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Recel de donation de deniers employés à l’acquisition d’un bien et point de départ des intérêts de retard

Cass. 1re civ., 15 déc. 2021, no 20-15345

09/05/2022

Sur le fondement de l’article  792 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, la Cour de cassation décide que l’héritier qui s’est rendu coupable de recel en dissimulant la donation de deniers employés à l’acquisition d’un bien est redevable d’une somme représentant la valeur de ce bien à la date du partage. S’agissant d’une dette de valeur, les intérêts ne sont dus qu’à compter du jour où elle est déterminée. 

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 décembre 2021 a trait à la sanction du recel successoral. Il s’agissait dans cette affaire d’un couple décédé le 2  septembre 1976 pour Monsieur, et le 19 juillet 1978 pour Madame. Les époux laissent pour leur succéder leurs sept enfants. De son vivant, le père avait fourni une somme d’argent à l’une de ses filles qui a employé la somme à l’acquisition de la nue-propriété d’un appartement à Cagnes-sur-Mer. Cette donation n’est pas révélée par la donataire lors des opérations de liquidation et partage de la succession. Le 20 avril 1998, l’un des petits-enfants des époux venant en représentation de sa mère prédécédée, assigne sa tante aux fins d’obtenir le rapport de la donation consentie à cette dernière et sa condamnation pour recel.

Un premier arrêt est rendu par la cour d’appel de Fort-deFrance le 25 avril 2008, aux termes duquel la donataire est jugée coupable de recel, privée de tous droits sur l’appartement et condamnée à restituer à la succession le bien en nature. Elle forme un pourvoi en cassation, aboutissant à la cassation partielle de l’arrêt d’appel. Au visa de l’article 792 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, la Cour de cassation censure les juges d’appel d’avoir estimé que rien ne s’opposait à ce que la restitution se fasse en nature plutôt qu’en valeur, et juge au contraire que : « si le recel résulte de la dissimulation d’une donation de deniers employés à l’acquisition d’un bien, le receleur est redevable d’une somme représentant la valeur actuelle du bien » (Cass. 1re civ., 30 sept. 2009, n° 08-16601).

La cour d’appel de renvoi rend sa décision le 5 novembre 2019 (CA Fort-de-France, 5 nov. 2019, n° 18/00521). Outre des questions relatives à l’évaluation de l’appartement, la cour d’appel juge que les intérêts de retard au taux légal qui assortissent la dette de restitution due par l’héritière coupable de recel (représentée par ses ayants droit du fait de son décès en cours de procédure) sont dus à compter du 20 avril 1998, soit la date de l’assignation. La Cour de cassation est saisie d’un nouveau pourvoi dans lequel il est soutenu que le rapport à la succession de la donation d’une somme d’argent ayant permis l’acquisition d’un bien est une dette de valeur déterminée au jour du partage et porte dès lors intérêts de retard au taux légal à compter de celui-ci.

La Cour de cassation était donc interrogée sur la question du point de départ des intérêts de retard. Se fondant à nouveau sur une violation de l’article 792 du Code civil dans sa version antérieure à celle résultant de la loi du 23 juin 2006 susvisée, la Cour procède à une cassation partielle de la décision d’appel et affirme qu’« il résulte de ce texte que l’héritier qui s’est rendu coupable de recel en dissimulant la donation de deniers employés à l’acquisition d’un bien est redevable d’une somme représentant la valeur de ce bien à la date du partage. S’agissant d’une dette de valeur, les intérêts ne sont dus qu’à compter du jour où elle est déterminée. » Au cas particulier, la cour d’appel a violé le texte susvisé en retenant que les intérêts de retard sont dus à compter de la date de l’assignation du 20 avril 1998. L’apport de cet arrêt est double : d’abord, il confirme la première solution rendue par la Cour de cassation dans cette affaire, à savoir qu’un recel de donation de deniers employés à l’acquisition d’un bien est sanctionné par la restitution en valeur au jour du partage du bien acquis (1). Ensuite, la Cour de cassation tire les conséquences de cette sanction, en rappelant que les intérêts de retard assortissant une dette de valeur ne courent qu’à compter de la liquidation de cette dette (2).

1. La restitution due par l’héritier coupable d’un recel de donation de deniers ayant financé l’acquisition d’un bien est une dette de valeur. Aux termes de l’article 792 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006, « les héritiers qui auraient diverti ou recélé des effets d’une succession sont déchus de la faculté d’y renoncer : ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recélés. »

Se fondant sur ces dispositions, la Cour de cassation a jugé à deux reprises dans cette affaire que l’héritier receleur de la donation de deniers ayant permis le financement de l’acquisition de l’appartement était redevable, envers la masse à partager de la succession du père donateur, non pas du rapport en nature de l’appartement, mais d’une somme d’argent correspondant à la valeur au jour du partage de cet appartement.

