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Les stablecoins, une forme particulière d’utility tokens ?

Point sur les différentes formes de jetons électroniques

25/10/2019

Alors que les opérateurs économiques s’interrogent sur les caractéristiques finales du Libra et que le nouveau régime des acteurs pouvant intervenir dans le cadre des émissions de jetons électroniques issu de la loi PACTE1 n’est pas encore complètement connu, il faut s’interroger sur la nature des stablecoins.

Les différentes natures de tokens

Un « jeton » est défini par l’article L.552-2 du Code monétaire et financier (CMF) comme tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé (DEEP, la traduction française de distributed ledger technology ou blockchain) permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien.

Ainsi, les jetons « émis » dans le cadre d’un DEEP peuvent avoir différentes natures selon les droits et obligations attachés à leur propriété. On distingue ainsi traditionnellement :

  • les security tokens qui sont des jetons représentatifs d’un instrument financier. Lorsque cet instrument financier présente les caractéristiques d’un titre financier, la propriété du jeton résulte non pas d’une inscription en compte mais d’une inscription dans un DEEP, ainsi que la loi française l’autorise. Ici, il faut bien noter que le fait que la titularité sur un titre financier soit au travers d’un security token (enregistré sur une blockchain) ne change pas la nature juridique des droits ou obligations de ce titre. Une action ou une obligation sous forme de security token est toujours et avant tout une action ou une obligation ;
  • les payment tokens qui sont des jetons dont le seul objet est d’être utilisé en vue de la réalisation d’un paiement. Il en va ainsi du bitcoin qui n’a pas d’autre utilité intrinsèque que de pouvoir être transmis ;
  • les utility tokens qui sont des jetons représentatifs d’un droit sur un bien ou un service (devant être dans la plupart des cas livré par l’émetteur) et ne répondent pas aux caractéristiques des deux autres formes de jeton. Cela signifie que quand bien même un utility token peut être utilisé en règlement d’un bien ou d’un service distinct de celui en vue de la livraison duquel il a été émis, cette utilisation n’est qu’incidente à sa fonction principale. 

S’agissant plus particulièrement des payment tokens, une des critiques exprimées à leur encontre est leur grande volatilité qui ne leur permettrait pas, pour certains régulateurs, d’être des unités de compte. Ces régulateurs considèrent par ailleurs que leur absence de valeur intrinsèque ne pourrait en faire des réserves de valeur. Enfin, leur complexité d’utilisation associée à leur volatilité les rendrait impropres à constituer de véritables intermédiaires d’échange.

En dépit de ces critiques, les crypto-actifs sont bien aujourd’hui utilisés comme instruments de paiement. Mais en réaction à ces critiques, sont apparus sur le marché des jetons spécifiquement structurés pour éviter cette trop grande volatilité : les stablecoins.

Les différentes formes de stablecoins

Un stablecoin peut être défini comme un jeton de paiement adossé à un actif ou dont la valeur est stabilisée. A cet égard, la FINMA, l’autorité de régulation financière Suisse a pu considérer en septembre 2019 que :

« La valeur des « stable coins » est fréquemment liée à un actif sous-jacent (par exemple, une devise ayant cours légal). L’objectif de ces projets est en général de minimiser la volatilité des prix qui est habituelle pour les jetons de paiement actuellement disponibles ».

Pour les stablecoins adossés à un actif, c’est au double regard (i) de la nature de cet actif et (ii) des droits attachés à cet actif que la qualification juridique d’un stablecoin devrait être appréciée.

Les stablecoins ayant une monnaie fiat comme sous-jacent

Comme l’a rappelé l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en mars 2018, et conformément à l’article L. 111‑1 du CMF « La monnaie de la France est l’euroLes cryptoactifs ne peuvent pas être qualifiés en France de monnaie ayant cours légal ».

Toutefois, l’article L. 315‑1 du CMF, qui transpose l’article 2.2 de la directive 2009/110/CE, définit la monnaie électronique comme une « valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique…, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique. »

Ainsi, dès lors qu’un stablecoin est adossé à une monnaie et donne un droit de créance contre son émetteur pour la livraison de cette monnaie, ce stablecoin a la nature d’une monnaie électronique et son émetteur est tenu d’être agréé en qualité d’émetteur de ce type d’instrument.

