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Gel des avoirs bancaires par les Nations Unies

pas de force majeure !

10/09/2020

Le mécanisme de la force majeure a été souvent, à bon ou mauvais escient, invoqué par certains opérateurs économiques pour justifier l’inexécution de leurs obligations contractuelles, du fait des effets délétères induits par l’épidémie de Covid-19. On ne sait trop comment les tribunaux vont réagir, les quelques décisions rendues à ce jour par les juridictions de première instance (concernant des restaurateurs ou des fournisseurs alternatifs d’énergie) n’étant guère significatives.

Aussi doit-on lire avec une particulière attention l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans un contexte qui n’est certes pas celui de l’état d’urgence sanitaire, mais qui est tout aussi exceptionnel, puisqu’il concerne les mesures d’embargo votées par le Conseil de sécurité des Nations Unies contre l’Iran (Cass. Ass. Plén., 10 juill. 2020). Rappelons simplement qu’une résolution des Nations Unies, adoptée fin 2006, a édicté un certain nombre de mesures restrictives contre l’Etat iranien. Ces mesures se sont notamment traduites par un gel des fonds et ressources économiques des personnes et entités participant de façon directe ou indirecte aux activités de l’Iran liées à l’enrichissement de l’uranium. Parmi les entités visées ont figuré plusieurs établissements bancaires.

L’un d’entre eux, la banque S., s’est ainsi trouvé dans l’impossibilité d’exécuter une condamnation, prononcée par un juge dans le cadre d’un litige dont la nature importe peu, à payer une somme d’argent à une société. Pour tenter de bloquer les mesures d’exécution diligentées à son encontre par la société créancière, la banque S. a plaidé la force majeure : elle avait soutenu que, du fait de l’embargo, elle avait été placée dans l’impossibilité absolue d’exécuter la condamnation et que cette impossibilité était constitutive d’un cas de force majeure. L’argument est rejeté à la fois par la cour d’appel et la Cour de cassation. Cette dernière énonce que « ne constitue pas un cas de force majeure pour celle qui le subit, faute d’extériorité, le gel des avoirs d’une personne ou d’une entité qui est frappée par cette mesure en raison de ses activités ».

La formule appelle plusieurs observations car, au-delà du cas particulier traité, elle conduit à s’interroger sur les éléments constitutifs de la notion de force majeure. Alors que, initialement, la définition de la force majeure reposait sur trois critères, on admettait en général que, depuis un (autre) arrêt d’assemblée plénière rendu en 2006, un événement était constitutif de force majeure s’il présentait deux caractères cumulatifs pour le débiteur s’en prévalant : il devait être imprévisible et irrésistible. Il n’était plus exigé que cet événement soit, de surcroît, extérieur à ce débiteur. Ainsi, dans certains cas, la maladie comme une grève du personnel de l’entreprise empêchant l’exécution d’un contrat ont pu être admis en tant que force majeure exonératoire. La réforme du droit des obligations intervenue en 2016 semble avoir entériné cette évolution, puisque l’article 1218 du Code civil, non applicable à l’affaire commentée, ne fait pas référence à cette dimension d’extériorité.

Pourquoi alors faire réapparaître l’exigence d’extériorité ? Sans doute pour dire que c’est le comportement de la banque S., son activité, qui avait conduit le Conseil de sécurité des Nations Unies à la placer sur la liste des entités frappées par les mesures d’embargo. En d’autres termes encore, pour reprendre le libellé de l’article 1218, il ne s’agissait pas d’un « événement échappant au contrôle du débiteur ». Un raisonnement similaire avait déjà été retenu dans l’hypothèse où l’exploitant d’un fonds de commerce avait fait l’objet d’une mesure de fermeture administrative : l’exploitant, locataire des locaux commerciaux, ne peut pas invoquer contre son bailleur la force majeure et reste tenu de payer les loyers (Cass. 3e civ., 13 juin 2007).

Enfin, pour écarter la force majeure invoquée par la banque S., la Cour de cassation ne pouvait se contenter de rappeler sa jurisprudence aux termes de laquelle le débiteur d’une obligation de somme d’argent ne peut pas s’exonérer en invoquant un cas de force majeure (Cass. com. 16 sept. 2014). En effet, cette solution de principe est tempérée lorsque c’est un incident technique survenu dans le système informatique de sa banque qui a empêché ou retardé le paiement (Cass. 3e civ. 17 févr. 2010). Or, la décision d’embargo pouvait être vue comme un obstacle, juridique et non technique, pour effectuer le paiement des sommes dues par la banque S.

En conclusion, un arrêt important mais qui, malgré les apparences, ne nous paraît pas remettre en cause les solutions acquises en matière de force majeure.

Article paru dans Option Finance le 31 août 2020 


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Arnaud Reygrobellet
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