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Fiscalité de la transmission du patrimoine et projet de loi

29/06/2007

Le projet de loi portant sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat comporte de nombreuses dispositions relatives à la fiscalité de la transmission à titre gratuit du patrimoine par donations ou successions.

Un des objectifs du projet de loi est en effet que "la plupart des Français puissent transmettre en franchise d'impôt sur les donations ou successions le patrimoine qu'ils ont pu réunir tout au long de leur existence".

La générosité des dispositions proposées en faveur des donations et des successions (I) devrait modifier les comportements suivis en matière de transmission de son patrimoine (II). Conformément à l'objectif affiché du projet de loi, les droits de succession vont être fortement réduits, voire supprimés dans un certain nombre de situations. 

Les droits de succession sont totalement supprimés au profit du conjoint survivant, la mesure étant étendue au partenaire lié au défunt par un pacte civil de solidarité (PACS). 

Pour les époux mariés, cette mesure doit être particulièrement saluée. En effet, les époux bien conseillés avaient recours aux avantages matrimoniaux stipulés dans leur contrat de mariage, ce qui permettait au conjoint survivant d'être protégé sans fiscalité (même si ce n'était pas l'unique objectif). Aujourd'hui, le choix de protéger son conjoint par testament, donation entre époux ou contrat de mariage obéira à une motivation purement juridique et non fiscale. De même, le conjoint survivant, lorsqu'il s'agira d'exercer une option entre des droits successoraux en usufruit ou en propriété, le fera en fonction de critères économiques et financiers et non en étant influencé par des contraintes fiscales.

 
Pour le conjoint survivant, le projet ferait passer d'un régime de taxation relativement lourd (le tarif entre époux étant un tarif progressif pouvant aller jusqu'à 40 % avec cependant un abattement d'assiette de 76.000 Euro) à un régime d'exonération totale. Pour le partenaire pacsé, le cadeau apparaît encore plus important puisqu'il acquitte aujourd'hui des droits de 40 % jusqu'à 15.000 Euro et de 50% au-delà, avec un abattement d'assiette de 57.000 Euro. 

Le projet de loi ne favorise pas, en revanche, les donations entre époux qui resteraient soumises au tarif progressif actuel susvisé. De même les libéralités que se consentent de leur vivant les partenaires d'un PACS resteraient fortement taxées au tarif susvisé. 

C'est en faveur des transmissions en ligne directe que le projet de loi est particulièrement novateur. Sans changer le tarif entre parents et enfants (de 0 à 40%), il prévoit un abattement de 150.000 Euro par enfant et par ascendant applicable tant en matière de succession que de donation. Cet abattement de 150.000 Euro remplacerait l'abattement personnel de 50.000 Euro. Corrélativement, l'abattement global sur les successions de 50.000 Euro serait supprimé. 

Sachant que le projet de loi ne modifie pas la règle dite du non-rappel fiscal des donations régulières réalisées depuis plus de six ans (article 784 du CGI), il sera donc désormais possible à des parents donnant ensemble des biens à leurs enfants, de transmettre tous les six ans 300.000 Euro à chacun d'eux.

Le projet de loi étendrait également en matière de succession au profit de neveux et nièces, l'abattement de 5.000 Euro qui n'existe aujourd'hui que pour les donations. 

Selon les objectifs affichés du projet de loi d'augmenter le pouvoir d'achat des jeunes et de privilégier la croissance par la relance de la consommation, le gouvernement prévoit la possibilité de transmettre sans impôt 20.000 Euro à chacun de ses enfants, petits-enfants ou arrière-petits-enfants. Le dispositif prévu s'inspire largement de celui déjà pratiqué et parfois dénommé dispositif "Sarkozy". L'exonération des droits de donation ne profite qu'aux dons en numéraire réalisés en pleine propriété. Le texte prévoit, en outre, que le donateur devrait avoir moins de 65 ans, le donataire plus de 18 ans et que la franchise de 20.000Euro s'appliquerait pour les donations consenties par un même donateur à un même donataire. Il s'appliquerait également à défaut de descendance directe au profit des neveux et nièces. Le texte précise que ces donations ne seraient pas soumises à la règle du rappel fiscal de l'article 784 du CGI, ce qui veut dire que, même réalisées moins de six ans avant une nouvelle transmission, les donations Sarkozy n'auront pas d'incidence sur la progressivité du barème pour la taxation de la nouvelle transmission. 

