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La représentation du majeur sous habilitation familiale pour procéder à une donation à défaut d’intention libérale soumise à condition

Cass. 1re civ., avis, 15 déc. 2021, no 21-70022, B

05/05/2022

Dans son avis rendu le 15 décembre 2021, la Cour de cassation est venue préciser les conditions dans lesquelles, malgré l’absence de caractérisation passée ou présente de l’intention libérale du majeur sous habilitation familiale, le juge pouvait autoriser la personne chargée de représenter le majeur à procéder à une donation en son nom.

Dans l’espèce ayant donné lieu à la saisine de la Cour de cassation pour avis, un époux  – désigné pour représenter son conjoint de manière générale pour l’ensemble des actes relatifs à son patrimoine dans le cadre d’une mesure d’habilitation familiale – souhaitait réaliser une donation au profit de leurs enfants.

Conformément à l’article  494-6 du Code civil, l’époux sollicite du juge des tutelles l’autorisation d’accomplir la donation en représentation de son épouse. La difficulté tient au fait que cette dernière se trouve dans l’incapacité de manifester sa volonté et qu’elle n’avait jamais exprimé par le passé son souhait de réaliser une libéralité en faveur de leurs enfants. Dans ce contexte, le tribunal judiciaire de Rouen saisit la Cour de cassation pour avis sur le point de savoir si « l’absence de caractérisation d’une intention libérale, présente ou passée, de la personne protégée faisait nécessairement obstacle à la possibilité, pour le juge des contentieux de la protection, d’autoriser la personne habilitée à la représenter de manière générale pour l’ensemble des actes relatifs à ses biens, sur le fondement des articles 494-1 et suivants du Code civil, à procéder à une donation. » Dans un premier temps, la Cour de cassation retient que les mesures de protection sont instaurées dans le respect des libertés individuelles et de la dignité de la personne, et que le législateur contemporain a entendu permettre aux majeurs protégés de conserver, sous le contrôle du juge des tutelles, la liberté de consentir à certains actes ou mesures personnelles parmi lesquels se trouvent les libéralités. Cette volonté de respecter la volonté du majeur protégé est justement mise en évidence dans le cadre des libéralités en raison de leur nature hybride. En effet, une donation revêt à la fois un caractère patrimonial, car elle entraîne un appauvrissement sans contrepartie du disposant, mais aussi personnel parce qu’elle suppose l’expression d’une intention libérale du disposant qui est éminemment personnelle.

Ensuite, les hauts magistrats relèvent que contrairement à un testament qui, sous le régime de la tutelle, ne peut être réalisé que par le majeur protégé seul, ce qui suppose qu’il soit capable au jour de l’acte d’exprimer librement sa volonté, le législateur a prévu, dans le régime de la tutelle comme de l’habilitation familiale, la possibilité d’être accompagné ou représenté pour réaliser une donation. La Cour de cassation en déduit que le législateur n’a pas exclu la possibilité pour le juge des tutelles d’autoriser la personne habilitée à représenter à l’acte de donation le majeur hors d’état de manifester sa volonté. Elle précise alors qu’il « incombe par conséquent au juge des contentieux de la protection de s’assurer, d’abord, au vu de l’ensemble des circonstances passées comme présentes entourant un tel acte, que dans son objet comme dans sa destination, la donation correspond à ce qu’aurait voulu la personne protégée si elle avait été capable d’y consentir elle-même, ensuite, que cette libéralité est conforme à ses intérêts personnels et patrimoniaux, en particulier que sont préservés les moyens lui permettant de maintenir son niveau de vie et de faire face aux conséquences de sa vulnérabilité. »

La Cour de cassation trouve ainsi un équilibre entre une autorisation sans limite de la représentation malgré l’impossible expression de la volonté de réaliser une libéralité et une interdiction générale en cas d’incapacité à exprimer son consentement. Cette solution équilibrée présente l’avantage d’être respectueuse des intérêts du majeur, mais aussi de la nature de la libéralité (I). En pratique toutefois, elle livre les juges du fond à une interprétation délicate (II).

 

I. UNE SOLUTION RESPECTUEUSE DU MAJEUR PROTÉGÉ ET DES SPÉCIFICITÉS DE LA DONATION

 

L’étude des autorisations judiciaires délivrées dans le cadre des mesures de protection des majeurs ne peut être réalisée en faisant abstraction de leur objectif principal qui est d’assurer la sauvegarde des intérêts d’une personne qui n’est plus à même d’y pourvoir seule.

