Le simple fait pour un salarié de travailler pour une autre entreprise durant un arrêt maladie ne cause pas nécessairement un préjudice à son employeur. L’affirmation peut paraître étonnante mais correspond pourtant à une jurisprudence bien établie de la Cour de Cassation dont il a été fait une nouvelle fois application dans un arrêt du 26 février 2020 (n°18-10.017).
L’occasion de revenir sur les contours de l’obligation de loyauté du salarié en cas de suspension de son contrat de travail.
Suspension du contrat de travail et maintien de l’obligation de loyauté du salarié
Pendant les périodes de suspension de son contrat de travail, le salarié est libéré de l’obligation de fournir sa prestation de travail. Le lien de subordination qui lie le salarié à l'employeur ne disparaît toutefois pas totalement : le salarié reste tenu à une obligation de loyauté envers son employeur.
Le salarié qui adopte un comportement déloyal durant la suspension de son contrat de travail peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, le cas échéant pour faute grave.
La jurisprudence n’a pas donné de définition précise de l’obligation de loyauté. Celle-ci s’entend généralement d’un devoir de non-concurrence, de réserve et de confidentialité à l’égard de l’entreprise.
L’exercice d’une autre activité, même rémunérée, durant la période de suspension ne constitue toutefois pas forcément un manquement à l’obligation de loyauté (sauf en présence d’une clause d’exclusivité dans son contrat de travail).
Exigence d’un préjudice pour l’employeur ou l’entreprise
Le manquement à l’obligation de loyauté doit s’apprécier à l’aune du préjudice subi par l’entreprise ou l’employeur. Il appartient à ce dernier de démontrer l’existence de ce préjudice.
Une activité professionnelle temporaire et bénévole n’est pas en soi répréhensible, pas plus que ne le sont les activités relevant de la vie privée (loisir, détente, etc.).
Pour les juges, exercer une activité professionnelle pour le compte d’une société concurrente cause nécessairement un préjudice à l’employeur.
En revanche, si le salarié exerce une activité non-concurrente de celle de son employeur, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve du préjudice subi.
Le seul paiement par l’employeur d’un complément de salaire durant l’arrêt maladie ne constitue pas un préjudice
La Cour de Cassation a une conception stricte de ce préjudice comme l’illustre l’arrêt rendu le 26 février dernier.
Les faits de l’espèce étaient les suivants : une salariée exerçant les fonctions de secrétaire commerciale est licenciée pour faute grave. L’employeur lui reproche d’avoir travaillé pendant son arrêt maladie pour une société de vente de cadeaux et de bibelot dont elle était l’associée unique et d’avoir perçu une rémunération pour cette activité professionnelle alors qu’il lui versait des indemnités complémentaires aux indemnités journalières de sécurité sociale.
La Cour d’appel avait considéré que l’exercice de cette activité constituait une faute grave, l’employeur justifiant d’un préjudice dès lors qu’il avait versé un complément de salaire à la salariée durant son arrêt maladie, et ce peu important l’absence de caractère concurrentiel de l’activité, le régime de sortie libre de l’arrêt de travail ou la connaissance qu’avait l’employeur de la situation.
La Haute juridiction rappelle que l’exercice d’une activité, pour le compte d’une société non concurrente de celle de l’employeur, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté et que l’acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l’employeur ou à l’entreprise pour fonder un licenciement.
Pour la Cour de cassation, le préjudice subi par l'employeur ne peut pas résulter du seul paiement au salarié d'indemnités complémentaires aux allocations journalières versées par la caisse primaire d'assurance maladie.
Cette décision illustre les limites de l’obligation de loyauté qui vise essentiellement des actes particulièrement dommageables pour l'entreprise, tels que le vol, les malversations, le dénigrement.
Une transposition aux périodes d’activité partielle dans le contexte actuel du Covid-19 ?
Les règles exposées ci-dessus peuvent-elles être transposées dans le cadre de la suspension du contrat de travail entrainée par la mise en place de l’activité partielle ?
La question va nécessairement se poser de savoir si un salarié peut exercer durant les heures chômées une autre activité sans autorisation de son employeur et par conséquent cumuler l’indemnité due au titre de l’activité partielle et celle due au titre de son autre emploi.
Le ministère de l’Agriculture a clairement répondu par l’affirmative en incitant les salariés actuellement en activité partielle à s’inscrire sur la plateforme créée par Pôle emploi et l'Association nationale pour l'emploi et la formation en agriculture (Anefa) et destinée à venir en aide à la filière agricole, en manque de main d’œuvre.
Par la suite, le ministre de l’Économie et des Finances, la ministre du Travail et le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation sont aussi venus préciser les modalités permettant aux salariés qui subissent une mesure d’activité partielle de pouvoir travailler pour soutenir une entreprise au sein des secteurs prioritaires qui ont besoin de renfort en main d’œuvre (médico-social, agriculture, agroalimentaire, transports, logistique, aide à domicile, énergie, télécoms) et un site Internet dédié a été mis en place : https://mobilisationemploi.gouv.fr.
Article paru dans Les Echos Executives du 27/04/2020
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