L'exonération de ces dons en numéraire à hauteur de 20.000 Euro se cumule avec l'abattement de 30.000 Euro pour les donations au profit des petits-enfants ainsi qu'avec l'abattement de 5.000 Euro pour les donations aux arrière-petits-enfants ainsi que pour les neveux et nièces. 

Tout ce panel de mesures, sous réserve bien entendu qu'il se transforme en texte de loi, modifiera nécessairement les comportements patrimoniaux. Si l'on raisonne sur le cas d'une famille formée de deux parents ayant ensemble deux enfants, ayant eux-mêmes chacun deux enfants (soit quatre petits-enfants), et en faisant abstraction du dispositif propre aux dons en numéraire, c'est une somme de 840.000 Euro qui pourrait être donnée en exonération de droits tous les six ans, par le simple jeu des nouveaux abattements (4 x 150.000 Euro + 8 x 30.000 Euro). Si cette transmission est renouvelée cinq fois au cours de la vie de chaque donateur, c'est un patrimoine de 4.200.000 Euro qui serait ainsi transmis en pleine propriété (soit bien plus en nue-propriété). 

On peut donc s'attendre à ce que les mécanismes « classiques » de transmission entre vifs (par donation ou par succession en application des dispositions testamentaires ou légales) prennent le pas sur des mécanismes autres, telle l'assurance-vie. 

Plus fondamentalement, cette diminution du coût fiscal des transmissions devrait permettre que le choix des outils juridiques utilisés pour réaliser cette transmission soit fondé sur des critères d'ordre juridique ou financier, et que la fiscalité n'en soit plus l'élément prédominant. 
Ainsi, les époux qui choisissent de protéger le conjoint survivant par la voie du contrat de mariage, le feront parce que la notion d'avantage matrimonial peut leur permettre de transmettre au conjoint survivant la totalité du patrimoine commun sans être limité par la quotité disponible spéciale entre époux (en l'absence d'enfant non commun, bien entendu). 

De même, les outils juridiques qu'utilisaient des partenaires pour se protéger mutuellement en cas de prédécès de l'un d'eux pour tenter de réduire le coût fiscal, tel le mécanisme tontinier, devraient perdre de leur intérêt. Il s'agit là d'un élément de progrès dans la mesure où le recours à la tontine, dans certaines situations de fait, était porteur d'incertitudes fiscales avec notamment le risque de requalification en donation indirecte. 

En répartissant les avantages fiscaux sur plusieurs générations, le projet s'inscrit dans la logique de la loi du 23 juin 2006 qui, au plan civil, a notamment introduit les donations-partages transgénérationnelles. Les outils juridiques sont donc prêts pour accompagner ces mesures fiscales. 

En revanche, on relèvera qu'en faisant échapper les dons en numéraire aux règles du rappel fiscal, celles-ci restent néanmoins soumises au droit civil des libéralités. Le montant de 20.000 Euro par bénéficiaire envisagé est suffisamment important pour que l'on puisse craindre que le laxisme entourant la formalisation de ces dons puisse avoir des conséquences négatives lors du règlement de la succession du donateur. 
Pour ces donations en numéraire comme pour les autres, rappelons l'importance du recours aux professionnels du droit pour s'entourer de toutes les précautions nécessaires, les libéralités étant par nature des actes graves. 

Authors:
Sylvie Lerond, Avocat