C’est donc sans surprise que la Cour de cassation prend soin de réitérer, s’agissant d’un acte aussi grave qu’une libéralité, l’absolue nécessité de s’assurer du respect des intérêts du majeur, et donc du maintien de son niveau de vie et d’une épargne suffisante pour lui permettre d’assumer les charges à venir liées à son état de santé. Il semblerait que la Cour de cassation permette aux juges du fond d’aller au-delà de ces considérations en invoquant, en plus de la protection des intérêts patrimoniaux du majeur protégé, celle de ses intérêts personnels. On peut envisager que cela s’étende au maintien du majeur au sein de son domicile, à la stabilité de son environnement familier, ce qui peut par exemple justifier d’opter pour une transmission en nue-propriété uniquement d’une société dont la gestion est rendue impossible, etc. Les juges du fond sont donc invités à l’étude la plus fine de la situation du majeur et de ses intérêts avant de consentir à l’habilitation en vue d’une donation. Loin de s’en tenir à ces seules considérations, la haute juridiction oblige les juges du fond à s’intéresser aux circonstances de fait passées et présentes, à l’objet et à la destination de la libéralité pour déterminer si le majeur protégé aurait été animé d’une telle intention libérale s’il avait pu manifester sa volonté. La Cour de cassation se refuse ainsi à n’aborder la donation que sous l’angle de l’appauvrissement irrévocable et à présumer l’intention libérale dès lors que la transmission ne serait pas contraire aux intérêts du disposant.

Cette appréciation est conforme à la jurisprudence constante de la Cour qui exige la recherche par les juges du fond de l’intention libérale (v. not. : Cass. req., 9 déc. 1913 : DP 1919, 1, p. 29 ; Cass. 1re civ., 4 nov. 1981, n° 80-11749 ; Cass. com., 11 févr. 1992, n° 88-18708 ; Cass. com., 11 févr. 1992, n° 88-18708 : Bull. civ. IV, n° 67 ; Cass. 1re civ., 4 juill. 2018, n° 17-16515) pour qualifier une donation quelle que soit sa forme, intention qui ne saurait être déduite uniquement de l’élément matériel de la donation (Cass. 1re civ., 4 nov. 2015, nos 14-24052 et 14-26354). La Cour de cassation a donc habilement concilié la nature tant patrimoniale que personnelle de la libéralité avec le respect de la volonté et des libertés du majeur protégé. Les juges du fond risquent cependant de se heurter à des difficultés pratiques.

 

II. LA DÉLICATE APPRÉCIATION PAR LES JUGES DU FOND

L’intention libérale étant un élément de fait, elle est logiquement laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond. Seulement, dans l’hypothèse d’un majeur protégé incapable de manifester sa volonté, la mission des juges sera délicate puisqu’elle consistera à déterminer ce qu’aurait souhaité la personne protégée si elle avait été en mesure d’exprimer son consentement. Dès lors, à défaut, pour le majeur incapable, d’avoir évoqué un projet de transmission ou d’avoir fourni des indications à ses proches sur sa volonté de réaliser des transmissions dans certaines circonstances (par exemple la situation de besoin de membres de sa famille ou de la réalisation d’un projet particulier par ses enfants, telle l’acquisition d’un bien immobilier ou la création d’une société), les juges devront décider si, pour le majeur, les circonstances de fait auraient suscité son intention libérale. L’appréciation des juges du fond se révèle alors divinatoire et, parallèlement, la preuve qui pèse sur la personne habilitée à représenter le majeur est extrêmement délicate à rapporter. On rappellera à cet égard que la mesure d’habilitation familiale, pensée comme une tutelle allégée, est exercée par le cercle familial proche du majeur (son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin pourvu que la communauté de vie n’ait pas cessé, ses descendants ou frères et sœurs), c’est-à-dire, dans de nombreuses situations, par les principaux intéressés à la libéralité envisagée. Au-delà de l’intention libérale, le juge devra apprécier le risque d’un conflit d’intérêts entre la personne habilitée et le majeur, incapable par hypothèse de réitérer son consentement.

 

Article paru dans la Gazette du Palais du 12/04/2022. L’intégralité de la Gazette spécialisée Droit privé du patrimoine est accessible sur la base Lextenso : Gazette du Palais | La base Lextenso (labase-lextenso.fr)


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