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Egalité salariale entre les hommes et les femmes (loi du 23 mars 2006) : un texte ambitieux

17/10/2006

Si la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 sur l'égalité salariale entre les femmes et les hommes se présente tout d'abord comme un texte visant à réduire les discriminations dont peuvent souffrir les femmes en entreprise, elle apparaît également comme un instrument visant à favoriser le renouvellement des générations de l'après-guerre1.

Les études réalisées au cours de ces dernières années révèlent toutefois que la route est encore longue pour atteindre cet objectif d'égalité professionnelle. En particulier, alors que les femmes ont enregistré de meilleures performances dans leur parcours scolaire et universitaire, une telle circonstance ne se traduisait pas, en pratique, par une réduction des écarts de rémunération.

Ainsi une enquête récente de la DARES révèle que si l'écart de rémunération homme-femme est de 4,8% dans la catégorie des employés, où la part des femmes est importante, il est en revanche beaucoup plus élevé chez les ouvriers et les cadres : respectivement de 19% et de 29,3%2 . C'est pour mettre fin à ces pratiques discriminatoires que le législateur a adopté un certain nombre de mesures contraignantes et ambitieuses, les objectifs fixés consistant à supprimer les écarts de rémunération, concilier l'emploi et la parentalité et améliorer l'accès des jeunes filles et des femmes à l'apprentissage. En premier lieu, la loi vient renforcer les garanties accordées aux salariés en congé de maternité ou d'adoption. Si ces derniers bénéficiaient d'ores et déjà des dispositions de l'article L. 122-26-2 du Code du travail - qui assimilent les périodes de congés de maternité et d'adoption à du temps de travail effectif pour le calcul des droits à congés - le législateur a complété ce dispositif en prévoyant, à l'article L. 122-26 du Code du travail, que la rémunération des salariés de retour de congé de maternité ou d'adoption devra être majorée, «des augmentations générales ainsi que de la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant la durée de ces congés, par les salariés de la même catégorie professionnelle ou à défaut de la moyenne des augmentations individuelles de l'entreprise».

Une telle mesure - toutefois prévue à défaut de disposition conventionnelle garantissant une évolution au moins aussi favorable des rémunérations - apparaît particulièrement avantageuse pour les salariés concernés dès lors qu'ils pourront ainsi bénéficier d'une augmentation de leur rémunération reposant sur la seule performance individuelle de leurs pairs. Outre cette nouvelle protection du congé de maternité ou d'adoption, les articles L. 122-45 et L. 123-1 du Code du travail sont complétés afin de protéger les salariées enceintes de toute mesure discriminatoire que pourrait prendre l'employeur à leur encontre. Ces dispositions ne constituent toutefois pas une véritable innovation
au plan juridique dans la mesure où, d'une part, l'article L. 122-45 prohibait déjà comme discriminatoire toute mesure prise en considération de la situation de famille ou encore de l'état de santé des salariés et d'autre part, l'article L. 122-25 interdisait la recherche par l'employeur d'informations sur l'état de grossesse ainsi que la prise en considération de cet état pour refuser d'embaucher ou pour licencier la salariée. La volonté du législateur en la matière se manifeste tant au niveau de la branche -notamment via l'obligation faite aux accords de branche pour pouvoir faire l'objet d'une procédure d'extension de contenir des dispositions relatives à la suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes - qu'à celui de l'entreprise.

Ainsi, au niveau de l'entreprise, la définition des mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes avant le 31 décembre 2010, de même que l'articulation entre la vie professionnelle et les responsabilités familiales sont désormais intégrées au champ de la négociation annuelle obligatoire. Afin de s'assurer du respect de cette obligation, le législateur a prévu tout un ensemble de mesures permettant en amont, de contraindre à la négociation et en aval, de vérifier que celle-ci a bien eu lieu. En amont tout d'abord, la loi du 23 mars 2006 a octroyé aux organisations syndicales représentatives, dans l'hypothèse où l'employeur n'en aurait pas pris l'initiative dans l'année suivant la promulgation de la loi, la faculté de contraindre celui-ci à s'asseoir à la table des négociations dans les 15 jours de leur demande. A compter du 22 mars 2007 donc, l'employeur qui n'aurait pas engagé de négociations sur ce sujet risque d'en perdre l'initiative... et de ne plus être en mesure de choisir la date à laquelle les négociations pourront être opportunément engagées.

En outre, l'employeur qui refuserait de faire droit à la demande d'une organisation syndicale et d'engager ces négociations s'exposerait au risque de se voir condamner pour délit d'entrave.

En aval, l'autorité administrative est informée de l'engagement de négociations, les accords collectifs d'entreprise sur les salaires effectifs ne pouvant être déposés qu'accompagnés d'un procès-verbal d'ouverture des négociations portant sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, consignant les propositions respectives des parties. Le procès-verbal doit en outre attester que l'employeur a engagé «sérieusement et loyalement» les négociations, ce qui suppose que celui-ci ait :

  • convoqué à la négociation les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise
  • fixé le lieu et le calendrier des réunions
  • communiqué aux organisations syndicales représentatives les informations nécessaires pour leur permettre de négocier en toute connaissance de cause
  • et enfin, répondu de manière motivée aux éventuelles propositions de celles-ci.

