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Possibilité d’ordonner en référé le maintien d’une relation commerciale rompue brutalement

La Cour de cassation confirme sa position.

28/10/2020

La Cour de cassation confirme que le juge des référés peut ordonner l’exécution d’un contrat, sous astreinte, si la rupture dudit contrat a fait naître un dommage imminent, sans avoir à apprécier le caractère fautif ou illicite de ce dommage (Cass. com., 24 juin 2020, n° 19-12.261).

La rupture d’une relation commerciale établie

Faisant suite à son appel d’offres lancé pour sélectionner le fournisseur de son futur décodeur ultra haute définition, Canal + avait signé une lettre d’intention avec un fournisseur fin 2016.

Au cours de l’année 2017, Canal + avait ainsi passé plusieurs commandes de décodeurs auprès de son fournisseur, lesquelles lui avaient été dûment livrées. Son fournisseur l’avait toutefois alerté sur les difficultés qu’il rencontrait du fait de l’augmentation significative du prix de certains composants nécessaires à la fabrication du décodeur.

Les tentatives de renégociation des prix ayant échoué, le fournisseur notifiait à Canal +, le 19 octobre 2017, la résiliation de leur relation contractuelle avec effet au 19 janvier 2018, au motif que la hausse significative du coût de certains composants le conduisait à revendre les décodeurs à perte. Il précisait qu’il n’accepterait aucune commande conduisant à une livraison postérieure à la date de fin du préavis alors que le délai de livraison des commandes était précisément de trois mois ce qui privait, de fait, Canal + d’un préavis effectif.

Arguant de la nécessité de prévenir le dommage imminent résultant de la remise en cause par le fournisseur de ses engagements à l’approche du lancement du décodeur, Canal + avait saisi le juge des référés afin qu’il ordonne, sur le fondement de l’article 873 du Code de procédure civile, la suspension des effets de la lettre de résiliation et la livraison par le fournisseur des commandes de décodeurs passées et à venir, sous astreinte, jusqu’au prononcé de la décision au fond.

En défense, le fournisseur faisait notamment valoir que Canal + ne démontrait pas le caractère certain (ou du moins hautement probable) et imminent du dommage ni qu’un tel dommage résultait d’un comportement fautif qui lui serait imputable.

Au soutien de ses demandes, Canal + affirmait que le dommage imminent devait être apprécié en dehors de tout comportement illicite ou fautif et qu’en l’espèce, l’imminence du dommage résultait du fait que la décision du fournisseur allait faire échouer le lancement des décodeurs à la date prévue au risque d’engendrer une perte de clientèle au profit de concurrents. La chaîne faisait également valoir qu’il n’existait pas de fournisseur alternatif pour des produits conçus sur mesure pour elle.

La poursuite de la relation commerciale ordonnée en référé

En première instance, le juge des référés avait ordonné le maintien de la relation contractuelle et enjoint le fournisseur de continuer à procéder aux livraisons de décodeurs commandés par Canal + sans toutefois prononcer d’astreinte (T. com. Nanterre, 15 décembre 2017, n° 2017R01126).

Canal + avait interjeté appel devant la cour d’appel de Versailles, statuant en référé, afin de voir réformée l’ordonnance en ce qu’elle n’avait pas assorti sa décision d’une astreinte dans l’hypothèse où l’engagement du fournisseur ne serait pas respecté.

La cour d’appel de Versailles jugeait qu’au regard des éléments du dossier, le fournisseur ne pouvait pas prétendre que, d’évidence, la situation dommageable dont se prévalait Canal + ne lui était pas imputable alors même qu’il existait à tout le moins une possible illicéité de son comportement, de par la résiliation unilatérale et brutale de ses relations contractuelles avec Canal + et qu’il n’appartenait pas, en tout état de cause, à la Cour de procéder à une appréciation du caractère illicite ou fautif du dommage imminent (CA Versailles, 6 décembre 2018, n° 18/00279).

Pour la Cour, le dommage imminent résultait de l’impossibilité pour Canal + de déployer, en temps utile, son projet commercial dans toute son ampleur dès lors qu’il existait une incertitude sur les livraisons qui pouvaient être faites et les commandes qui pourraient effectivement être honorées du fait du désengagement du fournisseur à la veille du lancement commercial des décodeurs. La Cour relevait que l’imminence du dommage était d’autant plus caractérisée que le lancement commercial du décodeur prévu avant plusieurs évènements sportifs de grande ampleur ne pouvait être différé sans conséquences.

