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Assurance décennale du constructeur

Opposabilité au maître d’ouvrage de la définition contractuelle de la réception tacite

18/06/2019

Par un arrêt du 4 avril 2019 (Cass. 3ème civ., 4 avril 2019, n°18-12.410), la Cour de cassation a précisé que la clause contractuelle définissant la réception tacite insérée dans le contrat d’assurance décennale d’un intervenant est valable et opposable au maître d’ouvrage.

La caractérisation de la réception tacite, point de départ de la garantie décennale, en l’absence de réception expresse

La réception constituant le point de départ de la garantie décennale, la mise en œuvre de l’assurance décennale suppose, en l’absence de réception expresse, qu’une réception tacite de l’ouvrage puisse être caractérisée. 

Un litige relatif à l’éventuelle opposabilité au maître d’ouvrage de la clause du contrat d’assurance décennale de l’entreprise définissant la réception tacite

Dans le cadre de la construction d’une maison individuelle, un maître d’ouvrage avait confié la fourniture et l’installation d’une pompe à chaleur à une entreprise. Par la suite, il avait pris possession des lieux et soldé le marché de cette entreprise, sans qu’aucune réception expresse n’intervienne. Dès son installation, il avait néanmoins constaté des dysfonctionnements affectant la pompe à chaleur et avait vainement tenté de faire intervenir l’entreprise avant de se tourner vers l’assurance décennale de cette dernière.

L’assureur refusait sa garantie en contestant toute réception sur la base de la clause du contrat d’assurance selon laquelle la réception tacite « se constate lorsque par l'absence de réclamation sur une période significative, le maître de l'ouvrage a clairement signifié qu'il considérait les travaux comme conformes au marché. En aucun cas, la simple prise de possession des lieux ne vaut réception en soi, même si ultérieurement la date de cette prise de possession est considérée comme le point de départ des divers délais ».

Le maître d’ouvrage avait alors initié un référé expertise puis, après dépôt du rapport concluant à une mauvaise installation de la pompe à chaleur, intenté une action au fond. L’entreprise ayant été placée en liquidation judiciaire entre le référé et la procédure au fond, le maître d’ouvrage avait exercé contre l’assureur l’action directe dont bénéficie le tiers lésé.

La cour d’appel de Rennes avait jugé que la clause contractuelle relative à la réception était valable et opposable à la victime et que l’assureur n’était pas tenu de garantir les désordres dès lors que les conditions d’une réception tacite, au sens de la clause du contrat d’assurance susvisée, n’étaient pas remplies (CA Rennes, 21 décembre 2017 n° 14/08553). 

La clause du contrat d’assurance décennale de l’entreprise définissant la réception tacite est opposable au maître d’ouvrage

La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel pour s’être prononcée ainsi après avoir relevé que :

  • d’une part, « la clause contractuelle relative à la réception était valable et opposable à la victime » ; et
  • d’autre part, les désordres étaient survenus dès l’installation du maître d’ouvrage dans les lieux et celui-ci avait sollicité à plusieurs reprises l’intervention de l’entreprise avant d’effectuer une réclamation écrite. Le constat des dysfonctionnements ayant donc été immédiat, dès l’entrée dans les lieux, l’absence de réclamation sur une période significative ne pouvait être retenue. 

Notre avis sur la reconnaissance par la Cour de cassation de l’opposabilité au maître d’ouvrage de la clause du contrat d’assurance décennale de l’entreprise définissant la réception tacite

La solution est sévère pour le maître d’ouvrage qui ne peut ni faire jouer l’assurance décennale, ni se tourner vers l’entreprise, placée en liquidation judiciaire.

On relèvera que les conditions de la réception tacite prévues dans le contrat d’assurance différaient des critères prétoriens emportant présomption de réception tacite, selon lesquels « la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves » (Cass. 3ème civ., 18 avril 2019, n° 18-13.734).

La Cour de cassation ne remet cependant pas en cause la validité de la clause alors même qu’elle exclut de facto la réception tacite avec réserves en érigeant l’absence de réclamations en condition de la réception tacite.

Notre conseil à la suite de la reconnaissance par la Cour de cassation de l’opposabilité au maître d’ouvrage de la clause du contrat d’assurance décennale de l’entreprise définissant la réception tacite

Une telle solution incitera les maîtres d’ouvrage à être attentifs aux conditions de la réception tacite stipulées tant dans les marchés que dans les contrats d’assurance décennale de leurs intervenants ou les polices d’assurance dommages-ouvrage. De leur côté, les constructeurs auront également tout intérêt à veiller à ce que la définition de la réception tacite incluse dans leur contrat d’assurance soit en cohérence avec les termes de leur marché.

Soulignons que la décision commentée concerne un contrat conclu entre professionnels (constructeur et assureur). Se pose alors la question de la validité d’une clause identique dans le cadre d’un contrat conclu avec un non-professionnel.

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la clause d’un contrat de construction de maison individuelle, conclu entre un professionnel et un maître d’ouvrage non-professionnel. En l’espèce, cette dernière, définissait la réception tacite comme « toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre » entraînant « la réception de la maison sans réserve et l’exigibilité de l’intégralité des sommes restant dues sans contestation possible ». La Haute juridiction a considéré que la clause devait être réputée non écrite dès lors que « la réception suppose la volonté non équivoque du maître de recevoir l’ouvrage que la seule prise de possession ne suffit pas à établir ».

Dans cette affaire, la Haute juridiction avait également relevé que cette clause créait, au détriment du maître d’ouvrage, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties par une définition extensive de la réception contraire à la loi, rendant immédiatement exigibles les sommes restant dues (Cass. 3ème civ., 6 mai 2015, n°13-24.947).

Ainsi, les contours de la liberté contractuelle en la matière restent encore à préciser.


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Cet article a été publié dans notre Lettre construction-urbanisme de juillet 2019. Cliquez ci-dessous pour découvrir les autres articles de cette lettre.

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Lucie Menerault
Avocate
Paris