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L’imposition minimale des multinationales

une utopie réaliste

29/04/2021

Naguère encore, le projet d’une coordination mondiale en matière fiscale aurait paru totalement utopique. Sous l’impulsion du « cadre inclusif » de l’OCDE et du G20 (plus de 130 États et territoires), c’est pourtant bien à la réalisation d’un tel projet que l’on assiste à l’heure actuelle. Un objectif en ligne de mire : l’imposition minimale des entreprises multinationales.

Quelles sont les grandes lignes du système futur d’imposition minimale des multinationales ?

Le système envisagé par le cadre inclusif a été détaillé dans un « blueprint » d’octobre 2020 et est encore en phase de négociation. L’imposition minimale des entreprises n’en constitue que le second pilier, le premier pilier visant quant à lui à étendre la compétence fiscale des États où sont situés les consommateurs de services numériques.

En résumé, le « Pilier Deux » repose sur l’idée selon laquelle lorsqu’un groupe international est composé d’entités dont certaines sont établies dans des États ou territoires où elles sont soumises à un taux effectif d’imposition inférieur à un certain niveau (ce seuil restant à définir), les autres États d’implantation du groupe devraient imposer davantage les entités établies sur leur sol afin que soit atteint un objectif d’imposition minimale globale. En d’autres termes, la sous-imposition existant dans certains États devra être combattue par tous les autres, ce qui incitera les premiers à rejoindre le camp des vertueux.

Pour parvenir à ce résultat, il est question de mettre en place des règles d’imposition très largement nouvelles pour les groupes dont le chiffre d’affaires brut annuel dépasse 750 M€. Les deux principales, qui composent ce qu’on appelle le dispositif « « GloBE » (pour Global Base Erosion), sont les suivantes :

  • Une règle dite « d’inclusion du revenu » : son objectif est d’obliger l’entité mère ultime d’un groupe international (voire d’autres entités situées à un échelon inférieur de l’organigramme du groupe) à acquitter le supplément d’impôt nécessaire pour atteindre le seuil de l’impôt minimal ;
  • Une règle « relative aux paiements insuffisamment imposés » : subsidiaire par rapport à la première (en ce sens qu’elle n’aurait vocation à s’appliquer que si l’État de la société mère n’applique pas une règle d’inclusion du revenu), elle revêtirait une forme totalement différente et consisterait à refuser en tout ou en partie la déduction de paiements faits à la société sous-imposée par les entités du groupe établies dans d’autres États que celui de la mère et de ladite société. Par ce moyen, le bénéfice des entités payeuses serait corrigé à la hausse, entraînant mécaniquement une augmentation de l’impôt pour elles, et au-delà, pour le groupe tout entier.

Le projet a-t-il des chances de recueillir un consensus international ?

Il est difficile à ce stade de répondre de façon assurée mais plusieurs éléments rendent vraisemblable un accord de principe que le cadre inclusif espère officiellement pour mi-2021. Le premier est le retour en force des États-Unis dans la négociation internationale, à la faveur du changement d’administration et d’un important besoin de recettes budgétaires pour financer le plan d’investissement voulu par le Président Biden. La réforme américaine en cours de préparation, dont les grands traits ont été dévoilés le 31 mars dernier, devrait remonter le taux d’imposition des sociétés américaines de 21% à 28% ; elle aura aussi pour effet d’aggraver nettement le traitement fiscal des paiements faits à des sociétés étrangères sous-imposées. Elle constitue donc un aiguillon puissant pour inciter les autres États à se doter d’un niveau d’imposition suffisant.

De façon plus générale, il semble que tous les États à fiscalité élevée ont intérêt à s’engager dans cette démarche. La France et l’Allemagne soutiennent depuis longtemps l’idée d’une imposition minimale. Plusieurs études d’impact réalisées par l’OCDE et, en France, par le Conseil d’analyse économique et le Conseil des prélèvements obligatoires convergent autour du constat que de nombreux États gagneraient de substantielles recettes fiscales en se ralliant au Pilier Deux, alors que le Pilier Un allouant de nouveaux droits d’imposer aux « États de marché » n’aurait qu’un impact budgétaire quasi-neutre voire négatif.

