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Paiement des échéances d'emprunt par un indivisaire et point de départ du délai de prescription de son action en remboursement

Cass. 1re civ., 14 avr. 2021, no 19-21313, Mme W. c/ M. T., FS-P (cassation partielle CA Metz, 2 avr. 2019), Mme Batut, prés. ; SCP Didier et Pinet, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av. : Gaz. Pal. 6 juill. 2021, n° 423z4, p. 53, note A. Laîné Delacour ; LEDIU juin 2021, n° 200b9, p. 1, obs. L. Tranchant

30/09/2021

Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise le point de départ du délai de prescription de l’action en remboursement de l’indivisaire ayant financé seul une dépense de conservation d’un bien indivis.

L’affaire concerne un couple ayant acquis une maison d’habitation et de commerce en indivision en 2001. Le prix de vente a été financé par un emprunt bancaire commun, mais dont les échéances de décembre 2001 à mars 2013 ont été remboursées par M. T. uniquement.

Le partage judiciaire de l’indivision ayant été ordonné en 2013, le bien est vendu le 31 juillet 2014 et l’emprunt remboursé. Faute pour les parties de se mettre d’accord sur le partage du reliquat de prix, le notaire dresse un procès-verbal de difficultés.

En 2016, M. T. assigne Mme W. aux fins notamment de remboursement de la moitié des échéances d’emprunt qu’il a assumées seul. Mme W. s’y oppose, estimant que les demandes de remboursement des échéances payées avant 2009 sont prescrites.

La première chambre civile de la cour d’appel de Metz, par un arrêt confirmatif sur ce point en date du 2 avril 2019, donne raison à M. T. Selon elle, l’indemnité due à ce dernier s’appréciant à la date du partage de l’indivision ou de l’aliénation du bien indivis, indépendamment de la date à laquelle les impenses ont été exposées, le délai de prescription n’a pu commencer à courir qu’au jour du partage ou de la vente du bien.

Le liquidateur, venant aux droits de Mme W., forme alors un pourvoi en cassation, arguant d’une violation par la cour d’appel de l’article 815-13 du Code civil. Le demandeur reproche ainsi aux juges d’appel d’avoir reçu les demandes de M. T., alors que le point de départ du délai de prescription de son action en remboursement ne devait pas se situer à la date du partage, mais à la date d’exigibilité de l’obligation qui a donné naissance à cette action, soit au jour du paiement de chaque échéance d’emprunt.

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation doit donc se prononcer sur la question du point de départ du délai de prescription de l’action en remboursement des échéances dont le paiement a été assumé par M. T. uniquement.

L’arrêt de la cour d’appel de Metz est cassé au visa des articles 815-13, 815-17, alinéa 1er, et 2224 du Code civil. Par la combinaison de ces textes, les juges du droit affirment, dans un premier temps, que : « 7. Il résulte des deux premiers textes qu’un indivisaire qui a conservé à ses frais un bien indivis peut revendiquer une créance sur l’indivision et être payé par prélèvement sur l’actif indivis, avant le partage.

8. Cette créance, immédiatement exigible, se prescrit selon les règles de droit commun édictées par le dernier [texte]. »

Puis, dans un second temps, ils indiquent que : « 10. En statuant ainsi, alors que la créance revendiquée par M. [T.] était exigible dès le paiement de chaque échéance de l’emprunt immobilier, à partir duquel la prescription commençait à courir, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

La Cour de cassation pose donc le principe selon lequel le point de départ du délai de prescription de l’action en remboursement d’une dépense de conservation d’un bien indivis par un indivisaire se situe au jour du paiement de la dépense, et non au jour du partage de l’indivision.

Cet arrêt, dont la solution découle de jurisprudences antérieures (1), soulève différentes interrogations (2).

1. Une solution logique au regard de la jurisprudence antérieure. Aux termes de l’article 815-13, alinéa 1er, du Code civil : « Lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité (…). Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés. » Ainsi, l’indivisaire qui a assumé des dépenses de conservation du bien indivis peut percevoir une indemnité à ce titre.

De jurisprudence désormais constante, la Cour de cassation considère que le fait, pour un indivisaire, d’assumer seul le remboursement d’un emprunt destiné à financer l’acquisition d’un bien indivis est une dépense de conservation telle qu’envisagée par l’article 815-13 (v. not. Cass. 1re civ., 7 juin 2006, n° 04-11524 et Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-24659). L’octroi par la Cour d’une indemnité à M. T. sur ce fondement n’est donc pas une surprise.

