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Transmission patrimoniale et crise du Covid-19

un certain trouble dans les valorisations d’entreprises incite-il à anticiper les transmissions ?

04/02/2021

Alors que la crise se prolonge, il est nécessaire d’adapter les approches d’évaluation d’entreprise et d’ajuster les stratégies de transmission patrimoniale.

« La valeur est moins dans la chose que dans l’estime que nous en faisons, et cette estime est relative à notre besoin : elle croît et diminue, comme notre besoin croît et diminue lui-même », constatait en 1776 l’économiste Condillac[1].

La valeur des titres de sociétés n’échappe pas à cette règle. Celle-ci est particulièrement impactée dans le contexte actuel, sans horizon précis de sortie de crise.

Ne serait-ce pas le bon moment pour envisager de transmettre ses titres cotés ou non à moindre coût fiscal, tout en favorisant la circulation des investissements afférents ?

Crise sanitaire et valorisation des sociétés

  • Evaluer des titres de sociétés non cotés

La baisse des valeurs découle d’obstacles à l’activité pesant sur la solidité financière des entreprises. La baisse résulte aussi de mutations économiques à plus long terme issues de cette crise.

Pour les sociétés cotées, ces facteurs sont intégrés par le marché à la valeur des titres.

Pour les entreprises non cotées, PME-PMI ou ETI, la valeur des titres doit être déterminée par une étude tenant compte de l’ensemble des circonstances du moment. A l’appui d’une transmission patrimoniale, il est indispensable d’adopter une démarche de valorisation fiable et prudente, reflétant le contexte.

La jurisprudence et le Guide de l’Evaluation des Entreprises et des Titres de Sociétés publié en 2007 par l’administration fiscale (« le Guide »)[2] imposent d’évaluer en priorité les titres de société par référence aux prix de transactions équivalentes dans les 24 derniers mois portant sur les titres de la même société[3].

En l’absence de telles transactions comme cela peut être le cas en période de crise, le Guide privilégie les méthodes fondées sur des éléments objectifs essentiellement rétrospectifs (i.e. valeur mathématique, valeur de productivité, valeur de rendement ou valeur par les multiples). L’administration préfère ces méthodes à celles fondées sur des éléments plus subjectifs car prospectifs (i.e. valeur des flux futurs de trésorerie actualisés dite « DCF » ou celle des multiples appliquée aux prévisions de CA, d’EBIT ou d’EBITDA).

  • Ajustements méthodologiques à l’ère du Covid-19

En appliquant des méthodes rétrospectives, l’écueil serait d’évaluer ses titres sur la base de données financières d’avant crise. Etant désormais en début d’année, des données même incomplètes sont disponibles sur l’exercice 2020. A partir d’une situation comptable en cours d’exercice, celles-ci peuvent être extrapolées sur l’année entière afin d’intégrer la crise du Covid-19.

La prudence commande de ne pas ignorer les années précédentes, même si 2019 a été exceptionnelle pour nombre d’entreprises. Une pondération égale entre les données 2018, 2019 et 2020 paraît cohérente.

Au détriment des méthodes rétrospectives, les circonstances inviteraient plutôt à considérer le « monde d’après », sur lequel la visibilité est rendue meilleure par l’existence d’un vaccin. Par conséquent, les méthodes privilégiées seraient celles des DCF et des multiples appliqués aux prévisions de la société.

Toutefois, ces méthodes supposent de disposer d’un business plan réaliste.

Concernant la méthode des multiples, il convient aussi de disposer de données de transactions comparables (tant en termes de date, de taille que d’activité). En l’absence de multiples pertinents, une approche raisonnable consisterait à utiliser des données plus anciennes appliquées aux prévisions de la société intégrant la crise.

Ainsi, une évaluation combinant plusieurs méthodes tenant compte de l’impact du Covid-19 sera gage de sécurité sur le plan fiscal, d’autant que l’administration recommande dans son Guide de retenir une combinaison de valeurs. La qualité de cette approche sera déterminante si l’évaluation faisait ressortir une baisse au regard de valeurs passées.

En cas de contestation ultérieure, l’administration devrait justifier d’un écart significatif de valeur vénale, d’au moins 20% en application de la jurisprudence[4].

Incitation aux transmissions patrimoniales ?

La baisse des valeurs diminue le coût des donations, les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) étant assis sur la valeur au jour de la mutation. Lorsque la donation est taxée dans les tranches hautes du barème de l’article 777 du Code Général des Impôts (atteignant 45%, voire 60 % en cas de transmission à un non-parent), l’incidence est forte.