A mi-parcours, le législateur a prévu la remise au Parlement d'un bilan intermédiaire établi par le conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Au vu de ce bilan, le Gouvernement pourra présenter au Parlement, si nécessaire, un projet de loi instituant une contribution assise sur les salaires, et applicable aux entreprises ne satisfaisant pas à l'obligation d'engagement des négociations prévues à l'article L.132 -27-2 du code du travail.
Outre la recherche d'égalité de rémunération, le législateur a entendu faciliter l'articulation entre vie personnelle et vie professionnelle et a adopté toute une série de mesures à cet effet. L'on relèvera en particulier :

  • l'examen chaque année de l'articulation entre activité professionnelle et l'exercice de la responsabilité familiale lors de la consultation du Comité d'entreprise sur le rapport écrit relatif à la situation comparée des hommes et des femmes prévu à l'article L. 432-3-1 du Code du travail.
  • le dispositif d'aides accordées par l'Etat aux entreprises comme aux salariés visant à favoriser une telle articulation vie familiale / activité professionnelle. Ainsi, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, l'État accorde aux employeurs une aide forfaitaire pour chaque personne recrutée ou mise à leur disposition par des entreprises de travail temporaire pour remplacer un ou plusieurs salariés en congé de maternité ou d'adoption (nouvel article L. 122-25-2-1 du Code du travail).Autre illustration : lorsque des dépenses de formation sont engagées par l'entreprise en faveur de nouveaux salariés recrutés à la suite d'une démission ou d'un licenciement pendant un congé parental d'éducation et lorsquecette formation débute dans les trois mois de l'embauche et dans les six mois qui suivent le terme de ce congé, l'entreprise peut bénéficier d'un crédit d'impôt. De même, sous réserve qu'un tel dispositif ait été prévu par accord de branche, une majoration d'au moins 10 % de l'allocation de formation est accordée au salarié qui engage des frais supplémentaires de garde d'enfant afin de suivre une action de formation en dehors de son temps de travail, ce montant n'étant pas considéré comme une «rémunération» au sens de l'article L.242-1 du Code de la sécurité sociale.
  • ou encore le droit des salariés de retour d'un congé de maternité ou d'adoption à leur congé payé annuel, quelle que soit la période de congé payé retenue. De même, pour le calcul des droits ouverts au titre du droit individuel à la formation, la période d'absence du salarié pour un congé de maternité, d'adoption, de présence parentale ou pour un congé parental d'éducationest intégralement prise en compte

Enfin, afin de favoriser l'accès des femmes à l'apprentissage, le législateur charge la région, qui dispose de la totalité des compétences pour les publics jeunes et adultes en matière de formation professionnelle, de veiller à un accès équilibré des femmes et des hommes aux différentes filières de formation. L'examen des principales mesures de la loi du 23 mars 2006 permet de prendre la mesure de la tâche qui incombe désormais aux entreprises en vue de réduire les inégalités dont sont victimes les femmes en entreprise. La mesure phare de ce texte réside dans l'obligation faite aux entreprises de définir avant le 31 décembre 2010 les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.

Dans cette attente, les entreprises devront en tout état de cause continuer d'être en mesure de justifier par des éléments objectifs les éventuels écarts de rémunération constatés entre des salariés de sexe différent placés dans une situation identique. A défaut, elles s'exposeront au contentieux sans cesse croissant de la discrimination ou - si cette différence de rémunération est constatée entre des salariés du même sexe - à celui également en développement de l'inégalité de traitement 3. ________________________________
1 "Notre pays est confronté à une urgence économique, démocratique et sociale. Dans les prochains mois, le départ à la retraite des générations nombreuses nées après-guerre va priver l'économie française de plusieurs centaines de milliers de salariés et de non salariés. L'augmentation du taux d'activité des femmes est une réponse directe et évidente à ce défi. Mais (...) l'augmentation du taux d'activité des femmes suppose de faire cesser les discriminations directes et indirectes dont elles sont l'objet" (Projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes - Exposé des motifs)
2 DARES, n° 09-3, Premières Synthèses, mars 2006
3 Cf. notamment Cass. Soc. 3 mai 2006, pourvoi n°03-42.920, justifiant une différence de rémunération par un "parcours professionnel spécifique". La publication de cet arrêt a été accompagnée par un communiqué de la Cour de Cassation rappelant que des différences de rémunération pour un travail égal ou de valeur égale devaient être obligatoirement justifiées par des éléments objectifs tels que la performance, généralement rémunérée par des primes dont le calcul doit obéir à des critères objectifs et vérifiables, une technicité particulière du poste ou encore la date d'embauche entraînant l'application d'accords collectifs distincts... Article paru dans la revue Décideurs n°77-78 du 15 juillet /15 septembre 2006


Authors:

Pierre Bonneau, Florence Renault, Avocats