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Contentieux des taux d’intérêt négatifs, nouveau développement

01/11/2022

Pour évaluer l’existence d’un acte anormal de gestion à raison de l’absence de rémunération en période de taux négatifs, le Conseil d’Etat replace le débat sur les termes de la convention de trésorerie, en ce qui concerne tant les clauses de rémunération, que les clauses de renégociation.

Le feuilleton des taux d’intérêt intragroupe en période de taux négatifs vient de connaître un nouveau rebondissement puisque le Conseil d’Etat1 a récemment cassé pour erreur de droit la décision de la cour administrative d’appel de Versailles rendue en décembre 2021 dans l’affaire SAP2.

A titre de rappel, la société SAP France est détenue à 98 % par la société anonyme (SA) SAP France Holding, dont le capital est entièrement contrôlé par la société de droit allemand SAP AG. La société SAP France a conclu avec SAP AG le 17 décembre 2009 une convention de gestion de trésorerie centralisée, en vertu de laquelle elle déposait ses excédents de trésorerie auprès de la société allemande, lesquels étaient rémunérés sur la base d’un taux d’intérêt égal au taux de référence interbancaire EONIA minoré de 0,15 point. Au cours des années 2012 et 2013, l’application de cette formule aboutissant, du fait de l’évolution à la baisse de l’Eonia, à une rémunération négative, les parties à la convention de gestion de trésorerie ont convenu de fixer ce taux à 0 %.

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société SAP France portant sur les exercices clos en 2012 et 2013, l’administration fiscale a remis en cause le caractère normal de cette absence de rémunération et a proposé des rectifications par référence au taux mensuel de rémunération des dépôts à vue sur le fondement de l’article 57 du CGI.

La CAA de Versailles avait estimé que l’absence de rémunération des dépôts de ses excédents de trésorerie caractérisait une libéralité consentie par la société française au motif que cette rémunération nulle était sans rapport avec celle à laquelle cette société française aurait pu prétendre si elle avait placé à cette date ses excédents de trésorerie auprès d’un établissement financier, sans que cette absence de rémunération trouve sa contrepartie dans la possibilité de financer des besoins de trésorerie, lesquels étaient inexistants au titre des années en cause.

Le Conseil d’Etat casse la décision de la CAA de Versailles pour erreur de droit (1), faute pour la CAA d’avoir tenu compte des stipulations de la convention conclue en 2009 pour établir l’existence d’un acte anormal de gestion. L’audience de renvoi sera donc l’occasion pour les parties de revenir en détail sur les termes de la convention de trésorerie (2).

Une cassation pour remettre le débat contentieux sur les bons rails

Après avoir rappelé le mode d’emploi de l’article 57 du CGI, le Conseil d’Etat énonce que « pour juger que la société SAP France avait consenti à la société SAP AG une libéralité en renonçant, au titre des années 2012 et 2013, à percevoir une rémunération en contrepartie du dépôt de ses excédents de trésorerie auprès de cette dernière, la cour administrative d’appel s’est fondée sur la circonstance que cette rémunération nulle était sans rapport avec celle à laquelle la société aurait pu prétendre si elle avait placé à cette date ses excédents de trésorerie auprès d’un établissement financier, sans que cette absence de rémunération trouve sa contrepartie dans la possibilité de financer des besoins de trésorerie, lesquels étaient inexistants au titre des années en cause. En jugeant cependant dépourvue d’incidence à cet égard la circonstance que le taux de rémunération des sommes ainsi déposées auprès de la société SAP AG résultait de l’application de la formule de taux prévue par la convention de gestion de trésorerie, que les parties ont au demeurant fait le choix de limiter à un résultat non négatif en cours d’exécution de cette convention, sans rechercher si la société SAP France avait agi conformément à son intérêt en la concluant en ces termes le 17 décembre 2009, ni quelles étaient les obligations qui en découlaient pour elle au cours des années en litige, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ».

La solution dégagée par le Conseil d’Etat peut ainsi être replacée dans la jurisprudence classique relative à la démonstration d’un acte anormal de gestion, appliquée au cas d’une convention de centralisation de trésorerie. Les termes de la convention ont leur importance.

