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Application surprenante de la théorie de l'acte anormal de gestion

Dans le cadre d'un financement d'une filiale

06/10/2008

L'article 109 du CGI prévoit que tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital sont considérés comme des revenus distribués. S'agissant des associés, et sous réserve de l'hypothèse dans laquelle ils reçoivent régulièrement une rémunération de la société au titre d'une activité réellement exercée pour le compte de celle-ci, toutes sommes ou valeurs mises à leur disposition sont considérées comme des revenus distribués y compris si elles ne sont pas prélevées sur des bénéfices.

Les dispositions de l'article 111 du même Code qualifient en outre de revenus distribués les sommes mises à la disposition des associés à titres d'avances, de prêts ou d'acomptes et les rémunérations et avantages occultes.
Les rémunérations et autres avantages consentis aux associés sont fiscalement déductibles à condition de satisfaire à quatre conditions :

  • ils doivent être exposés dans l'intérêt direct de l'exploitation ou se rattacher à la gestion normale de l'entreprise ;
  • ils doivent correspondre à une charge effective et être appuyés de justifications suffisantes ;
  • ils doivent être compris dans les charges de l'exercice au cours duquel ils ont été engagés ;
  • et leur déduction ne doit pas être spécifiquement exclue par une disposition expresse de la loi.

Ainsi, les avantages accordés aux associés ou dirigeants constituent des revenus distribués en l'absence de contrepartie ou en présence d'une contrepartie insuffisante, c'est-à-dire si tout ou partie de la dépense correspondante n'a pas été exposée dans l'intérêt de l'entreprise. Cette solution vaut en particulier pour les dépenses incombant à un associé et prises en charge par la société2.
Dans l'affaire portée devant la Cour Administrative d'Appel de Versailles, c'est effectivement l'intérêt d'une société et l'avantage prétendument consenti à son associé qui faisaient débat.
La société anonyme STIO avait pris une participation de 60% dans la société civile immobilière Les Iris constituée entre elle-même et Monsieur Perrot, son principal actionnaire (avec 98,80 % du capital), souscripteur des 40% restants.
Pour financer l'acquisition par la société civile d'un immeuble ensuite donné à bail à la société anonyme, celle-ci lui consentit, seule, une avance en compte courant de 5.900.000 FF rémunérée par un intérêt calculé au taux annuel de 5%.

A l'issue d'une vérification de comptabilité, l'Administration fiscale a considéré que la société anonyme avait, en finançant l'intégralité du coût de l'immeuble acquis par la société civile alors qu'elle ne détenait que 60% des parts, consenti à son propre associé une libéralité imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers dont le montant correspond à 40% de l'avance accordée par la société anonyme. 
Le Tribunal Administratif ayant rejeté la demande en décharge de Monsieur Perrot, la Cour, saisie en appel du dossier, a jugé que le requérant avait effectivement bénéficié d'une libéralité dès lors qu'il "est devenu propriétaire, à hauteur de sa participation au capital de la société civile immobilière, de l'ensemble immobilier acquis sans avoir contribué personnellement au financement de cette opération".
Doit-on s'inquiéter de voir la Cour considérer que l'associé d'une société civile qui ne consent pas à celle-ci un prêt à proportion de sa participation au capital bénéficierait d'un avantage financier, au surplus indu, au titre de l'avance consentie par un autre associé ?

