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Clap de fin dans l’affaire TAITTINGER

Une vigilance particulière est requise en matière de cession de marques patronymiques

11/06/2020

Aux côtés d’autres noms illustres tels que "Bordas", "Ines de la Fressange" ou "Ducasse", le patronyme "Taittinger" s’inscrit désormais au panthéon des décisions majeures rendues en matière de marques patronymiques.

La marque Taittinger a été enregistrée en 1968 en classes 32 et 33 par la famille champenoise Taittinger et figure aujourd’hui parmi les marques de champagne les plus renommées. En 2005, les membres de la famille Taittinger ont cédé, par l’intermédiaire d’un des leurs mandaté à cet effet, les parts qu’ils détenaient dans la société titulaire de la marque Taittinger. L’acte de cession comportait une clause aux termes de laquelle la famille s’engageait irrévocablement à ne pas exploiter le nom Taittinger (à titre de marque, nom commercial, nom de domaine ou autre) pour désigner des produits et services concurrents, dans le monde entier.

En 2008, Mme Virginie Taittinger, qui avait travaillé pendant vingt ans comme ambassadrice de la marque Taittinger, a décidé de créer une société "BM & VT" spécialisée dans la production et la distribution de champagne. Aux fins de promouvoir et de commercialiser ses produits, elle a alors déposé une marque "Virginie T" en classes 32 et 33 (visant notamment le champagne) et enregistré des noms de domaine composés de l’association de son nom Taittinger et de son prénom Virginie.

Reprochant à cette dernière d’exploiter le nom Taittinger pour désigner des produits concurrents, la société Taittinger CCVC, titulaire de la marque Taittinger, l’a assignée devant le tribunal de grande instance de Paris en invoquant, à titre principal, la violation de la clause du contrat de cession limitant l’usage du nom Taittinger par les cédants et, à titre subsidiaire, l’atteinte à la renommée de sa marque Taittinger et des actes de parasitisme[1].

Cette affaire a donné lieu à plusieurs rebondissements : en particulier, alors que la cour d’appel de Paris[2] avait condamné Mme Taittinger pour violation de la clause contractuelle et l’avait déboutée de ses autres demandes, la Cour de cassation avait cassé cette décision[3]. La Cour d’appel de renvoi vient (enfin) de mettre un terme à ce litige (CA Paris, 3 mars 2020, Pôle 5 ch.1, n° 18/28501). L’occasion de faire le point sur les enseignements à tirer de cette affaire. 

Concernant la responsabilité contractuelle de Mme Taittinger

Pour se défendre de toute violation de la clause figurant dans l’acte de cession limitant l’usage de son nom, Mme Taittinger invoquait son inopposabilité, au motif que le mandataire avait pris un engagement dépassant l’étendue du mandat qui lui avait été confié. La Cour de cassation avait suivi ce raisonnement, relevant que "le mandat de vente, qui autorisait, en termes généraux, le mandataire à souscrire à tout engagement ou garantie n’emportait pas le pouvoir, pour celui-ci, de consentir une interdiction ou une limitation de l’usage, par son mandant, de son nom de famille, constitutives d’actes de disposition". Sans surprise, la Cour d’appel de renvoi est venue confirmer ce point.

Par conséquent, en cas de cession par mandat, il est primordial que l’acheteur fasse preuve de vigilance et s’assure que le mandataire des vendeurs a été expressément autorisé, aux termes de son mandat, à consentir une telle clause pour le compte de ses mandants.

Concernant la responsabilité délictuelle de Mme Taittinger

Sur le fondement de l’atteinte à la marque renommée, si la première Cour d’appel saisie avait estimé que le consommateur moyen établissait un lien entre l’usage du nom Taittinger par Mme Taittinger et la marque renommée Taittinger, elle avait écarté la responsabilité de l’héritière du nom car celle-ci disposait d’un "juste motif" à utiliser son nom de famille[4]. La Cour de cassation l’avait censurée sur ce point, lui reprochant de s’être dispensée de raisonner en deux temps. Dans un premier temps, la Cour d’appel aurait dû apprécier le profit indûment tiré de la renommée de la marque ; une fois l’atteinte caractérisée, elle aurait dû examiner l’existence d’un éventuel juste motif. C’est ce qu’a rappelé la Cour de Cassation : "l’existence éventuelle d’un juste motif à l’usage du signe n’entr[e] pas en compte dans l’appréciation du profit indûment tiré de la renommée de la marque, mais [doit] être appréciée séparément, une fois l’atteinte caractérisée".

L’application de ce raisonnement en deux temps par la Cour de renvoi aboutit toutefois à un résultat comparable. Selon celle-ci, les références faites par la défenderesse au "champagne Taittinger" en lien avec ses origines familiales, son expérience professionnelle, ou pour distinguer ses produits étaient "légitimes". Elle a également relevé que, même si l’intéressée utilisait le nom Taittinger dans le cadre de la distribution de ses produits, son prénom "Virginie" était mis en avant, que ce soit dans les noms de domaine litigieux ou au sein de la marque "Virginie T". Pour les juges, "ces circonstances, exclusives de toute mauvaise foi et de tout comportement contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale […] constituent autant de justes motifs qui conduisent à écarter le grief d'atteinte à la marque de renommée".

Enfin, la Cour d’appel a également rejeté les demandes au titre du parasitisme, affirmant à nouveau que les références faites au nom commercial et à la dénomination sociale Taittinger étaient légitimes et non fautives "nonobstant le prestige et la notoriété acquise", et soulignant par ailleurs que Mme Taittinger avait apporté la preuve d’efforts d’investissements personnels. ***

Ce qu’il faut retenir :

Cette décision rappelle la vigilance dont doit faire preuve toute société qui souhaite s’arroger des droits étendus sur une marque patronymique. Les clauses de garanties souscrites par l’intermédiaire d’un mandataire peuvent notamment se révéler fragiles.

Dans ce contexte, il est impératif que le cessionnaire prenne des précautions contractuelles au moment de la cession, en interdisant ou en limitant l’usage ultérieur dudit nom par les cédants dans la vie des affaires.

A cet égard, l’acheteur doit être particulièrement attentif à l’opposabilité de ces clauses, mais aussi à leur validité et à leur portée, notamment au regard de la prohibition des engagements perpétuels (article 1210 du Code civil[5]). La clause devra également être rédigée avec minutie, détaillant au mieux les usages interdits afin d’éviter tout problème d’interprétation.

Sur la question de l’usage des noms patronymiques à titre de marques, vous pouvez consulter notre article : "Se faire un nom ou l'emprunter : est-il téméraire d'exercer une activité sous un nom patronymique ?" (à consulter dans Dalloz IP-IT 2018, p. 549)


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Cet article a été publié dans notre Lettre Propriétés Intellectuelles de juillet 2020. Découvrez les autres articles de cette lettre.

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