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Sociétés écran

La Commission européenne a publié le 22 décembre 2021 une proposition de directive destinée à identifier les entités « écran »

15/02/2022

La Commission européenne publie une proposition de directive en créant de nouvelles obligations déclaratives pour les groupes et tirant les conséquences fiscales du défaut de substance économique des entités « écran ».

La Commission européenne a publié le 22 décembre 2021 une proposition de directive destinée à identifier les entités « écran » (« shell entities ») situées dans l’Union européenne et neutralisant leurs effets fiscaux. Les entités écran situées hors de l’Union européenne ne sont pas concernées par cette proposition, mais une autre proposition les concernant est annoncée pour 2022.

La transposition de cette directive devrait, en l’état de la proposition, avoir lieu le 30 juin 2023, pour une application à compter du 1er janvier 2024.

La proposition de directive prévoit trois séries de règles applicables à toute entité exerçant une activité économique, ayant sa résidence fiscale dans un Etat membre, et susceptible de bénéficier d’un certificat de résidence émis par une autorité fiscale d’un Etat membre (traduction libre de « eligible to receive a tax residency certificate in a Member State »).

Nous en décrivons ci-après les principaux aspects.

I. Une nouvelle obligation de déclarer les entités écran

En premier lieu, la proposition établit une nouvelle obligation déclarative à la charge de certaines sociétés présentant des caractéristiques objectives permettant a priori de penser qu’elles risquent d’être dépourvues de substance économique.

Les entités assujetties

En résumé, seraient concernées les entités exerçant une activité transfrontalière, ayant essentiellement des revenus passifs et dont l’administration quotidienne ainsi que le processus de prise de décision sont logés dans des entités tierces.

La définition précise des entités entrant dans le champ de l’obligation déclarative figure à l’article 6 de la proposition de directive qui énonce trois critères cumulatifs :

a) Plus de 75 % du bénéfice de l’entreprise au cours des deux derniers exercices est un revenu « qualifié » (« relevant income »).

La notion de revenu de qualifié est pour sa part définie à l’article 4 qui vise notamment les intérêts, les redevances, les dividendes et plus-values sur titres, la composante financière du leasing, les revenus immobiliers, les revenus d’actifs mobiliers patrimoniaux autres que des titres (si leur valeur comptable excède 1 M€), les revenus d’activités financières et les revenus de services que l’entreprise sous-traite à des entreprises associées (l’entreprise associée étant définie à l’article 5).

Lorsqu’une entreprise détient des actifs immobiliers ou mobiliers patrimoniaux précités, elle est réputée remplir la condition prévue au présent a) lorsque la valeur comptable de ces actifs excède 75 % de la valeur comptable totale de l’actif, quel que soit le niveau des revenus retirés de ces actifs au cours des deux exercices précédents. Il en va de même lorsque la valeur comptable de titres détenus par une entreprise excède 75 % de la valeur comptable de l’ensemble des actifs.

b) L’entreprise exerce une activité transfrontalière. Une activité est considérée comme transfrontalière lorsque (i) plus de 60 % de la valeur comptable des actifs immobiliers ou mobiliers patrimoniaux précités est située hors de l’Etat membre de l’entreprise au cours des deux exercices précédents ou (ii) au moins 60 % des revenus qualifiés vus ci-dessus provient de transactions transfrontalières ou fait l’objet de paiements dans le cadre de telles transactions.

c) L’entreprise a confié à un tiers l’administration des opérations quotidiennes et le processus de décision relatif à des fonctions significatives au cours des deux dernières années.

Certaines entités sont structurellement hors du champ de l’obligation déclarative. L’article 6 vise en particulier les sociétés cotées, les sociétés financières réglementées, les sociétés dont l’activité principale est de détenir des actions dans des sociétés opérationnelles situées dans le même Etat et ayant des bénéficiaires effectifs également situés dans le même Etat, et les entreprises employant au moins cinq personnes équivalents temps plein exerçant exclusivement les activités génératrices des revenus qualifiés.

Il est également prévu à l’article 10 qu’une entité entrant dans le champ de l’obligation déclarative puisse solliciter une exonération de ladite obligation lorsque l’existence de l’entité n’a pas pour effet de réduire la charge fiscale de ses bénéficiaires effectifs ou du groupe auquel elle appartient. Il lui incombe alors de démontrer l’absence d’avantage fiscal lié à son interposition. L’exemption est accordée pour un an et est susceptible d’être étendue par l’Etat membre où est située l’entité pendant une durée de cinq ans, en l’absence de changement de circonstances.

Le contenu de l’obligation déclarative

Une fois établi qu’une entité est tenue de l’obligation déclarative, elle doit communiquer chaque année des informations dont le contenu est organisé autour de trois rubriques. Elle doit ainsi indiquer (i) si elle dispose dans son Etat d’établissement de locaux à son usage exclusif dans un Etat membre, (ii) si elle a au moins un compte bancaire propre dans l’Union européenne et (iii) s’il existe un lien suffisant entre les dirigeants ou ses salariés et son Etat d’établissement. Ce troisième critère de substance « humaine » est lui-même subdivisé en sous-critères alternatifs selon que les personnes en cause sont dirigeantes ou salariées : il suffit que l’un d’eux soit rempli pour que cette substance soit caractérisée. La liste des éléments figurant dans la déclaration est décrite à l’article 7.