On le devrait si cette conclusion reposait sur l'exacte appréciation des faits de l'espèce. Mais tel ne nous paraît pas être le cas. Pour notre part, nous ne voyons comment Monsieur Perrot est devenu propriétaire sans bourse délier de 40% de l'ensemble immobilier acquis par la société civile.
En réalité, Monsieur Perrot a contribué, au même titre que la SA, au financement de cet ensemble immobilier grâce au produit tiré de la location de cet ensemble. C'est se laisser prendre à une illusion tant juridique qu'économique que d'attribuer son enrichissement à la convention de prêt litigieuse.
Juridique tout d'abord, parce que l'avance consentie par la société anonyme à la société civile et l'acquisition d'un ensemble immobilier par celle-ci n'ont pas eu d'incidence sur la consistance du patrimoine de Monsieur Perrot. Celui-ci, en effet, détenait à l'origine une participation de 40% dans la société civile et n'a détenu aucun droit complémentaire à la suite de ces opérations.
Economique ensuite, parce que lesdites opérations n'ont en rien accru la valeur de la société civile. Celle-ci a acquis un ensemble immobilier coûtant 5.900.000 FF en s'endettant à due concurrence auprès d'un de ses associés et ne s'est donc pas enrichie. On notera au demeurant qu'elle s'est trouvée dans une situation tout à fait comparable à celle qui aurait été la sienne si l'acquisition avait été financée par le biais d'un emprunt bancaire.
Corrélativement, la valeur de la participation de Monsieur Perrot n'a pas davantage augmenté.

La décision par laquelle la Cour Administrative d'Appel considère que Monsieur Perrot aurait bénéficié d'un avantage laisse donc sceptique et on s'interroge sur la nature et la consistance de celui-ci.
La nature et le quantum de la charge que la société anonyme aurait anormalement supportée au bénéfice de son associé soulève des interrogations similaires.
En effet, la société anonyme a consenti à sa filiale une avance en compte courant d'un montant de 5.900.000 FF.

Cette avance n'a pas constitué pour elle une charge dans la mesure où elle a eu pour contrepartie l'inscription à l'actif d'une créance sur la société civile.
La société anonyme ne peut pas davantage être considérée come ayant anormalement renoncé à des recettes dans la mesure où elle a perçu une rémunération de 5% dont le quantum n'a fait l'objet d'aucune critique.
Si une objection s'était élevée sur ce point, l'avantage dont aurait indirectement bénéficié Monsieur Perrot aurait à tout le moins dû être circonscrit à une fraction des recettes auxquelles cette société aurait anormalement renoncé. 
Quoi qu'il en soit, la rémunération par la société civile de l'avance dont elle a bénéficié la place dans la situation difficilement critiquable d'une société civile supportant la charge du financement de l'acquisition d'un élément d'actif et ni la société anonyme - en tant qu'associée de la société civile - ni Monsieur Perrot n'ont bénéficié d'un avantage particulier à ce titre.
La Cour aurait-elle pu valablement reprocher à Monsieur Perrot non pas d'avoir bénéficié d'un avantage consenti par la société anonyme dont il est associé - les éléments rappelés ci-dessus suffisent à démontrer qu'il n'en est rien - mais simplement d'avoir été dispensé de consentir une avance à la société civile à hauteur de sa participation dans celle-ci.
S'il avait consenti cette avance, Monsieur Perrot aurait vraisemblablement perçu une rémunération financière identique à celle dont a bénéficié la société anonyme et n'aurait en définitive supporté aucune charge financière nette.

On ne peut dès lors considérer que le défaut de financement par Monsieur Perrot de l'acquisition de la SCI constituerait un avantage au motif que cette formule aurait évité à l'intéressé de supporter une telle charge.
Au surplus, rien ne permet de considérer que la société anonyme a été contrainte, à ses dépens, de consentir une avance excessive à la société civile en raison de l'attitude de Monsieur Perrot ni de supporter de ce fait une charge qu'elle n'aurait pas assumée dans le cas contraire. L'arrêt ne fait état de rien de tel.

Force est donc de conclure que, la société anonyme n'ayant supporté aucune charge, a fortiori indûment, et Monsieur Perrot n'ayant bénéficié d'aucun avantage, ce dernier ne devait pas normalement être considéré comme ayant perçu de cette société un revenu distribué. Espérons que cette décision restera un accident de jurisprudence.

____________________________________________

1 CAA Versailles 23 octobre 2007, n°06-596. 
2 Voir, notamment, CE 5 mars 1999, n° 140779 

Article paru dans la revue Option Finance du 15 juillet 2008


Acte anormal de gestion

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