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Donation à charge de paiement d'une somme d'argent

Pas de réévaluation de la charge pour les besoins de la détermination de l'indemnité de rapport

14/04/2023

L’arrêt du 16 novembre 2022 précise les modalités de détermination du montant du rapport dû par le donataire à la succession du donateur au titre d’une donation assortie de la charge de payer une somme d’argent. La Cour de cassation pose le principe selon lequel « le rapport n’est dû qu’à concurrence de l’émolument net procuré par la libéralité, qui se calcule en déduisant de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation, le montant de la charge déterminé au jour de son exécution ». La charge payable au jour de la donation n’a pas à être réévaluée au jour du partage.

Cass. 1re civ., 16 nov. 2022, no 21-11837, M. [P] c/ Cts [P], FS–B (rejet pourvoi CA Nîmes, 17 déc. 2020), M. Chauvin, prés. ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Bénabent, av. : DEF 24 nov. 2022, n° DEF211c8

Il s’agissait, au cas particulier, d’un couple, décédé respectivement le 23 mai 1995 pour Monsieur et le 14 juillet 2001 pour Madame. Les époux laissent pour leur succéder leurs trois enfants communs, auxquels ils ont consenti, de leur vivant, plusieurs donations. Notamment, aux termes d’un acte notarié en date du 29 décembre 1993, les époux ont donné à l’un de leur fils la nue-propriété d’un bien immobilier, à charge pour lui de reverser à ses parents, au jour de la donation, une somme de 396 000 F (60 369,81 €). Précisons d’ores et déjà que le montant de la charge n’absorbait pas la valeur du bien donné, de sorte que l’opération consistait bien en une libéralité.

Des difficultés surviennent entre les trois héritiers lors du règlement des successions concernant, entre autres, la question du montant du rapport incombant au donataire au titre de la donation du 29 décembre 1993.

Une action en compte, liquidation et partage de la communauté existant entre les défunts époux et de leurs successions est alors introduite devant le tribunal de grande instance de Nîmes, qui ordonne l’ouverture de ces opérations et la réalisation d’une expertise immobilière par jugement du 9 mai 2008. Le donataire interjette appel, mais la décision de première instance est confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Nîmes en date du 14 septembre 2010.

Le 3 mai 2018, le tribunal de grande instance de Nîmes rend un second jugement aux termes duquel le montant du rapport dû par le bénéficiaire de la donation du 29 décembre 1993 aux successions de ses parents doit être calculé d’après la valeur du bien donné au jour du partage, de laquelle est déduit le montant de la charge au jour de la donation. Le donataire interjette à nouveau appel mais est, une nouvelle fois, débouté.

La cour d’appel de Nîmes, par un second arrêt du 17 décembre 20201, valide le mode de calcul utilisé par les premiers juges. Le raisonnement est le suivant :

  • lorsqu’une donation est consentie avec charges, le rapport n’est dû qu’à concurrence de l’émolument gratuit procuré par la donation ;
  • dans l’hypothèse d’une donation avec charges payables immédiatement à la date de la donation, la valeur de l’émolument net s’établit par la déduction du montant de la charge grevant la donation ;
  • lorsque la charge stipulée au profit du donateur est d’un montant inférieur à la valeur transférée, il y a libéralité pour le tout, mais seul l’émolument effectivement procuré au donataire doit être pris en considération ;
  • l’émolument gratuit procuré par la donation, et donc le montant du rapport, s’établit ainsi à la somme nette de 275 630,09 € correspondant à la valeur du bien au jour du partage (336 000 €), de laquelle est retranché le montant de la charge au jour de la donation (60 369,81 €).

Le donataire forme un pourvoi en cassation dans lequel il soutient que, pour le calcul du montant de l’indemnité de rapport d’une donation avec charge de payer une somme d’argent, la charge payée au jour de la donation doit être réévaluée au jour du partage.

La Cour de cassation confirme la décision des juges d’appel. L’attendu, de principe, est le suivant : « Il résulte de l’article 860 du Code civil que, lorsqu’une donation est assortie de la charge pour le donataire de régler une certaine somme, par versements périodiques ou en capital, le rapport n’est dû qu’à concurrence de l’émolument net procuré par la libéralité, calculé en déduisant de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation, le montant de la charge déterminé au jour de son exécution ». La Cour en déduit au cas d’espèce que « la cour d’appel a retenu à bon droit, pour déterminer le montant du rapport, que, s’agissant d’une donation avec charge payable au jour de la donation, la valeur de l’émolument net s’établissait par la déduction du montant de la charge grevant la donation, sans réévaluation de celle-ci au jour du partage ».