Elle ordonnait ainsi au fournisseur, sous astreinte, d’honorer les commandes de décodeurs de Canal + à venir conformément aux volumes et prix fixés par les parties.

C’est dans ce contexte que le fournisseur a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Il soutenait notamment que la cour d’appel de Versailles avait violé les dispositions de l’article 873 du Code de procédure civile dans la mesure où la "possible" illicéité de son comportement ne suffisait pas à démontrer que le dommage imminent résultait d’un comportement fautif qui lui était imputable.

L‘approbation de la Cour de cassation

Sans surprise, par son arrêt du 24 juin 2020, la Cour de cassation rejette le pourvoi et retient que "après avoir énoncé qu’il ne lui appartenait pas, statuant en référé, de déterminer l’étendue exacte des obligations de la société Technicolor et, partant, d’apprécier si le dommage imminent était illicite ou fautif, c’est à bon droit que la Cour d’appel, relevant qu’il existait une possible illicéité du comportement de la société Technicolor, à l’origine du dommage invoqué, pour avoir résilié, unilatéralement et brutalement, sa relation contractuelle avec la société Canal +, a ordonné, à titre de mesure conservatoire et dans les conditions qu’elle a définies, le maintien de cette relation".

Aux termes de l’article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile, le juge des référés peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans le présent cas, c’est sur le terrain de la prévention du dommage imminent que la société Canal + s’était engagée pour faire ordonner la suspension de la lettre de résiliation et ainsi le maintien de la relation commerciale.

Alors que l’auteur de la rupture tentait d’ajouter la condition du caractère illicite ou fautif du dommage imminent, la Cour de cassation suit ici la Cour d’appel qui avait retenu que, statuant en référé, il ne lui appartenait pas d’apprécier l’étendue des obligations contractuelles des parties.

En effet, si le fondement du trouble manifestement illicite porte le juge des référés à apprécier l’existence d’un manquement manifeste à une règle de droit ou contractuelle, le fondement du dommage imminent doit uniquement conduire le juge des référés à s’interroger sur l’existence d’un tel dommage.

La Cour de cassation vient donc préciser dans cet arrêt que seule l’existence d’un dommage imminent doit être constatée par le juge des référés pour ordonner une mesure conservatoire sur le fondement de l’article 873 du Code de procédure civile sans qu’il ait à apprécier le caractère fautif ou illicite de ce dommage.

La caractérisation du comportement fautif à l’origine du dommage imminent relève en effet de la compétence du juge du fond et non de celle du juge des référés, juge de l’évidence. Cette position est en accord avec la mission du juge des référés qui consiste à éviter qu’une situation irréparable ne naisse en prévenant un dommage imminent, le temps que les juges du fond tranchent le litige. 

Pour autant, le juge des référés doit tout de même s’assurer du caractère possiblement illicite d’un tel dommage ; il ne saurait en effet prescrire de mesure conservatoire pour prévenir un dommage imminent résultant d’un acte manifestement légitime. C’est ce que vient rappeler la Cour de cassation lorsqu’elle confirme la Cour d’appel qui avait relevé qu’il existait une "possible illicéité" de la décision du fournisseur à l’origine du dommage imminent.

Portée de la solution de la Cour de cassation

Le maintien en référé d’un contrat rompu brutalement avait déjà été validé à plusieurs reprises par la Cour de cassation. Le nouvel arrêt s’inscrit ainsi dans la continuité de sa jurisprudence antérieure (Cass. com., 26 février 1991, n°89-16.348 ; Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n°99-18.576).

La Cour de cassation avait également eu l’occasion de confirmer la position d’une cour d’appel ayant jugé que la brutalité de la rupture résultant du défaut de préavis suffisant s’analysait en un trouble manifestement illicite qu’il appartenait au juge des référés de faire cesser en application de l’article 873 du Code de procédure civile (Cass. com., 23 juin 2015, n°14-14.687 ; dans le même sens voir : CA Paris, 26 janvier 2017, n°15/18120).


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