Le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage pourrait désormais se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants.
C’est ce que vient de juger la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en justifiant cette position par le souci « de ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s’est engagé en considération de l’économie générale du contrat et de ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier. » (Cass. com. 3 juillet 2024 n° 21-14.947, FS-B).
Les faits de l’espèce étaient somme toute assez classiques. Un producteur de machines fabriquant des emballages confie à une entreprise la manutention et le déchargement de plusieurs machines à l’issue de leur transport. Lors de sa manipulation l’une des machines est endommagée. Le producteur est indemnisé par son assureur, lequel, subrogé dans les droits de l’assuré, agit alors en dommages-intérêts contre l’entreprise de manutention sur le fondement de la responsabilité délictuelle. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui avait accueilli la demande de réparation de l’assureur en retenant l’inopposabilité aux tiers des clauses limitatives de responsabilité figurant dans les conditions générales du contrat de manutention.
Cette solution inédite devrait mettre fin aux critiques suscitées par les jurisprudences « Boot shop » et « Bois rouge » (Ass. plén. 6 octobre 2006, n° 05-13.255 et 13 janvier 2020, n° 17-19.963). On se rappelle que ces deux arrêts avaient reconnu au tiers à un contrat la possibilité d’invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui avait causé un dommage ; et ce, sans avoir à démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement. Cette construction prétorienne était contestée : on lui reprochait de faire la part belle au tiers en le plaçant dans une situation préférable à celle du créancier cocontractant.
En statuant comme elle l’a fait dans son arrêt de 2024, la Chambre commerciale pourrait s’être inspirée de l’article 1234 al. 2 du Code civil, tel qu’il ressort du projet de réforme de la responsabilité civile en date du 13 mars 2017. Selon ce projet, « le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite ». Toutefois alors que le projet place ainsi l’action du tiers sur le terrain de la responsabilité contractuelle, la Chambre commerciale retient l’opposabilité des clauses limitatives de responsabilité dans le cadre d’une action en responsabilité délictuelle.
On peut dès lors légitimement s’interroger sur l’atteinte susceptible d’être portée par cette approche au principe de l’effet relatif des contrats selon lequel « Le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties » (art. 1199 al. 1 C. civ). Certes, ce principe signifie que le contrat ne saurait créer aucune obligation à la charge des tiers, mais il est difficile de ne pas voir dans l’opposabilité des clauses limitatives de responsabilité aux tiers une contrainte imposée à ces mêmes tiers par le contrat, contrainte dont la nature serait assimilable à celle d’une obligation, à savoir celle de limiter les prétentions des tiers en matière d’indemnisation.
Il est aussi un autre principe que la solution de la Chambre commerciale pourrait venir heurter, de manière certaine cette fois, celui de la réparation intégrale du préjudice pleinement applicable lorsque la victime agit en réparation sur le terrain de la responsabilité délictuelle.
Reste alors à savoir si la position de la Chambre commerciale, dont le champ d’application pourrait couvrir de nombreux domaines, sera partagée par les autres chambres de la Cour de cassation ou si une intervention de l’Assemblée plénière sera une nouvelle fois nécessaire.
Article paru dans Option Finance le 26/08/2024
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