Le sens de cet arrêt est clair : en présence d’une donation assortie d’une charge de payer une somme d’argent, le montant de la charge qui doit être pris en compte pour les besoins du calcul de l’indemnité de rapport due par le donataire à la succession du donateur est celui du jour de l’exécution de la charge. Ainsi, le calcul du montant du rapport nécessite de se placer à deux dates distinctes : (i) à la date du partage pour déterminer la valeur du bien donné dans le cadre de la donation rapportable et (ii) à la date du paiement de la charge, permettant de déterminer la somme à déduire de la valeur du bien donné afin de fixer l’émolument dont a effectivement été gratifié le donataire et qu’il doit rapporter à la masse à partager.

Au regard de la jurisprudence antérieure, cette décision n’étonne pas.

D’une part, il est acquis de longue date qu’en présence d’une donation avec charge, l’opération constitue une donation pour le tout mais le bénéficiaire de la donation ne doit le rapport à la succession du donateur que du seul émolument net qui lui a été procuré par la libéralité. La charge est donc déductible de la valeur du bien à rapporter à la succession2.

D’autre part, tant en ce qui concerne les règles relatives à la réunion fictive des libéralités que celles relatives au rapport de celles-ci, la charge déductible s’évalue au jour de son exécution, c’est-à-dire de son paiement. La position de la Cour de cassation est claire à ce sujet s’agissant de la réduction d’une donation assortie d’une charge d’entretien3, mais également, dans une décision du 23 mars 1994, s’agissant du rapport d’une donation à charge de rente viagère4.

Toutefois, la décision du 23 mars 1994 susvisée se distingue de la présente affaire en ce qu’elle concernait une donation à charge de rente viagère, c’est-à-dire qu’il s’agissait pour le donataire de procéder à des versements périodiques. À notre connaissance, la Cour de cassation ne s’était pas encore prononcée au sujet d’un paiement de la charge en capital, comme ce fut le cas en l’espèce. La Cour a fait le choix d’adopter une position similaire aboutissant à ce que, quel que soit le mode de paiement de la charge, celle-ci sera évaluée au jour de son paiement pour les besoins du calcul du rapport, sans réévaluation au jour du partage.

Si la jurisprudence antérieure était bien établie, il n’était pas exclu que la solution de la Cour de cassation puisse être différente à la seule lecture des termes de l’article 860 du Code civil. En effet, ce texte, qui fixe les règles d’évaluation du rapport, pose le principe selon lequel « le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation ». La question de l’évaluation de la charge n’y est nullement abordée, mais l’on aurait pu légitimement penser que, le rapport étant une dette de valeur, la charge suivrait le même régime.

La solution de l’arrêt rapporté sera particulièrement défavorable au donateur débiteur du rapport lorsque la valeur du bien donné aura augmenté entre le jour de la donation et celui du décès. En effet, pour les besoins du calcul de l’indemnité de rapport, il sera tenu compte de la valeur actualisée du bien donné, mais la charge ne sera retranchée que pour son montant d’origine. À titre d’exemple, si un donataire reçoit un bien d’une valeur de 100 au jour de la donation, à charge pour lui de verser une somme de 50, à valeur constante, le montant du rapport sera de 50, soit 50 % de la valeur du bien. En revanche, si la valeur du bien donné croît pour atteindre 200 au jour du partage de la succession, la charge déductible demeurant de 50, cela engendre une indemnité de rapport de 150, soit 75 % de la valeur du bien donné.

Rappelons cependant que les dispositions relatives à la détermination du montant du rapport sont supplétives de volonté. Il sera donc loisible aux parties à la donation d’y déroger, par exemple en stipulant une dispense de rapport ou un rapport forfaitaire.

Article paru dans la Gazette du Palais du 04/04/2023. L’intégralité de la Gazette spécialisée Droit privé du patrimoine est accessible sur la base Lextenso : Gazette du Palais | La base Lextenso (labase-lextenso.fr)


1 – CA Nîmes, 1re ch., 17 déc. 2020, n° 18/02578.

2 – Cass. 1re civ., 16 juill. 1981, n° 80-13028.

3 – Cass. 1re civ., 17 déc. 1991, n° 90-12191 : « Lorsqu’une donation est assortie, au profit du donateur, d’une charge d’entretien, seul l’émolument net procuré par la libéralité doit être compris dans la masse de calcul de la réserve, le montant de la charge déductible devant être déterminé au jour de son exécution ».

4 – Cass. 1re civ., 23 mars 1994, n° 92-15191 : « Lorsqu’une donation est consentie avec charges, le rapport n’est dû qu’à concurrence de l’émolument gratuit procuré par la donation ; (…) s’agissant d’une donation avec charge de rente viagère, seuls les arrérages effectivement payés, diminués des revenus retirés du bien donné jusqu’au jour du partage, sont déductibles de la valeur du bien donné à cette même date ; (…) c’est donc à bon droit que, pour déterminer le montant du rapport, la cour d’appel a estimé que les arrérages payés ne devaient pas être réévalués au jour du partage ».


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