seconde fois que la Cour de cassation a dû se prononcer dans la même affaire, après un précédent arrêt du 13 juin 2019 (Cass. 2e civ., 13 juin 2019, n° 18-14954) que nous avions d’ailleurs commenté dans ces colonnes (GPL 26 nov. 2019, n° GPL364e7).

Un particulier souscrit un contrat d’assurance-vie et désigne son fils, à défaut son épouse, en tant que bénéficiaire des sommes garanties. En 1982, il fait part à l’assureur de sa volonté de désigner uniquement son épouse en tant que bénéficiaire. Cinq ans plus tard, à l’été 1987, dans un contexte de séparation des époux, le souscripteur révoque toutes les donations faites au profit de son épouse et désigne son fils en tant que légataire universel. Parallèlement, dans un écrit daté du 29 juillet 1987, il indique expressément que le capital décès doit revenir à son fils. Après le décès du souscripteur assuré, survenu le 1er septembre 1990, la compagnie d’assurances, non informée de l’existence de l’acte sus-énoncé, verse les capitaux à l’épouse le 17 octobre 1991. Le lendemain, le 18 octobre 1991, l’acte est envoyé à la compagnie. Le fils a alors assigné l’épouse pour obtenir la restitution des sommes versées.

Dans un arrêt en date du 28 mars 2018, la cour d’appel de Paris avait fait droit à la demande du fils en se fondant sur la volonté exprimée par son père. Elle avait estimé qu’en conservant les fonds malgré la connaissance qu’elle avait de la lettre du 29 juillet 1987, l’épouse avait commis une faute en contrevenant aux dernières volontés du défunt.

À la suite d’un premier pourvoi de l’épouse, la décision avait été cassée, aux termes de l’arrêt susvisé du 13 juin 2019, au motif que :

  • l’écrit modifiant l’identité du bénéficiaire avait été envoyé à la compagnie d’assurances après le décès du souscripteur assuré ;
  • et que la cour d’appel n’avait pas qualifié l’acte de testament olographe.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation semblait retenir une interprétation restrictive de l’article L. 132-8 du Code des assurances qui dispose que : « En l’absence de désignation d’un bénéficiaire dans la police ou à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu’avec l’accord de l’assuré, lorsque celui-ci n’est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du Code civil, soit par voie testamentaire ». Trois modalités de désignation du bénéficiaire d’un contrat sont ainsi prévues par la loi : (i) l’avenant au contrat ; (ii) un simple écrit, signifié à la compagnie ; (iii) l’établissement d’un testament. S’agissant de la deuxième modalité, à savoir la modification de l’identité du bénéficiaire par un simple écrit, la jurisprudence antérieure avait fait preuve de souplesse : la Cour de cassation reconnaissait la possibilité, pour un souscripteur assuré, de modifier jusqu’à son décès l’identité du bénéficiaire, dès lors que sa volonté était exprimée d’une manière certaine et non équivoque. Il importait donc peu que la compagnie reçoive l’acte écrit avant ou après le décès du souscripteur assuré pour qu’il soit valide (en ce sens : Cass. 1re civ., 13 mai 1980, n° 79-10053 – Cass. 2e civ., 13 sept. 2007, n° 06-18199). Au contraire dans l’arrêt du 13 juin 2019, la Cour de cassation avait semblé opérer un revirement de jurisprudence en reprochant à la cour d’appel d’avoir pris en compte la lettre de juillet 1987 en faveur du fils alors qu’elle n’avait été portée à la connaissance de l’assureur qu’après le décès de l’assuré. Néanmoins, la Cour de cassation avait également souligné que la cour d’appel n’avait pas caractérisé que la lettre en question constituait un testament olographe. En effet, la haute juridiction indiquait ainsi qu’en cas de changement de bénéficiaire par voie testamentaire, la notification à l’assureur du testament avant le décès de l’assuré n’était pas nécessaire pour que le changement puisse produire ses effets.

La cour d’appel de renvoi a bien entendu ce message puisque, dans une décision en date du 1er juillet 2020, elle a qualifié la lettre de juillet 1987 de testament, rentrant ainsi dans l’exception au principe de notification de l’acte de changement de bénéficiaire à l’assureur du vivant de l’assuré, qui semblait se dégager de l’arrêt du 13 juin 2019.

À la suite de cette nouvelle déconvenue, le conjoint a formé un second pourvoi en cassation, soutenant, entre autres, comme dans son premier pourvoi, que la prise de connaissance par l’assureur du courrier de 1987 était trop tardive. À noter qu’à notre connaissance, le conjoint ne semblait pas contester dans son pourvoi la requalification en testament de la lettre de 1987 ; on peut donc supposer que les conditions de l’article 970 du Code civil étaient remplies (C. civ., art. 970 : « Le testament olographe ne sera point valable s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur : il n’est assujetti à aucune autre forme »).

Cette fois, le pourvoi est rejeté. Dans la présente décision du 10 mars 2022, la Cour de cassation confirme que lorsque l’écrit ayant désigné le nouveau bénéficiaire peut être qualifié de testament, il reste valable même si l’assureur en a été informé seulement après le décès de l’assuré : « La désignation ou la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie, que l’assuré peut, selon l’article L. 132-8 du Code des assurances dans sa rédaction applicable au litige, opérer jusqu’à son décès n’a pas lieu, pour sa validité, d’être portée à la connaissance de l’assureur lorsqu’elle est réalisée par voie testamentaire ».

En pratique, même si la désignation testamentaire est valable, elle sera source de conflit potentiel si elle n’est pas portée à la connaissance de l’assureur. En effet, l’assureur, non informé de la véritable identité du bénéficiaire, va verser les fonds aux bénéficiaires précédemment désignés et ce versement sera libératoire le concernant, en application de l’article L. 132-25 du Code des assurances : « Lorsque l’assureur n’a pas eu connaissance de la désignation d’un bénéficiaire, par testament ou autrement, ou de l’acceptation d’un autre bénéficiaire ou de la révocation d’une désignation, le paiement du capital ou de la rente garantis fait à celui qui, sans cette désignation, cette acceptation ou cette révocation, y aurait eu droit, est libératoire pour l’assureur de bonne foi. » Le véritable bénéficiaire devra alors demander le remboursement des fonds aux personnes les ayant reçus. Autant dire que la tâche peut s’avérer longue et difficile. Rappelons simplement que dans la présente affaire, le décès du souscripteur assuré date du 1er septembre 1990 !

On ne peut donc que renouveler notre conseil de signifier au plus vite aux compagnies d’assurances les lettres de désignation de bénéficiaire. La désignation par un avenant au contrat d’assurance-vie ou encore la désignation testamentaire, dans un testament très clairement identifié comme tel, restent les deux modes de désignation à privilégier. Lorsque le bénéficiaire est désigné dans un testament, on veillera alors à ce que la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie fasse référence à la désignation testamentaire pour que la compagnie en soit informée : dès lors, la compagnie d’assurances, avertie de l’existence d’un testament, ne pourra pas verser de bonne foi les fonds à un tiers.

Article paru dans la Gazette du Palais du 30/08/2022. L’intégralité de la Gazette spécialisée Droit privé du patrimoine est accessible sur la base Lextenso : Gazette du Palais | La base Lextenso (labase-lextenso.fr)


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