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Taux d’intérêt et preuve contraire

L’action de concert n’est pas toujours synonyme de contrôle conjoint

30/09/2022

Lorsque qu’une société contracte un emprunt auprès d’actionnaires ou de sociétés liées, deux hypothèses sont à envisager. Dans la première, visée à l’article 39, 1-3° du Code général des impôts (CGI), le prêteur est un actionnaire minoritaire direct, conduisant à ce que les intérêts ne soient déductibles qu’à hauteur du taux limite fixé à cet article[1]. Dans la seconde, visée à l’article 212, I du CGI, le prêteur est une société liée au sens de l’article 39, 12 du CGI[2], conduisant à ce que les intérêts ne soient déductibles qu’à hauteur :

  •  du taux précédemment évoqué ; ou
  • du taux qui aurait pu être obtenu auprès d’un établissement de crédit non lié (ce que l’on nomme la "preuve contraire du taux de marché").

Les juges du fond puis le Conseil d’Etat ont récemment eu à se pencher, via les affaires Financière des Lilas IV (FLIV)[3] et HGFI Saint-Martin (HGFI)[4], sur la question de savoir si la preuve contraire du taux de marché pouvait être invoquée à raison d’emprunts contractés par des sociétés auprès d’actionnaires minoritaires directs, lesquels exerceraient - selon les emprunteuses - un contrôle conjoint[5].

1.La reconnaissance du contrôle conjoint pour l’application de la preuve contraire…

La notion de contrôle conjoint de l’article L. 233-3, III du Code de commerce vise le cas où deux ou plusieurs personnes agissant de concert déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale. La notion d’action de concert n’est donc qu’une des composantes, avec le pouvoir décisionnel de fait, permettant de caractériser le contrôle conjoint[6].

A cet égard, les travaux préparatoires de la loi[7] ayant instauré l’article 212, I du CGI laissaient présager qu’un tel contrôle conjoint pouvait conduire à l’application de la preuve contraire du taux de marché, puisqu’était explicitement visée cette hypothèse dans les cas pouvant caractériser un lien de dépendance au sens de l’article 39, 12 du CGI.

Les conclusions du rapporteur public sous la décision de non-admission FLIV et la décision HGFI, laissent entendre que, pour le Conseil d’Etat, la notion de contrôle conjoint peut effectivement permettre à un actionnaire minoritaire d’être considéré comme lié et à la société emprunteuse de se prévaloir de la preuve contraire du taux de marché. Mais encore faut-il que soit matérialisé le pouvoir décisionnel de fait.  

2.… conditionnée à la preuve de ce contrôle de fait

Il est admis par la jurisprudence du Conseil d’Etat que le fait qu’un actionnaire détienne seul la majorité des droits de vote ne fait pas nécessairement obstacle à ce qu’un actionnaire minoritaire soit reconnu comme agissant conjointement avec lui. Toutefois, dans les faits, un accord doit effectivement imposer à l’actionnaire majoritaire de prendre les décisions avec l’actionnaire minoritaire[8].

Au cas particulier des décisions FLIV et HGFI, tant les juges du fond que le Conseil d’Etat ont reconnu que, bien qu’il existât des accords permettant de caractériser une action de concert, ils ne matérialisaient pas un pouvoir décisionnel de fait pour les actionnaires parties auxdits accords. Pour cette raison, le contrôle conjoint n’a pu être reconnu, interdisant aux sociétés emprunteuses de déduire les intérêts excédant la limite fixée à l’article 39, 1-3° du CGI.

Ces décisions n’épuisent pas toutes les interrogations, notamment celles relatives à la portée de l‘article L. 233-3, II du Code de commerce, lequel dispose que le contrôle est présumé exercé au-delà d’une fraction de droits de vote, détenue directement ou indirectement, de 40 % lorsque aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure (ce, alors que dans l’affaire HGFI, l’un des coactionnaires "minoritaires" détenait 48,12 % de l’emprunteuse).

Quoi qu’il en soit, il y a lieu de saluer ces décisions qui ouvrent la possibilité, pour les sociétés emprunteuses, de se prévaloir de la preuve contraire du taux de marché, au moyen du contrôle conjoint. Néanmoins, ces affaires démontrent la nécessité d’une vigilance accrue pour ce qui est de la rédaction des pactes d’actionnaires lorsque doit être prouvée et éprouvée cette notion de contrôle conjoint.

[1]    Ce taux est égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises d'une durée initiale supérieure à deux ans, soit 1,17 % pour les exercices clos le 31 décembre 2021.

[2]    Cet article dispose que "des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises : / a - lorsque l'une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l'autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ; / b - lorsqu'elles sont placées l'une et l'autre, dans les conditions définies au a, sous le contrôle d'une même tierce entreprise."

[3]     CAA Versailles, 28 septembre 2021, n° 19VE00546 et CE, 2 juin 2022, n° 458874 (non-admission)

[4]     CAA Nancy, 17 juin 2021, n° 20NC00094 et CE, 20 septembre 2022, n° 455655

[5]     Voir l’article L.233-3, III du Code de commerce

[6]     En ce sens, voir CE, 6 décembre 2021, n° 439650, Sté financière des Eparses

[7]    Loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, voir le rapport de l’Assemblée nationale n° 2568 Tome III page 459

[8]     CE, 20 octobre 2004, n° 260898, Société TF1


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