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L'amendement Charasse et les opérations de fusion-acquisition

10/07/2007

Codifié sous l'article 223 B, 7° alinéa du Code général des impôts, l'amendement Charasse conduit, rappelons-le, à limiter, dans les cas d'"acquisition à soi-même"1 d'une société cible appelée à être intégrée dans le groupe dont la société cessionnaire est membre, la déductibilité des charges financières supportées par le groupe.

C'est en principe au moment de l'acquisition que les conditions d'application de ce mécanisme sont appréciées. Ce principe, commandé par la lettre du texte, conduisait cependant à des résultats contrastés. D'un côté, il aboutissait à appliquer le dispositif à des opérations qui, dans l'esprit, relèvent incontestablement d'une logique d'acquisition externe. A l'inverse, sa stricte mise en oeuvre autorisait, en cas de fusion-absorption de la cible, à ne plus appliquer le dispositif, ce que confirme d'ailleurs une décision récente du Tribunal administratif de Paris, ci-après commentée.

Prenant acte de ces dysfonctionnements, la loi de Finances rectificative pour 2006 poursuit l'aménagement de ce dispositif, et contribue à lui donner une plus grande cohérence au regard des objectifs poursuivis.

Prenons l'hypothèse de l'acquisition, sur fonds d'emprunts, d'un groupe international structuré sous une société holding étrangère, ayant une ou plusieurs filiales en France. L'acquisition porte alors en général sur les titres de la holding étrangère, étant toutefois observé que l'acquisition, et l'emprunt qui lui est associé, ont vocation à être répartis sur les différents pays, dont la France ; l'idée étant de parvenir à une consolidation fiscale entre les résultats des filiales opérationnelles et les frais financiers générés par l'emprunt.

Pour la France, l'objectif est donc d'intégrer les filiales françaises du groupe acquis, soit sous une holding française constituée à cet effet, soit sous la société mère intégrante que le groupe acquéreur détient déjà en France.

Jusqu'aux aménagements apportés par la LFR 2006, cet objectif se heurtait à l'écueil de l'Amendement Charasse. En effet, si la rétrocession des titres des filiales françaises intervenait postérieurement à l'acquisition de la holding étrangère, l'opération était bien, compte tenu de la lettre de l'article 223 B du CGI, "charassable" (puisque les titres étaient acquis auprès d'une structure contrôlée, à la date d'acquisition, par les mêmes actionnaires).

La seule exception prévue par le texte concernait l'hypothèse où la rétrocession portait directement sur les mêmes titres que ceux acquis auprès du tiers 2.

Cette condition d'identité des titres est assouplie par la LFR pour 2006. L'exception à l'application de l'amendement Charasse joue en effet désormais également lorsque les titres rétrocédés sont ceux d'une filiale ou d'une sous-filiale de la société cible.

Dans la situation visée ci-avant, il sera donc désormais possible, même après l'acquisition de la holding étrangère, de reclasser les filiales françaises de celle-ci sous la holding française et de les intégrer fiscalement sous cette dernière.

Précisons que les autres conditions d'application de l'"exception de rétrocession" continuent, quant à elles, à s'appliquer. Il sera donc toujours nécessaire, d'une part, de pouvoir établir que l'intention de rétrocession existait dès l'acquisition du groupe, et d'autre part, de réaliser cette rétrocession des titres des filiales françaises "immédiatement" après l'acquisition initiale, c'est-à-dire, compte tenu des indications données par la doctrine, dans un délai bref et qui puisse être justifié par les contraintes juridiques et matérielles liées à ces reclassements.

La reconnaissance par l'administration d'un délai nécessaire pour procéder matériellement aux rétrocessions devrait d'ailleurs permettre aux groupes de bénéficier des nouveaux assouplissements à l'endroit de rétrocessions intervenant en 2007 alors même que l'acquisition initiale remonterait à l'exercice 2006.

Il est de principe que la réintégration des charges financières cesse de s'appliquer à compter de l'exercice de sortie du groupe de la filiale dont les titres avaient été acquis auprès des actionnaires contrôlant le groupe. Par ailleurs, la fusion-absorption d'une société intégrée, même par une autre société membre du groupe, est traditionnellement réputée conduire à la sortie du groupe de la société absorbée.

Compte tenu de ces deux principes, il y avait lieu de conclure que l'absorption de la cible "charassable", même par une autre entité du groupe fiscal, constituait bien un cas de sortie du dispositif Charasse.

L'administration le reconnaissait elle-même, tout en se réservant la possibilité de recourir à l'arme de l'abus de droit pour s'opposer à ce cas de sortie du dispositif 3 . C'est dans ce contexte que l'on peut relever une intéressante décision du Tribunal administratif de Paris du 15 mars 2006 4.

Dans cette affaire, Monsieur D. avait cédé une partie de ses actions de la société DEFI FRANCE à des FCPR, cette première opération étant suivie, en 1991, par la cession conjointe par Monsieur D. et les FCPR de leurs actions respectives à une holding, la SA FINANCIERE DEFI (cette acquisition étant financée sur fonds d'emprunt). En 1992, les deux sociétés avaient opté pour le régime de l'intégration fiscale. En 1993, la SA FINANCIERE DEFI absorbait la société DEFI FRANCE avec effet rétroactif au 1er janvier 1993.

Devant cette séquence d'opérations, l'administration entendait contester la déduction des frais financiers exposés pour l'acquisition des titres DEFI FRANCE, à la fois sur le fondement de l'amendement Charasse et sur celui de la théorie de l'abus de droit.