Le rapporteur public Romain Victor relevait ainsi dans ses conclusions que « lorsque la conclusion d’un contrat, à la date de la rencontre des volontés, ne constitue pas elle-même un acte anormal de gestion, c’est-à-dire un acte par lequel l’entreprise aurait décidé de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt (Plénière, 21 déc. 2018, Sté Croë Suisse, n° 402006, rec. p. 467, RJF 2019 n° 246, concl. A. Bretonneau C246), eu égard aux contreparties existant à cette date, il faut donc que l’administration soit en mesure d’établir qu’un acte anormal de gestion est apparu postérieurement et cette appréciation doit nécessairement se faire à la lumière des clauses du contrat. Si, comme on peut le penser en l’espèce, la conclusion de la convention par SAP France ne caractérisait pas elle-même un acte anormal de gestion, il fallait donc que la cour précise le raisonnement, en saisissant le cas échéant, chez la société SAP France, une volonté de s’appauvrir, née ultérieurement, et résultant de son abstention à résilier, renégocier ou réviser la convention, à compter du moment où la politique de taux de la BCE a eu un impact sur le taux des dépôts interbancaires, dans des conditions bouleversant l’équilibre initial du contrat, eu égard aux clauses de la convention ou, le cas échéant, aux règles supplétives du droit civil en matière d’imprévision applicables avant 2016 ».

Dans cette perspective, les stipulations de la convention de 2009 étaient centrales et à défaut pour le juge d’en disposer, Romain Victor indique « qu’une cassation suivie d’un renvoi à la cour serait susceptible de remettre le débat contentieux sur les bons rails ».

Le débat de renvoi est-il réellement sur les bons rails ?

On le pressent, les termes du débat seront sensiblement différents au cours de l’audience de renvoi. Les conclusions du rapporteur public sont d’ailleurs aussi éclairantes que directives quant à la suite des débats.

La première tâche de la CAA, une fois qu’elle aura obtenu communication de la convention de 2009, sera de déterminer si ses termes étaient de pleine concurrence lors de sa mise en place. Romain Victor ne donne sur ce point aucune indication. Fixer les conditions de rémunération d’un cash pool peut être un exercice complexe mêlant analyse fonctionnelle et recherche de comparables. On peut penser que de façon plus pragmatique, il sera fait appel aux taux de rendement des fonds monétaires3 (Sicav monétaires ou parts de fonds communs de placement monétaire).

Si ce premier point est validé, la CAA devra ensuite rechercher si l’acte anormal de gestion ne peut pas être démontré postérieurement, c’est-à-dire, à compter d’août 2012. Romain Victor envisage deux fondements à l’acte anormal de gestion.
Le premier, qui semble dans la lignée de l’analyse fondée sur les termes de la convention tient au fait que la société ait continué de placer sa trésorerie auprès de la société allemande alors même qu’elle n’y aurait pas été contractuellement tenue. Relevons qu’elle perdrait ainsi la faculté d’emprunter, point qui semble étonnamment indifférent.

Le deuxième, tient au fait que la société française se serait abstenue de renégocier la convention, soit en vertu de la convention, soit que, de manière générale, la société française se soit abstenue d’avoir entrepris toute démarche ou action contentieuse permettant de « mettre un terme à une situation, qui s’est avérée durable, dans laquelle le placement de ses dizaines de millions d’euros d’excédents de trésorerie ne lui rapportait pas un centime ». En tout état de cause, Romain Victor, jugeant « particulièrement intéressant » le fait que les parties aient fixé d’un commun accord un taux plancher, s’interroge sur l’existence a minima, en pratique, d’une faculté de renégociation.

Pour reprendre la décision citée par Romain Victor, non publiée au Bulletin, relativement à l’imprévision, c’est « l’évolution des circonstances économiques » qui peut « déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature4 ». La question qu’il faut ici se poser est de savoir si, au regard des conditions de marché, il était normal pour la société française de toucher quelque chose, voire, de ne rien payer à raison de ses dépôts d’excédents de trésorerie. Et si la réponse à cette question est négative, reprocher à une société de ne pas avoir assigné sa mère pour obtenir, en dépit de toute logique économique, une rémunération, est sans doute aller un peu vite en besogne.

 

1. CE, 20 septembre 2022, n° 461639, Sté SAP France Holding et n° 461642, Sté SAP France.
2. CAA de Versailles, 17 décembre 2021, n° 20VE01009, SAP France Holding et n° 20VE00043, SAP France.
3. En ce sens, CE 31 juillet 2009, n° 301935 et 301936, SARL Jean-Marc Brocard et SARL Domaine Sainte Claire.
4. Cass. com., 29 juin 2010, 09-67.369, Inédit.

Article paru dans Option Finance le 17/10/2022


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