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L’obligation d’inscription en compte à l’épreuve de la QPC

20/02/2012


Saisi par voie de question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme la disposition du Code monétaire et financier (L. 211-4 alinéa 5 issue de l’ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004) qui organise le régime extinctif des titres anonymes au porteur émis par les sociétés par actions.

Pour mémoire, le maintien des droits des détenteurs de valeurs mobilières émises avant le 3 novembre 1984 est conditionné à l’inscription de celles-ci en compte au nom du détenteur auprès de l’émetteur ou d’un intermédiaire habilité. Le législateur a prévu une mise en oeuvre graduée de ce dispositif en deux temps : à compter du 3 novembre 1984, les titres non encore inscrits en compte ont été privés de leurs droits pécuniaires (droit aux dividendes) et extra-pécuniaires (droit de vote ; droit préférentiel de souscription) ; après une période transitoire expirée le 3 mai 1988, les titres toujours non inscrits ont dû faire l’objet d’une vente par l’émetteur avec consignation du produit de la cession pour restitution aux anciens porteurs ou à leurs ayants droit.

La QPC contestait la constitutionnalité des dispositions organisant le régime transitoire sur le fondement d’une atteinte au droit de propriété tel que garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (la Déclaration).

Fidèle à une jurisprudence bien établie qui, tirée de l’esprit de la Déclaration et des travaux préparatoires de cette dernière, module la protection du droit de propriété au regard de la nature de l’atteinte qui est portée à celui-ci, le Conseil conclut à l’absence de privation du droit de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration, d’une part, et à l’absence d’atteinte à l’exercice du droit de propriété au sens de l’article 2 de celle-ci, d’autre part.

Sur l’absence de privation de propriété, le Conseil relève que tant la suspension des droits attachés aux titres dans la phase transitoire qui résulte de la seule carence des porteurs, que la vente subséquente à l’issue de ce délai qui ne porte en définitive que sur des biens dont les conditions d’exercice du droit de propriété sont amoindries, ne caractérisent pas une privation de propriété.

Ainsi, après analyse de la nature de l’atteinte au droit de propriété, un contrôle de constitutionnalité renforcé au sens de l’article 17 n’est donc pas requis. Il nous semble également que le régime ne peut être raisonnablement regardé comme une privation « par lui-même» du droit de disposer qu’il soit pris en son objet (obligation de transparence) ou en son résultat éventuel (la cession des titres n’est que la résultante d’une volonté manifeste du porteur de refuser la mise en conformité).

Lorsqu’il ne relève pas d’une privation du droit de propriété ou d’une dénaturation du sens ou de la portée de celui-ci, le Conseil s’assure subsidiairement de la justification des atteintes portées aux conditions ou aux modalités d’exercice du droit de propriété au sens de l’article 2 précité.

Le Conseil opère alors un contrôle de proportionnalité portant sur le dispositif appréhendé dans sa globalité. Appliqué ainsi aux deux phases du régime considéré, ce contrôle conduit à vérifier la poursuite d’un motif d’intérêt général (tel qu’il peut résulter des termes de la loi ou des débats parlementaires) et la proportionnalité de l’atteinte à l’objectif poursuivi.

Au résultat, la lutte contre la fraude fiscale et la réduction des coûts de gestion des titres ont été considérées comme relevant d’un motif d’intérêt général, ce qui n’est guère critiquable.

S’agissant du contrôle de proportionnalité, plusieurs éléments ont été pris en compte :

  • le comportement défaillant du seul porteur (« carence »), qui ne peut ignorer le défaut de conformité affectant sa situation dès lors que certains attributs essentiels des titres sont suspendus dans la phase transitoire, justifiant la cession ultérieure des titres ;
  • la progressivité de l’atteinte aux droits du titulaire puisqu’un délai de près de trois ans et demi - implicitement jugé ici comme raisonnable - est laissé au porteur pour recouvrer le plein exercice de ses droits par la réalisation de l’inscription en compte conformément aux prescriptions légales ;
  • enfin, l’indemnisation par la consignation du produit de la vente qui demeure acquise jusqu’à sa restitution éventuelle aux ayants droit.

Dans la mise en oeuvre concrète de la protection du droit de propriété par le Conseil, les garanties qui entourent la réalisation de l’atteinte au droit de propriété, notamment en termes d’information, de délai de réflexion pour la mise en conformité et de préservation de la valeur économique du droit, apparaissent suffisantes et par là convaincantes.


par Bruno Zabala, avocat associé

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 20 février 2012

Auteurs

Bruno Zabala