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La pratique relative à la détermination d’un taux d’intérêt de pleine concurrence

au regard du cadre juridique actuel

02/06/2022

La déductibilité des intérêts afférents à des transactions financières intragroupe est devenue, au fil des années, un enjeu financier majeur pour les groupes. Analyse des difficultés pratiques rencontrées par les entreprises et des réponses apportées récemment tant par la jurisprudence que par l’administration.

La position de l’administration et de la jurisprudence sur la détermination d’un taux d’intérêt de pleine concurrence n’a pas toujours été d’une extrême clarté. Le paysage s’est toutefois grandement éclairci ces dernières années avec une série de décisions très remarquées rendues par le Conseil d’Etat, la parution en février 2020 du rapport OCDE relatif aux transactions financières[1] et la publication par la DGFiP de 8 fiches pratiques en janvier 2021.

Pour rappel, selon l’article 212-I du CGI, les intérêts servis entre entreprises liées sont déductibles dans la limite prévue au 3° du 1. de l’article 39 du CGI[2] ou, s’ils sont supérieurs à ce taux de référence, d’après le taux que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des « conditions analogues ».

En pratique, pour justifier du caractère de pleine concurrence des taux d’intérêt appliqués aux emprunts intragroupe, le contribuable a recours à la méthode du prix comparable sur le marché libre fondée sur des données externes (à défaut comparables internes). Cette méthode consiste à déterminer le risque de crédit (ou « scoring ») de l’emprunteur, puis à rechercher dans une base de données financières de référence et pour la période au cours de laquelle l’emprunt a été contracté, les taux de marché qui étaient appliqués pour des entreprises ayant un scoring comparable à des emprunts aux caractéristiques comparables. Enfin, un intervalle de taux d’intérêt est constitué à partir des taux observés pour les transactions comparables sélectionnées.

Cette méthodologie a été expressément entérinée par la jurisprudence[3] et l’administration[4]. Les précisions apportées par ces différentes sources permettent aujourd’hui de définir un premier cadre juridique dans lequel doit s’inscrire toute étude économique, même si de nombreuses difficultés pratiques persistent.

Les difficultés pratiques relatives à la détermination du scoring de la société emprunteuse

En principe, c’est au moyen d’une notation de crédit que l’on estime le risque de défaillance propre à toute entreprise emprunteuse. Toutefois, l’attribution d’une notation de crédit par une agence de notation est une prestation s’inscrivant dans un processus long et couteux. Les contribuables ont donc généralement recours à des logiciels de scoring qui reposent principalement sur les données quantitatives historiques de la société emprunteuse (données comptables et financières) et incorporent certaines données qualitatives (zone géographique, secteur d’activité, etc.).

Sur l’utilisation même de logiciels de rating…

Dans son arrêt BSA[1], le Conseil d’Etat, a validé une fois pour toute le recours à des logiciels de notation publiquement accessibles pour évaluer la notation de crédit d’une société emprunteuse. La cour d’appel de renvoi[2] a récemment confirmé cette position en relevant d’une part que le recours à une agence de notation n’a pas à s’appliquer, compte tenu de son coût, dans une opération intragroupe et que d’autre part la notation fournie par le logiciel de scoring utilisée en l’espèce peut être regardée comme suffisamment fiable, en l’absence de critique circonstanciée, pour justifier du profil de risque de la société emprunteuse. L’OCDE n’invalide pas non plus les résultats obtenus via ces logiciels dès lors qu’il est possible de « démontrer, de façon reproductible, la cohérence entre les notations obtenues à l’aide de ces outils et celles communiquées par les agences de notation de crédit indépendantes »[3].

Sur la prise en compte de l’appartenance à un groupe…

L’arrêt Siblu[4] du Conseil d’Etat impose d’apprécier le taux de marché au regard des caractéristiques propres de la société emprunteuse, et non du groupe auquel elle appartient (approche « standalone »). Toutefois, l'administration a apporté des précisions quant à la prise en compte du soutien implicite du groupe pour la notation d'une filiale et a indiqué que, lorsqu'une filiale est a minima modérément stratégique pour un groupe, les agences de notation tiennent compte du soutien implicite du groupe pour établir la notation finale de la filiale[5]. Cette position est au demeurant conforme avec celle de l’OCDE[6].

