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Avoirs détenus clandestinement à l'étranger : le temps des secrets est passé

Emmanuelle Féna-Lagueny, Pierre Dedieu

20/10/2009

G20, liste noire ou grise des paradis fiscaux, levée du secret bancaire…les temps sont à la moralisation des affaires et les particuliers n'échappent pas à ce mouvement. En ce qui les concerne, ce sont évidemment les avoirs détenus secrètement à l'étranger qui sont les premiers visés, avec une politique mêlant habilement répression et encouragements. Le point sur la situation.

I Des moyens plus efficaces et des sanctions accrues

Passé quasiment inaperçu, au milieu d'un flot de mesures d'importance inégale, l'article 52 de la loi de finances rectificative pour 2008 durcit significativement les sanctions infligées aux contribuables français qui auraient omis de déclarer les références des comptes bancaires ouverts, utilisés, ou clos par eux à l'étranger. D'une part, le délai de reprise de l'Administration est porté de trois à dix ans en matière d’impôt sur le revenu (et d’impôt sur les sociétés). D'autre part, l'amende qui leur est appliquée est portée de 750 € à 10 000 € par an et par compte non révélé. Ces deux mesures, entrées en vigueur dès le vote de la loi, ne sont toutefois applicables que lorsque le compte est situé dans un Etat qui n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale permettant l'accès aux renseignements bancaires.

Ainsi, dès la fin de l'année dernière, était clairement posée la nouvelle exigence gouvernementale vis-à-vis des asiles financiers : la fin du secret bancaire pour les contribuables indélicats.

Forte, sans doute, du précédent UBS, qui avait permis au gouvernement américain d'obtenir la levée du secret bancaire suisse pour toute une liste de ses ressortissants, la France vient en effet d'obtenir un avenant à la convention franco-luxembourgeoise particulièrement favorable. Ainsi, le gouvernement luxembourgeois ne pourra-t-il plus opposer son secret bancaire pour refuser à l'Etat français les renseignements demandés. Mais, pas question ici de demandes de "listings" complets et il va de soi que seuls les contribuables soupçonnés en France de détenir des avoirs cachés au Luxembourg pourront donner lieu à ces demandes de renseignements. Il s'agit néanmoins d'une belle victoire pour l'administration française. Et ce n'est, semble-t-il, qu'un début. Dans son dossier de presse, la France indique en effet que des accords d'échange de renseignements ont déjà été signés avec l'Ile de Man, Jersey, Guernesey et le Bahreïn. Des négociations, bientôt concrétisées sont aussi en cours avec la Belgique, les Iles vierges britanniques, les Bahamas, les Bermudes, les Iles Caïmans et le Liechtenstein. Un accord vient d'être signé avec la Suisse.

L'accord avec le Luxembourg comme, selon nos informations, celui signé avec la Suisse, prévoient une entrée en vigueur repoussée à 2010 (revenus afférents à 2010). Cela signifie, concrètement, que dans moins d'un an, les contribuables qui détiendront au Luxembourg ou en Suisse des comptes non déclarés, seront potentiellement sous le coup d'une levée du secret bancaire.

On peut aussi évoquer la directive sur l’épargne, qui prévoit l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales, et la création envisagée d’une brigade d'enquête au sein de l’administration fiscale disposant de pouvoirs d’investigation élargis, comparables à ceux des douanes.

A côté de ces mesures inquiétantes (le bâton), enfin une carotte : la révélation des avoirs est actuellement fortement encouragée par l'administration française, qui promet une certaine clémence dans l'étude des dossiers …

II Comment régulariser les avoirs détenus à l'étranger

Oublions le retour "physique" des liquidités par le particulier lui-même, selon des moyens plus ou moins exotiques (liasses glissées dans une gaine, dans une valise à double-fond, voire dans un sac plastique négligemment jeté aux pieds de la passagère d’une voiture). Non seulement les sommes rapatriées seront nécessairement limitées, mais au ridicule de la situation en cas de contrôle, s'ajoutent la consignation des sommes pendant au moins trois mois et une pénalité de 25 %. Rappelons que la détention de liquidités non déclarées à l'administration des douanes ne peut excéder 10 000 €, ce qui laisse augurer aux candidats au rapatriement personnel de très nombreux voyages.

La solution sera donc nécessairement un aveu circonstancié à l'Administration, assorti d'une demande de clémence. Or c'est justement le souhait de l'administration française de voir lui être déclarés les avoirs parfois inconsidérément exilés.

Sur quoi portera la demande ?