Par contre, si ce stablecoin est adossé à un panier de devises mais ne donne un droit de créance contre l’émetteur que sur une seule, alors il pourrait répondre à la qualification :

  • de contrat financier : le droit français définit les contrats financiers comme, entre autres, « … tous autres contrats à terme relatifs à … des devises, qui peuvent être réglés par une livraison physique ou en espèces » (art. D. 211-1 A CMF). Un stablecoin pourrait ainsi recevoir la qualification de contrat d’échange où l’acquéreur de ce token paie le stablecoin en contrepartie des devises qui lui seront versées au jour de sa demande à l’émetteur du jeton.
  • de « part » dans un fonds d’investissement alternatif (FIA), un terme qui vise les véhicules, qu’il s’agisse de sociétés ou de contrats, qui lèvent des capitaux auprès du public en vue de déployer une stratégie d’investissement (ici l’investissement dans le panier de devises). En effet, on pourrait analyser le versement initial comme un investissement en vue d’obtenir à un terme un remboursement de cet investissement dans la monnaie de paiement pour une valeur corrélée à l’évolution du panier.

Les stablecoins adossés à d’autres actifs

Dans l’hypothèse où le stablecoin serait adossé à d’autres actifs qu’une ou plusieurs devises, il devrait par essence se distinguer d’un utility token qui a pour objet la livraison d’un bien ou d’un service. En effet, si la valeur d’un utility token est naturellement corrélée au bien ou service auquel il donne droit, son utilisation comme instrument de paiement adossé à cet actif n’est qu’accessoire. A l’opposé, dès lors que le stablecoin a pour objet principal la réalisation d’un paiement, la livraison de l’actif sous-jacent ne devrait être qu’accessoire, voire impossible.

Ainsi, si le stablecoin a pour objet la livraison du bien ou du service, il est un utility token. Pareillement, si le stablecoin a pour objet la titularité sur un instrument financier, il deviendrait par lui-même un instrument financier (un dérivé voire un titre financier).

Les stablecoins non adossés

Il s’agit de jetons dont la valeur est maintenue grâce à un smart contract, qui s'exécute automatiquement et a pour effet d’augmenter ou réduire le nombre de jetons en circulation pour maintenir la stabilité du prix.

Une issue dans « l’enfer » réglementaire ?

Les stablecoins non adossés sont ceux les moins susceptibles de heurter des réglementations existantes. Quant à ceux dont l’objectif de stabilité est réalisé par l’adossement du jeton à un sous-jacent, leur nature juridique est largement affectée par la nature et les droits que détient le porteur du jeton sur le sous-jacent.

Ainsi, un véritable stablecoin au sens d’un outil de paiement devrait se distinguer de la monnaie électronique, d’un instrument financier voire d’une part de FIA en prévoyant que la livraison du sous-jacent auquel il est adossé est optionnelle, voire impossible, mais qu’il donne un droit de créance pour la livraison d’un bien ou d’un service pour un montant équivalent à celle de la valeur du sous-jacent qu’il représente. Encore faut-il que le but recherché et la forme adoptée soient bien considérés comme acceptables par les régulateurs. Ainsi, si le Libra est annoncé comme adossé à un panier de devises mais permettant seulement d’être utilisé pour l’acquisition de biens ou de services des membres du consortium qui l’a adopté, les autorités nationales et internationales ont d’ores et déjà exprimé leur « circonspection » au regard de ce nouveau jeton. A n’en pas douter, le succès de ce nouveau token passera par les fourches caudines de la régulation. 

Les points clés :

  • le concept de stablecoin vise non pas un type particulier de token mais plutôt une caractéristique d’un jeton : la stabilité de sa valeur liée à son adossement à un actif sous-jacent ou à la gestion du nombre de jetons en circulation ;
  • le droit matérialisé par le stablecoin sur l’actif sous-jacent va déterminer la qualification juridique de ce token avec en particulier un risque de requalification en monnaie électronique ou instrument financier.

1 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises

Article paru dans le magazine Option Finance Innovation le 14 octobre 2019


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