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L’impact des nouvelles normes fiscales sur la rédaction des contrats de cession d’actions

« GAP ou pas GAP ? »

05/07/2019

Tout ou presque avait été rédigé sur le traitement fiscal des versements réalisés au titre d’une garantie de passif (GAP)1, tandis que le contenu des déclarations fiscales reflétait en général jusqu’à présent le simple rapport de forces existant entre l’acquéreur et le vendeur au moment de la rédaction du contrat de cession d’actions (SPA), sans davantage de raffinement.

Mais de ce côté-là aussi il y a du nouveau. Ainsi, c’est aujourd’hui l’évolution du cadre législatif et réglementaire qui vient profondément modifier la pratique en matière de rédaction des SPA, et conduit à arbitrer l’inclusion ou non d’un risque dans le périmètre de la GAP, voire l’insertion d’une GAP fiscale dans le SPA.

Deux initiatives récentes du Gouvernement participent de ce bouleversement : d’une part, la publication le 14 mars 2019 d’une instruction datée du 28 janvier 2019 relative aux conditions de mise en conformité fiscale des entreprises (l’« Instruction ») et, d’autre part, la publication le 23 octobre 2018 de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale (la « Loi anti-fraude »).

L’incidence des conditions de la mise en conformité fiscale sur la rédaction des GAP

La définition d’une procédure de mise en conformité des entreprises poursuit la dynamique initiée par la loi dite « ESSOC » du 10 août 2018, dont l’objectif est de renforcer le cadre d’une relation de confiance entre le contribuable et l’Administration, notamment en reconnaissant un droit « général » à l’erreur.

Traduisant en pratique pour les entreprises le principe du droit à l’erreur ainsi que le souhait d’inciter les contribuables à la régularisation de certains écarts fiscaux, l’Instruction instaure désormais un nouveau service de mise en conformité fiscale (le SMEC) et une procédure spécifique de régularisation, laquelle permet de bénéficier :

  • d’une atténuation des majorations le cas échéant applicables (de 80 % à 30 %, 40 % à 15 %, et 10 % à 0 %) ainsi que d’une atténuation des intérêts de retard (réduction comprise entre 40 % et 50 %) ;
  • de la possibilité d’accéder ultérieurement au partenariat fiscal nouvellement mis en place par la DGFiP ; et surtout
  • de la garantie de l’absence de transmission automatique du dossier au Parquet, même si l’infraction remplit les conditions légales (voir ci-dessous).

La régularisation est ouverte à :

  • toutes les anomalies fiscales découvertes (avant ou après la reprise) par les nouveaux détenteurs et repreneurs d’une entreprise ;
  • une liste de problématiques limitativement énumérées ; et
  • des opérations susceptibles de relever d’une majoration de 80 % (activité occulte, abus de droit ou manœuvres frauduleuses).

Cependant, dans le cas des régularisations initiées moins de dix-huit mois après l’acquisition par les nouveaux détenteurs ou repreneurs d’une entreprise, l’atténuation des majorations le cas échéant applicables est conditionnée à la couverture ou non du risque par une GAP, l’atténuation n’étant applicable que pour autant que le cessionnaire conserve la charge finale de la régularisation (ce qui revient à demander à ce que le risque régularisé soit exclu du champ de la GAP).

Une telle exclusion du bénéfice de l’atténuation des majorations en cas de couverture par une GAP est difficilement compréhensible.

Tout d’abord, la rédaction de l’Instruction laisse nombre de cas dans une zone grise (application aux acquisitions de titres ou aux seules acquisitions d’entreprises, régularisations initiées plus de dix-huit mois après l’acquisition, etc.).

Elle paraît ensuite supposer que le cédant fautivement récalcitrant à une telle régularisation, alors même que l’infraction peut avoir été portée à sa connaissance dans le cadre de la procédure d’audit pré-acquisition, ou que son principe soit discutable et relève de la libre interprétation. Enfin, elle ne tient pas compte de la pratique contractuelle, qui consiste à négocier des déclarations du vendeur les plus larges possibles, ce qui peut conduire, dans le meilleur des cas, à inclure le risque considéré dans le champ de la GAP, et donc remettre en cause de manière certaine le bénéfice de l’atténuation des majorations, et dans le pire des cas, à laisser une incertitude sur la couverture ou non dudit risque par la GAP.