Le Tribunal, après avoir considéré qu'en l'espèce, l'administration apportait la preuve du contrôle de la SA FINANCIERE DEFI par les actionnaires cédants 5, juge qu'au titre de l'année 1992 (exercice intégré), le dispositif Charasse trouvait bien à s'appliquer, et valide en conséquence le redressement notifié par l'administration.

En revanche, s'agissant des exercices 1993 et 1994 (exercices non intégrés du fait de la fusion), le Tribunal invalide les redressements notifiés. Alors que l'administration fiscale soutenait que la fusion avait pour but exclusif de contourner le dispositif Charasse, le Tribunal écarte l'application de la théorie de l'abus de droit, et relève en l'espèce notamment que "même si les actionnaires qui détenaient ensemble la quasi-totalité du capital de la société DEFI FRANCE avant son absorption par la SA FINANCIERE DEFI détiennent encore plus de 80% des actions de cette dernière, la part de capital détenue par chacun d'eux a subi des modifications ; qu'en particulier, l'ancien dirigeant et porteur majoritaire des parts, M. D, ne dispose même plus d'une minorité de blocage"6.

Cette décision, dont l'administration a toutefois fait appel, devrait permettre, dans le cadre des éventuels contentieux afférents à la période antérieure au 1er janvier 2006, de contester l'incrimination d'abus de droit, chaque fois du moins que l'on pourra établir que la séquence des opérations s'est traduite par des changements significatifs dans la composition du capital et dans les modalités de contrôle de la cible (passage d'un contrôle majoritaire à un contrôle conjoint).

Compte tenu des failles du dispositif légal dans l'appréhension des conséquences des opérations de fusion sur le dispositif Charasse, le législateur est récemment intervenu, à deux reprises.

L'article 112 de la LFR pour 2005 a ainsi introduit une première exception à la sortie du dispositif, pour régler la situation des cibles charassables déjà intégrées au moment de leur absorption. Cet article prévoit désormais un maintien du cours des réintégrations des charges financières dans cette hypothèse (aggravation visant les fusions réalisées au cours des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2006).

Dans le même esprit, l'article 82 de la LFR pour 2006 vient d'étendre le mécanisme des réintégrations au cas où la société rachetée ne devient pas membre du même groupe que la société cessionnaire, dès lors que la première est absorbée par la seconde (ou par une société membre ou devenant membre du même groupe que la société cessionnaire).

Cette règle (qui vise les acquisitions réalisées au cours d'exercices ouverts à compter du 1er janvier 2007) devrait, en dépit de l'ambigüité du texte, s'appliquer, y compris dans les cas où, au moment de l'absorption, la société cessionnaire n'est elle-même encore membre d'aucun groupe.

Dans cette dernière hypothèse toutefois, c'est l'entrée ultérieure de l'entité cessionnaire-absorbante dans un groupe fiscal qui entraînera l'application du dispositif Charasse ; les réintégrations ne débutant qu'à compter de cette entrée, et sur la durée résiduelle. Avant cette entrée dans un groupe fiscal, la déduction des frais financiers liés à l'emprunt d'acquisition de la cible rapidement absorbée ne devrait donc pas être contestée par l'administration, du moins si la fusion peut être justifiée par des motivations économiques sérieuses 7.

Compte tenu de cet aménagement, une attention particulière devra donc désormais être portée à l'historique des sociétés appelées à être intégrées, afin d'examiner si elles n'ont pas, par le passé, été parties prenantes à une fusion de ce type.

Dernier point : le mécanisme d'application différée du dispositif Charasse, résultant de l'entrée ultérieure de la société cessionnaire dans un groupe fiscal, devrait à notre sens ne pas trouver à s'appliquer, chaque fois que l'opération entrera par ailleurs dans les prévisions des exceptions que l'article 223 B comporte dans ses dispositions finales. En particulier, par analogie avec les indications données par l'instruction administrative du 21 mars 2007 en cas de changement de contrôle de la société cessionnaire 8 , aucune réintégration ne devrait être subie si la société cessionnaire rentre dans un groupe fiscal alors que, ayant elle-même été cédée dans l'intervalle, elle n'est plus contrôlée par les personnes qui la contrôlaient au moment de l'acquisition de la cible absorbée.


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1 On rappelle que sont visées les opérations d'acquisition d'une société appelée à devenir membre d'un groupe intégré auprès d' actionnaires extérieurs contrôlant ce groupe, ou auprès d'une société que ces actionnaires contrôlent.

2 Du fait de cet écueil, la structuration de ce type d'acquisition était plus complexe, et conduisait à ce que les filiales françaises soient rachetées par une holding française (ou par la société mère du groupe acquéreur) préalablement à l'acquisition de la holding étrangère.

3 Instruction 4 H-3-89, § 35

4 TA Paris 15 mars 2006, n°9912123/1, Société DEFI FRANCE

5 Le Tribunal administratif de Paris paraît ici valider l'approche de l'administration tendant à faire masse des droits détenus par les cédants dans la société cessionnaire pour l'appréciation du contrôle de cette dernière ; ce que le Tribunal administratif de Lille s'est quant à lui gardé de faire dans le jugement signalé lors de notre précédente chronique (TA Lille 1er décembre 2005, n° 03-4190, SAS FTR).

6 Le Tribunal relève également que les opérations ont permis aux actionnaires d'extérioriser des plus-values latentes et de dégager des liquidités, tout en conservant collectivement le contrôle de la société.

7 De nature à écarter le risque d'une requalification sur le fondement de l'abus de droit au titre des "fusions rapides"

8 Cf notre précédente chronique.

Article paru dans la revue Option Finance le 7 mai 2007

Auteurs

Portrait deRenaud Grob
Renaud Grob
Associé
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Portrait deOlivier de Saint Chaffray
Olivier de Saint Chaffray
Associé
Paris