Si les biens donnés retrouvent ultérieurement une valeur supérieure, alors le coût fiscal de la transmission aura été minimisé.

  • Covid-19 et pacte Dutreil

Pour les transmissions d’entreprises, il peut être conclu entre donataire et donateur un pacte dit Dutreil de conservation des titres donnés, permettant une exonération des DMTG à concurrence de 75% de leur valeur[5]. Dans ce cas, la valeur plus faible des titres a aussi une incidence. S’agissant d’une société mixte, à l’activité patrimoniale et opérationnelle, il faudra rester vigilant sur le caractère prédominant de l’activité commerciale ou industrielle via le prisme du faisceau d’indices privilégié par la jurisprudence, mais également sur la comparaison de valeur des actifs commerciaux comme les participations des filiales animées[6]. Dans un contexte de crise, la baisse des valeurs induites pourrait mettre en péril la mise en place de ce schéma, dans le cas où la valeur des actifs patrimoniaux résisterait davantage que celle de l’activité opérationnelle. Néanmoins, la jurisprudence récente privilégie le recours à un faisceau d’indices plus qu’à la comparaison chiffrée de la valeur des actifs ou du CA et devrait permettre un réexamen pragmatique du caractère « dutreilable » des sociétés en question, sauf à les soumettre à une double peine économique et fiscale.

  • Financer une transmission en période de crise

Pour saisir l’opportunité d’une baisse des valeurs en réalisant une transmission, encore faut-il pouvoir la financer en période de crise. En effet, les droits de donation doivent en principe être payés le jour de la donation, le paiement ne pouvant être fractionné ou différé[7]. Plusieurs modes de financement peuvent être combinés :

  • financement par des liquidités existantes. Lorsque le donateur prend à sa charge les droits, les sommes sont soustraites de sa succession, ce qui avantage les héritiers ;
  • financement par endettement. Dans le cas où le donateur conserve l’usufruit et donc les revenus des biens donnés, le donateur peut avoir intérêt à s’endetter. La dette (à taux faible actuellement) pourrait être in fine, en l’adossant à un placement via le nantissement d’un contrat d’assurance-vie ou d’un portefeuille de titres. Si le donateur n’a pas remboursé à son décès, sa dette serait en principe déductible de la masse successorale[8] ;
  • financement par la cession d’un bien, dont le produit est affecté au paiement des DMTG d’une donation portant sur un autre. Du fait de valeurs faibles, la cession à l’héritier plutôt qu’à un tiers présente un intérêt de préservation du patrimoine. S’il s’agit d’un bien de rapport, l’héritier peut s’endetter pour l’acquérir et ainsi financer indirectement la transmission.

La transmission peut être scindée en plusieurs opérations, selon les opportunités découlant des niveaux de valorisation et des moyens financiers réunis.

Un tel échelonnement sécurise le coût fiscal et l’organisation d’une transmission tout en optimisant aussi le bénéfice de la franchise de 100.000 euros par bénéficiaire. Il convient d’examiner l’approche la plus appropriée selon les situations (âge, nature des actifs, etc.) afin de tirer au mieux parti de la diminution ponctuelle des valeurs.

Outre l’interrogation sanitaire, la crise du Covid-19 est porteuse d’incertitudes sur nombre de modèles économiques, et de ce fait sur la valeur d’actifs devenus moins rentables. Dans ce climat de questionnements, anticiper la transmission d’entreprises serait susceptible de s’insérer dans l’actuelle réflexion de leurs fondateurs vers plus d’innovation et d’agilité.

Article paru dans Option Finance le 25/01/2021


[1]   Le commerce et le gouvernement, Etienne Bonnot de Condillac, 1776.

[2]   Le Guide n’est pas opposable au fisc au sens de l’article L80 A du Livre des Procédures Fiscales, qui conserve le droit de contester des valeurs déterminées selon ses recommandations.

[3]  Cf. notamment CE, 21 octobre 2016, n° 390421.

[4]   CE, 3 juillet 2009, n° 301299, Hérail.

[5]   Article 787 B du CGI. En outre, les donations en pleine propriété d'entreprises individuelles ou de parts ou actions de sociétés éligibles à l'exonération « Dutreil » bénéficient d'une réduction de droits de 50 % si le donateur a moins de 70 ans.

[6]          Cass. com. 14 octobre 2020, n°632 FS-P+B, n° 18-17.955

[7]   Une exception existe pour la transmission à titre gratuit d’entreprises individuelles ou de titres de sociétés industrielles ou commerciales non cotées dont il est transmis au moins 5 % du capital (Article 397 A de l’annexe III du CGI).

[8]          Article 768 du CGI.


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