Toujours est-il que les conséquences de cette exclusion doivent désormais être prises en compte lors de la rédaction des GAP avec, en pratique, une accentuation du rôle des cabinets en charge de l’audit fiscal et une appréciation au cas par cas des risques à inclure ou non dans le champ de la GAP, ce qui annonce des rédactions finement ciselées… Par ailleurs, plusieurs effets néfastes pourraient résulter de cette règle d’exclusion.

D’une part, dans le cadre d’une opération de M&A, un candidat qui souhaiterait exclure une anomalie fiscale de la GAP aux fins de sa régularisation ultérieure pourrait répercuter le coût fiscal de ce risque dans le prix proposé, et ce contrairement à un acquéreur ne souhaitant pas mettre la cible en conformité ; cette situation pourrait conduire le cédant à privilégier l’acquéreur le moins scrupuleux, de sorte que cette règle d’exclusion pourrait ainsi paradoxalement inciter les contribuables à ne pas régulariser.

D’autre part, un certain délai s’écoulera nécessairement entre l’acquisition et l’initiation de la procédure de régularisation, ne serait-ce que pour estimer le périmètre à régulariser (l’Instruction tente de couvrir cette problématique, mais de manière incomplète à notre avis). A ce titre, un acquéreur pourrait être exposé entre le closing d’une opération et la régularisation dans l’hypothèse où ce dernier recevrait un avis de vérification. Il ne pourrait en effet plus bénéficier de la régularisation (absence de caractère spontané de la demande) et ne serait pas couvert par une GAP.

Un risque pénal hypothétique mais qui doit être pris en compte L’exclusion de la mise en conformité d’une anomalie fiscale comprise dans une GAP a également un impact au regard des mesures introduites par la Loi anti-fraude. En effet, l’un des avantages du SMEC est de pouvoir écarter la nouvelle procédure de transmission automatique par l’administration fiscale au Parquet des faits ayant donné lieu à rehaussement et mise en recouvrement, et qui conduisent à l’application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 euros, soit de la majoration de 100 % ou 80 %, soit de celle de 40 % lorsqu’au cours des six années civiles précédant son application le contribuable a déjà fait l’objet de l’une de ces trois majorations.

Or, tout acquéreur dont l’anomalie fiscale serait couverte par la GAP et ne pourrait donc être régularisée dans les conditions favorables susvisées serait, en l’absence de mise en conformité, exposé à un risque pénal si la rectification par l’Administration de cette anomalie dans le cadre d’un contrôle devait aboutir à l’application de l’une de ces majorations. Régularisation (à la supposer possible) au prix fort ou risque pénal : dilemme cornélien qui fait que le risque pénal jusqu’alors peu considéré au moment de négocier la GAP puis post-closing aura désormais une place de choix.

La problématique paraît d’autant plus délicate que l’on sait que les risques pénaux ne peuvent pas, en général, faire l’objet d’une couverture (dans le cadre d’une garantie de la garantie) par un contrat d’assurance. Dans ce cas, deux types de garanties de la GAP pourraient être prévus :

  • une garantie primaire de type assurantiel qui aurait vocation à prendre en charge l’ensemble des sujets fiscaux, y compris éventuellement la majoration de 40 %, à l’exception des risques relevant des majorations de 80 % ou 100 % ; et
  • une garantie secondaire qui viendrait assurer la mise en oeuvre de la GAP au titre des autres risques (par exemple une garantie à première demande).

Nul doute donc que la problématique fiscale devrait voir sa place réaffirmée lors de la négociation des SPA, sauf à se prévoir des lendemains qui déchantent...


1 Voir notamment « Traitement fiscal des garanties de passif : attention à leur qualification », par Renaud Grob et Céline Martin, Option Finance, 17 septembre 2012, et « Garantie de passif ou révision de prix : à chaque clause son traitement fiscal », par Stéphane Bouvier, Lettre des Fusions- Acquisitions et du Private Equity,Option Finance, 4 octobre 2013.


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