Sur la prise en compte de données financières consolidées…

L’approche « standalone » posée par le Conseil d’Etat n’est toutefois pas incompatible avec l’utilisation des comptes consolidés de la société emprunteuse et de ses filiales. L’arrêt Apex Tool[7] confirme ainsi que « le profil de risque doit […] en principe être apprécié au regard de la situation économique et financière consolidée de l’entreprise et de ses filiales ». La rapporteure publique justifie cette décision par le fait que la situation économique et financière des filiales influe nécessairement sur le profil de risque de leur société mère, leur solidité pouvant contribuer à l’améliorer et leur fragilité à le détériorer. Cette position est d’ailleurs partagée par l’administration qui préconise de tenir compte, « des actifs qu'elle contrôle directement ou indirectement, et par conséquent des perspectives de ses éventuelles filiales »[8].

Les difficultés pratiques de la recherche de données comparables

Les contribuables ont régulièrement recours aux marchés obligataires, qui offrent des données publiques portant sur des opérations conclues entre parties indépendantes. La possibilité d’utiliser des obligations comme comparables, validée par la jurisprudence[1], nécessite cependant que la comparaison soit faite avec des entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables à celles de l’emprunteur et que les emprunts obligataires constituent, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe.

Sur les principaux critères de comparaison…

Les critères de la comparaison sont les suivants : date d’émission, devise, maturité, profil de risque de l’emprunteur, degré de subordination de l’emprunt, etc. En pratique, il est toutefois extrêmement rare de trouver des comparables « parfaits ». Il est donc courant de procéder à plusieurs recherches sur la base de critères dans un premier temps restrictifs qui sont au fur et à mesure étendus pour obtenir un nombre acceptable de comparables. Il est par exemple possible de retenir des instruments financiers dont les montants sont hétérogènes, émis par des sociétés de tailles différentes ou exerçant dans des secteurs d’activités distincts de celui de l’emprunteur dès lors que ces caractéristiques sont déjà prises en compte au stade de la détermination de son risque de crédit. Cette position a d’ailleurs été explicitement validée par le Conseil d’Etat dans l’affaire Apex Tool, ainsi que par l’administration dans ses fiches pratiques[2].

Sur la possibilité de recourir à des ajustements de comparabilité…

Lorsque les comparables obtenus à l’aide des bases de données publiques présentent un niveau de fiabilité insuffisant en l’état, l’OCDE préconise de procéder à des ajustements de comparabilité pour éliminer les incidences significatives liées à des différences entre les prêts intragroupe contrôlés et les solutions alternatives retenues[3]. L’administration admet ainsi que l’entreprise emprunteuse procède à des ajustements dès lors qu’ils sont documentés et que leur application cumulée aboutit à un résultat qui demeure raisonnablement fiable[4]. En revanche, les ajustements ne présentant pas une fiabilité suffisante car non documentés ou imprécis, ne sont pas acceptées par l’administration. En pratique, les ajustements relatifs au risque pays, à la devise, ou à la maturité sont les plus appliqués.

Sur la possibilité qu’une obligation constitue une alternative réaliste à un prêt intragroupe…

Ni l’administration, ni le Conseil d’Etat ne se sont prononcés sur ce qu’il faut entendre par « alternative réaliste à un prêt intragroupe ». Faisant suite à l’avis Wheelabrator[5], le tribunal administratif de Versailles[6] a toutefois considéré que la condition d’alternative réaliste était remplie eu égard à l’absence de liquidité sur les marchés financiers à laquelle faisait face une société lors de la crise financière de 2008. La condition d’alternative réaliste devrait néanmoins pouvoir être remplie dans d’autres situations. La rapporteure publique sous l’avis Wheelabrator relève en effet que « les acteurs économiques qui ont accès au financement obligataire arbitrent en permanence entre ce mode de financement et l’emprunt bancaire et recourent souvent concomitamment aux deux ». Ainsi, ce qu’il faut comprendre est que le critère de l’alternative réaliste revient finalement à se poser la question de savoir si la société emprunteuse aurait elle-même été en situation d’émettre des obligations[7]. Les contours de cette notion mériteraient néanmoins d’être davantage précisés par la jurisprudence.

Article paru dans Option Finance le 23/05/2022


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