Il n’en reste pas moins que l’adoption d’un consensus international sur le plan politique reste incertaine à ce jour : au-delà des divergences politiques pouvant porter sur le niveau hautement symbolique du taux minimal et sur l’éventuelle dissociabilité entre les deux piliers (que refuse à ce jour la France), les compromis techniques sur de nombreux sujets restent difficiles à atteindre. D’un strict point de vue juridique, la mécanique à mettre en œuvre pour la mise en œuvre du « Pilier Deux » est d’une redoutable subtilité : certains points seraient adoptés par les législateurs internes, d’autres par la voie d’une convention multilatérale. Au niveau de l’Union européenne, l’ensemble du dispositif pourrait donner lieu à l’adoption d’une directive nouvelle et à la modification de celles qui existent déjà, mais il faudrait pour cela acclimater le contenu du « Pilier Deux » pour le rendre compatible avec les principes communautaires, notamment la liberté d’établissement. Il faudrait aussi réunir autour du projet un consentement unanime des États membres qui ne va pas de soi lorsqu’on sait que les États européens ont toujours refusé de s’engager sur la voie d’un taux minimum d’imposition pour les sociétés.

Peut-on d’ores et déjà identifier certaines conséquences pratiques de la réforme ? 

S’il faut indiscutablement rendre hommage à la créativité des techniciens qui ont conçu les règles du futur système fiscal international, il convient aussi de mesurer que le Pilier Deux est d’une extrême complexité technique. Le fiscaliste de la troisième décennie du XXIe siècle ressemble beaucoup – toutes proportions gardées – au civiliste du début du XIXe siècle auquel était demandé de ré-apprendre tout le droit en s’appropriant la somme que représentait le code civil fraîchement adopté. Il est donc délicat pour les groupes d’anticiper avec précision les effets de la réforme. Le « blueprint » publié en octobre dernier mentionnait des discussions en cours entre États du cadre inclusif sur les modalités de simplifier le système ; cette attente est au cœur des préoccupations des entreprises.

Du point de vue des États, dont tous les systèmes fiscaux deviendront interconnectés, la complexité ne sera d’ailleurs pas moindre puisqu’une coordination renforcée devra être mise en œuvre afin que le système fonctionne. Il n’est pas dit, d’ailleurs, qu’interconnexion rime avec pacification : dans un monde fiscal où le « gâteau » du profit global des multinationales devra être partagé selon de nouvelles règles, il est à prévoir que les différends entre États se multiplient, appelant de ce fait des modes de résolution innovants dont il faut souhaiter qu’ils soient suffisamment efficaces pour prévenir et guérir des situations d’imposition multiple de profits identiques.

Pour les sociétés françaises, l’enjeu pratique d’une bonne coordination entre États est fondamental. Certes, si tous les États en présence jouent minimalement le jeu, il n’y a pas de raison que les groupes français prennent plus que leur part dans la lutte contre la sous-imposition globale. Mais si la coordination internationale n’est pas au rendez-vous, ces groupes pourraient supporter une charge fiscale disproportionnée si la France devait non seulement sur-taxer les sociétés mères françaises de groupes internationaux dont certaines entités sont établies dans des pays à fiscalité faible, mais aussi sur-taxer (via un refus de déduction de certains flux) les filiales françaises de groupes étrangers au motif que les autres États d’implantation de ces groupes (notamment les États d’implantation des têtes de groupe) n’adhéraient pas à la même logique.

Il apparaît ainsi que l’imposition minimale des groupes multinationaux pourrait bien cesser d’être une utopie à moyen terme. Mais pour que le système ne se transforme pas en cauchemar, il faudra s’assurer que la pratique des États est à la hauteur des objectifs ambitieux qu’ils se seront fixés.

Article paru dans le blog du Club des juristes le 29/04/2021


 

 

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