Un point mérite d'être souligné en préambule. Il est impropre de parler de blanchiment car justement, la révélation ne modifie pas la nature des avoirs étrangers. Ainsi il sera inutile de demander la moindre clémence pour des avoirs issus d'une activité illégale ou d'un abus de biens sociaux. Dans le même ordre d'idées, il n'est pas inutile de préciser que l’engagement actuellement pris par la cellule ne porte que sur l’absence de sanctions fiscales (y compris pénales) encourues et qu'aucune assurance n'est apportée en ce qui concerne les sanctions pénales non fiscales.

Imaginons maintenant notre contribuable, au moins aujourd'hui de bonne foi, qui souhaite régulariser sa situation.

Sa première préoccupation sera l'anonymat de sa démarche. La rencontre devra donc se faire, dans un premier temps, par le biais d'un tiers (en général un avocat), qui présentera de façon réellement anonyme le cas de son client.

Au sein de l'administration fiscale, la procédure a été centralisée entre les mains d’une unique équipe, dite cellule de régularisation (que des esprits malicieux ont nommée la "cellule de dégrisement" en référence à la Liste Grise de l’OCDE), de manière à assurer une homogénéité de traitement et un suivi statistique. Ce sont ses responsables, habitués de ces nouvelles confessions, qui feront les propositions adéquates au contribuable ou à son conseil.

La documentation fournie sera évidemment la plus précise possible, avec là encore une difficulté pratique : les contribuables concernés, qui ont expressément refusé tout relevé de comptes pendant des années, doivent aujourd'hui réclamer un état des lieux le plus précis possible. Il peut alors arriver que leur banquier suisse ou luxembourgeois rechigne à remettre (sinon à des tarifs exorbitants) les documents qui permettront, le cas échéant, à son client de le quitter. La première négociation portera donc sur la délivrance de documents fiables et les plus complets possible.

L'autre point important portera sur les impôts visés par l'accord. On l'a bien compris, il ne s'agit pas pour l'Administration d'amnistier les contribuables concernés, mais de moduler l'impôt pour le rendre supportable. Selon nos informations, l'accord portera en principe sur l'impôt sur le revenu afférent à la période commencée le 1er janvier 2006 (sous réserve de cas particuliers tels que l’existence d’une activité occulte permettant à l’administration de remonter jusqu’en 2003), et sur l'ISF afférent à la période commencée le 1er janvier 2003. Si les avoirs proviennent d'une mutation à titre gratuit survenue depuis cette dernière date, il faut en outre prévoir le paiement des droits de succession ou de donation. Le tout évidemment assorti d'intérêts de retard et autres pénalités dont le montant sera discuté.

La négociation peut alors commencer. Il est à noter que, toujours selon nos informations, l'Administration accepterait de se montrer plus clémente envers l'héritier qui se retrouve avec un cadeau empoisonné, plutôt qu'avec le fraudeur lui-même…

Le résultat de la négociation sera alors présenté au contribuable, dans notre hypothèse toujours anonyme, qui choisira ou non d'accepter le devis proposé. S'il le refuse, il retombera dans l'oubli. S'il l'accepte, il se départira de son mystère, et signera avec l'Administration l'accord négocié par son avocat. Bien entendu, l'accord ne portera que sur les comptes présentés et pour la somme portée à la connaissance de l'administration française. Mais il serait à notre avis peu judicieux de ne pas profiter de cette négociation pour vider complètement l'abcès, et nous ne pourrions que déconseiller l'attitude qui consisterait à conserver quelques comptes annexes cachés.

A ce stade, deux points méritent encore d'être soulignés. Le premier porte sur l'hypothèse d'une négociation par un seul héritier d'un groupe de légataires. Dans ce cas, l'aveu entraînera presque automatiquement la suspicion sur les autres cohéritiers, si ceux-ci n'ont pas été associés à la démarche.

Les dommages collatéraux peuvent également être d'ordre civil ou familial : on l'a dit, blanchir ou dégriser les avoirs étrangers ne signifie pas, ici, en modifier la nature. Un bien donné en violation des règles de partage successorales et qui serait ainsi révélé risque de réveiller de fâcheuses guerres familiales. Pour terminer, l'Administration fait régulièrement savoir que le guichet de régularisation ne restera ouvert que peu de temps. En réalité, des négociations de ce type ont déjà été admises dans le passé, et le seront très certainement dans le futur. Il serait néanmoins dommage de ne pas profiter de cette fenêtre ouverte, avant le temps des grandes chasses à la sorcière ou aux trésors auxquelles ne manquera pas de se livrer l'Administration une fois que l'ensemble des instruments de répression évoqués en début d'article seront entrés en vigueur.

Par Emmanuelle Féna-Lagueny
et Pierre Dedieu, Avocats

Article paru dans la revue Option Finance du 22 juin 2009

Auteurs

Portrait dePierre Dedieu
Pierre Dedieu
Associé
Paris
Emmanuelle Féna-Lagueny
Pierre Dedieu
Avocats
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