Si les trois critères ci-dessus sont remplis, l’entreprise est présumée dotée d’une substance suffisante. Sinon, elle est présumée constituer une entité écran, à moins qu’elle ne parvienne à démontrer le contraire selon des modalités précisées par l’article 9 du projet de directive. Pour renverser cette présomption, elle doit en particulier fournir des éléments de preuve concernant l’objectif économique justifiant son existence, le rôle et la qualification de ses employés ainsi que le processus de décision relatif à l’activité génératrice des revenus qualifiés. L’ensemble de ces éléments doit permettre de prouver que l’entreprise contrôle et supporte les risques afférents à son activité et à ses actifs.

II. Les effets fiscaux de la qualification de société écran

La seconde série de règles vise à tirer les conséquences fiscales de la qualification d’entité écran. En bref, la proposition prévoit qu’une entité écran ne peut être éligible, ni à l’exonération de retenue à la source prévue par les directives mères-filiales et intérêts-redevances, ni aux avantages octroyés par les conventions fiscales conclues entre Etats membres de l’Union européenne (article 11).

Dans une situation intra-européenne (où le payeur du revenu, la société écran et son actionnaire sont tous établis dans l’UE), il s’ensuivra trois séries de conséquences :

  • l’Etat de résidence de la société écran devra refuser de délivrer à la société écran un certificat de résidence fiscale, ou bien délivrer un certificat dégradé indiquant que la société écran n’est pas éligible aux avantages des directives et des conventions bilatérales ;
  • l’Etat de source d’un flux théoriquement exonéré de retenue à la source en vertu d’une directive devra, par exception, s’abstenir d’appliquer ladite directive si le paiement est fait à une société écran ; il devra de même refuser d’appliquer la convention fiscale avec l’Etat de la société écran ;
  • et l’Etat de résidence de l’actionnaire de la société écran devra imposer le revenu de la société comme s’il avait été reçu directement par l’actionnaire, moyennant l’octroi d’un crédit d’impôt indirect correspondant à l’impôt éventuellement supporté par la société écran dans son propre Etat.

Dans une situation impliquant un Etat tiers (soit parce que l’actionnaire de la société écran est résident d’un Etat tiers, soit parce que le payeur du revenu est résident d’un tel Etat), la proposition de directive applique un principe de transparence des entités écran.

Ainsi, si le payeur est établi dans un Etat tiers, l’Etat de l’actionnaire (qu’on suppose être un Etat membre de l’UE) devra traiter le revenu de la société écran comme un revenu de l’actionnaire lui-même, sans préjudice de l’application de la convention fiscale entre l’Etat du payeur et de l’octroi d’un crédit d’impôt indirect correspondant à l’impôt sur les sociétés acquitté dans l’Etat de la société écran.

Si c’est l’actionnaire de la société écran qui est résident d’un Etat tiers, l’Etat du payeur (qu’on suppose être un Etat membre de l’UE) devra appliquer la retenue à la source prévue par son droit interne, sans préjudice de l’application de la convention fiscale avec l’Etat tiers où réside l’actionnaire de la société écran.

En l’état actuel du texte, certains risques de double imposition peuvent d’ores et déjà être identifiés. Les Etats tiers n’étant pas tenus par une directive européenne, il n’est nullement certain qu’eux-mêmes reconnaissent la transparence de la société écran.

Ainsi, dans une hypothèse où le payeur d’un revenu serait établi dans un Etat tiers, il pourrait arriver que cet Etat tiers, soit applique la convention bilatérale avec l’Etat de l’entité écran, soit refuse d’appliquer la convention bilatérale avec l’Etat de l’entité écran (notamment au vu de l’impossibilité pour cette entité de produire un certificat de résidence la rendant éligible aux avantages conventionnels), mais sans pour autant considérer comme applicable la convention bilatérale avec l’Etat de résidence de l’actionnaire de l’entité écran. Dans les deux cas, l’impôt prélevé à la source par l’Etat tiers pourrait ne pas donner lieu à crédit d’impôt dans l’Etat de l’actionnaire de l’entité écran (dans le premier cas, car la retenue à la source ne serait pas prélevée au taux de la convention avec l’Etat de l’actionnaire, et dans le second cas, parce que l’Etat de source n’aurait appliqué aucune convention fiscale).

De même, dans l’hypothèse d’un payeur établi dans l’Union européenne et tenu par la directive d’appliquer la retenue à la source prévue par la convention avec l’Etat de l’actionnaire, cette retenue à la source pourrait ne donner lieu à aucune imputation dans cet Etat, si celui-ci ne reconnaît pas la transparence de la société écran.

Compte tenu des enjeux fiscaux attachés à la qualification de société écran, il nous paraît nécessaire de procéder dès à présent à une revue de l’ensemble des entités européennes de votre groupe à l’aune des critères de substance énoncés par le texte.

III. Les aspects administratifs

Le troisième volet de la proposition de directive vise à organiser l’échange automatique d’informations entre Etats membres sur les entités écran et la coordination des modalités de contrôle des sociétés écran.

Les sanctions applicables en cas de méconnaissance des dispositions de la directive sont laissées à l’appréciation des Etats membres, mais il convient de noter que l’article 14 alinéa 2 oblige les Etats membres à adopter des sanctions « plancher » d’au moins 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise lorsque celle-ci n’a pas satisfait à ses obligations déclaratives.

Proposal for a Council Directive laying down rules to prevent the misuse of shell entities for tax purposes and amending Directive 2011/16/EU, 22 décembre 2021, COM (2021) 565 final


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