La solution n’étonne pas car, outre l’acceptation pure et simple de la succession, la sanction qui s’applique à l’héritier coupable de recel est la privation, pour celui-ci, de tout droit sur les effets de succession qu’il a recelés et qui auraient dû, en l’absence de recel, figurer dans la masse à partager. Or, ce dont auraient pu être spoliés les copartageants du receleur, ce n’est pas de l’appartement acquis, qui ne fait pas partie de la succession du défunt, mais du rapport de la donation consentie au receleur. La logique commande donc que l’héritier receleur soit tenu de restituer le bien en valeur, et non pas en nature. En outre, bien que la Cour de cassation ne se fonde pas expressément sur les règles applicables au rapport des libéralités, que ce soit dans l’arrêt du 30 septembre 2009 ou dans celui du 15 décembre 2021, elle s’est vraisemblablement inspirée de l’article 860 du Code civil qui dispose que le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, pour juger que le receleur devait restituer à la masse à partager une dette de valeur, soit une somme d’argent correspondant à la valeur de l’appartement à la date du partage.

À notre avis, cette décision reste valable sous l’empire des dispositions issues de la loi du 23 juin 2006. Désormais, seules les donations rapportables ou réductibles sont susceptibles de recel. Ceci est codifié à l’article 778, alinéa 2, du Code civil, qui prévoit que l’héritier coupable de ce type de recel doit le rapport ou la réduction de la donation recelée, sans pouvoir prétendre à sa part dans l’indemnité de rapport ou de réduction. Par ailleurs, en cas de donation d’une somme d’argent ayant servi à acquérir un bien, l’application combinée des nouveaux articles 860 et 860-1 du Code civil aboutit au rapport de la donation en fonction de la valeur de ce bien au jour du partage. Il en résulte que l’héritier receleur d’une telle donation doit le rapport d’une dette de valeur, dont le montant est fixé au jour du partage.

2. Les intérêts de retard assortissant la dette de restitution due par l’héritier coupable d’un recel de donation de deniers ayant financé l’acquisition d’un bien courent à compter de la liquidation de la dette. . Au-delà de confirmer la décision rendue le 30 septembre 2009 à propos de l’objet de la restitution due par l’héritier receleur, l’arrêt commenté fixe le point de départ des intérêts de retard que porte la dette de restitution. Contrairement à la cour d’appel qui a décidé que « les intérêts au taux légal sont dus à compter du 20 avril 1998 », soit la date de l’assignation à l’origine de la présente affaire, la Cour de cassation estime que : « s’agissant d’une dette de valeur, les intérêts ne sont dus qu’à compter du jour où elle est déterminée. » La décision rendue le 15 décembre 2021 doit, sur ce point également, être saluée.

Dans un premier temps, rappelons que l’objectif des intérêts de retard est de compenser le retard de paiement d’une dette par le débiteur à son créancier. Il est difficilement concevable de sanctionner un débiteur pour le retard de paiement d’une dette dont il ne peut pas se libérer car son montant n’a pas encore été définitivement fixé. C’est la raison pour laquelle, en présence d’une dette de valeur, les intérêts de retard ne peuvent commencer à courir qu’à partir du moment où le capital correspondant à la dette de valeur a été évalué. Cette solution n’est pas nouvelle et a d’ailleurs fait l’objet d’un arrêt de la Cour de cassation en date du 19 novembre 2014, dont les termes sont sensiblement les mêmes que ceux utilisés par la Cour dans l’arrêt commenté : « s’agissant d’une dette de valeur, les intérêts n’étaient dus qu’à compter du jour où elle était déterminée » (Cass. 1re civ., 19 nov. 2014, n° 13-24644).

Dans un second temps, avouons que la décision des juges d’appel dans l’arrêt du 5 novembre 2019 suscite des interrogations. Nous aurions pu concevoir que les juges du fond hésitent à fixer le point de départ des intérêts au décès du donateur, conformément aux dispositions relatives au rapport des donations, prévues à l’article 856 du Code civil dans sa version applicable à l’époque : « les fruits et les intérêts des choses sujettes à rapport ne sont dus qu’à compter du jour de l’ouverture de la succession » ; mais juger, sans motivation aucune et en s’écartant de la jurisprudence précitée, que les intérêts sont dus à compter de l’assignation laisse perplexe.

La position de la Cour de cassation à ce sujet est désormais bien affirmée, et en conformité avec les règles applicables par suite de l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006. En effet, le nouvel article 856, alinéa 2, du Code civil concernant le rapport des libéralités prévoit désormais que : « les intérêts ne sont dus qu’à compter du jour où le montant du rapport est déterminé ».

Cet arrêt permet de faire le point sur la sanction applicable à l’héritier coupable d’un recel de donation de deniers ayant permis de financer l’acquisition d’un bien. Précisons toutefois que la solution serait différente en l’absence de remploi de la somme donnée : en cas de recel de donation rapportable portant sur une somme d’argent, l’héritier receleur est tenu au rapport de la donation recelée. Le montant du rapport de la donation recelée se détermine en application des règles relatives au rapport, qui prévoient que le rapport est égal au montant donné (C. civ., art. 860-1). En outre, les intérêts au taux légal sont dus à compter du décès (C. civ., art. 778, al. 3).

Article paru dans la Gazette du Palais du 12/04/2022. L’intégralité de la Gazette spécialisée Droit privé du patrimoine est accessible sur la base Lextenso : Gazette du Palais | La base Lextenso (labase-lextenso.fr)


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