En outre, l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil prévoit que : « Les créanciers (…) dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, seront payés par prélèvement sur l’actif avant le partage. Ils peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente des biens indivis. » Selon la lettre de ce texte, les créanciers (indivisaires ou non) dont la créance résulte d’une dépense de conservation ou de gestion des biens indivis n’ont pas à attendre le partage pour obtenir le remboursement de leur créance.

Sur le fondement des deux articles précités, dans un arrêt du 20 février 2001, la Cour de cassation a jugé que : « l’indivisaire titulaire d’une créance résultant de la conservation des biens indivis peut poursuivre la saisie de certains de ces biens, sans être tenu d’attendre l’issue des opérations de partage » (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 98-13006). L’indivisaire ayant conservé le bien indivis peut donc demander le paiement de son indemnité à tout moment, avant tout partage.

Ces principes étant posés, la solution de la Cour de cassation dans l’arrêt commenté n’étonne pas : l’indivisaire ayant financé la conservation d’un bien indivis n’étant pas tenu d’attendre le partage pour solliciter le paiement de sa créance, il semble parfaitement logique que le point de départ du délai de prescription de 5 ans soit fixé au jour du paiement de la dépense de conservation ouvrant droit à l’indemnité, et non au jour du partage.

2. Une solution qui interroge. L’application pratique de cette décision de la Cour de cassation appelle plusieurs remarques :

1°) On sait que l’article 815-13 du Code civil octroie une indemnité à l’indivisaire qui a « amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis » ou qui a financé des « dépenses nécessaires (…) pour la conservation desdits biens ». Les dépenses d’amélioration et de conservation sont traitées de façon globale par ces dispositions.

Or, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation a pris le soin de ne viser que les dépenses de conservation : « 7. Il résulte des deux premiers textes qu’un indivisaire qui a conservé à ses frais un bien indivis peut revendiquer une créance sur l’indivision ». Cet attendu de principe interroge. La Cour de cassation a-t-elle souhaité limiter la portée de cet arrêt aux dépenses de conservation ou, au contraire, celle-ci peut-elle s’étendre aux dépenses d’amélioration ? Les termes de la décision ne permettent pas de se prononcer sur cette question. Cela étant, rien ne nous semble pouvoir justifier une différence de traitement entre ces deux types de dépenses, ce qui milite en faveur d’un régime unique et d’une extension de la portée de cet arrêt aux dépenses d’amélioration.

2°) L’opportunité d’une telle décision laisse perplexe. L’indivision peut résulter de diverses situations : indivision successorale par suite d’un décès, indivision post-communautaire par suite d’un divorce, indivision conventionnelle par suite de l’acquisition d’un bien par des concubins ou par des époux en séparation de biens, etc. On le sait, les relations entre indivisaires ne sont pas toujours pacifiques et les risques de conflits sont fréquents. Ce faisant, on comprend mal la position de la Cour de cassation qui a préféré assimiler l’indivisaire à tout autre créancier tiers à l’indivision, au lieu de tenir compte des difficultés propres aux situations d’indivision. En outre, rappelons que si, aux termes de l’article 2236 du Code civil, « [la prescription] ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité », les concubins ne sont pas concernés par la suspension du délai de prescription. Il conviendra alors au concubin qui finance la conservation d’un bien indivis au-delà de sa quote-part d’être particulièrement vigilent au délai de prescription, ce qui, au sein de la relation de couple, risque de ne pas être chose aisée.

3°) Il est acquis que les articles 815-13 et 815-17 du Code civil instituent un régime de faveur, destiné à remercier l’indivisaire qui, à partir de ses deniers personnels, a financé la conservation du bien indivis. Or, la fixation du point de départ du délai de prescription au jour du paiement confère en réalité un effet « boomerang » à ce régime de faveur, car l’on sait que les indivisions peuvent parfois durer de très nombreuses années. Faute de solliciter le paiement de son indemnité dans les 5 ans du paiement, l’indivisaire sera confronté à la prescription de sa demande de remboursement. On ne saurait alors que conseiller à l’indivisaire précautionneux de prévoir la mise en place d’actes interruptifs de prescription, telle la reconnaissance de dettes par exemple, bien que cette pratique risque de ne pas toujours être aisée à mettre en œuvre, notamment dans les relations de couple.


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